Les journalistes spécialistes de faits divers font l’objet de nombreuses critiques de la part de la classe politique, de l’opinion publique, et parfois même de leurs propres collègues. Comment traiter ces informations qui fascinent les foules, et font aussi parfois le jeu des politiques ?
Régulièrement, politiques et opinions publiques s’insurgent contre le traitement « sensationnaliste » des faits divers par les médias. Lors de l’affaire du Bikini de Reims, commencée le 25 juillet dernier, beaucoup ont accusé les journalistes, leur reprochant de jeter de l’huile sur le feu.
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« Malheureusement, quand le mal est fait, c’est toujours plus compliqué de réparer. Et les tweets et les articles qui refroidissent les ardeurs sont beaucoup moins viraux que ceux qui soufflent sur les incendies, estimait par exemple Johan Hufnagel, directeur délégué de Libération, le 27 juillet dernier à propos de l’affaire du bikini de Reims. Dans une société à cran sur les sujets identitaires, pas la peine d’en rajouter. Préférons un peu d’introspection, qu’on soit journalistes ou politiques, avant de chercher des boucs émissaires faciles, qu’ils soient citoyens et/ou twittos. »
Tout le monde lit les faits divers
Seulement voilà, que ce soit sous forme de grand banditisme, de meurtre sanglant ou d’une simple agression dans un parc, le fait divers fascine. « Le mythe grec, les contes de Perrault ou le fait divers, c’est la même chose. C’est raconter les déviances qu’on a tous envisagées, fantasmées, ou rêvées », analyse Patrick Eveno historien des médias et président de l’Observatoire de la déontologie et de l’information. Pour Philippe Pujol, chargé de la rubrique faits divers à La Marseillaise pendant près de dix ans, et couronné par le Prix Albert Londres en 2014, « le fait divers trace la ligne entre ce qui est légal ou ce qui ne l’est pas ». Et surtout, « il ne demande pas de qualification spécifique, contrairement aux sujets politiques ou économiques. Il est accessible à n’importe qui », ajoute-t-il.
Le fait divers attire et fait vendre. Dès le XIXe siècle, la grande presse comme Le Petit Journal cartonne grâce aux crimes. Depuis quelques années les émissions type « Faîtes entrer l’accusé » fleurissent et tentent de reconstituer des enquêtes tout en décryptant la personnalité des agresseurs. « Mais on ne peut pas tout expliquer, il y a toujours une part de mystère dans le passage à l’acte. Ce sont plus des ‘alibis’ pour faire de l’audience », remarque Stéphane Durand-Souffland, chroniqueur judiciaire du Figaro.
« C’est le flou total, mais on est obligé d’écrire »
Qui n’a jamais ouvert son quotidien et trouvé une page de publicités pour alarmes juste à côté de celle des faits divers ? Tout un business. Depuis quelques années, avec l’essor des chaînes d’informations en continue et des réseaux sociaux, l’ère de l’immédiateté du journalisme bat son plein. Le risque ? Les erreurs sont de plus en plus fréquentes. « On veut à tout prix aller vite et on vérifie de moins en moins. Parfois il suffirait d’une ou deux heures pour recouper ses sources, mais on n’a même plus cette patience là… », déplore le journaliste Philippe Pujol.
« En tant que fait diversier, je peux dire qu’il y a une période où on ne sait rien. On a très peu d’informations, c’est le flou total, mais on est obligé d’écrire. Et c’est là qu’il faut prendre toutes les précautions nécessaires. Il y a toujours un écart énorme entre l’annonce du fait et le résultat », confie-t-il.
A tout cela s’ajoute le côté « mouton de Panurge ». Un média sort une info, tous les autres la relaient. « On ne peut pas tout savoir, c’est normal, mais il faut toujours vérifier l’info du voisin. Autrement, elle peut être mal interprétée, voire amplifiée, et la mayonnaise monte… », remarque Stéphane Durand-Souffland, chroniqueur judiciaire au Figaro. Ainsi, les politiques n’hésitent pas à sauter sur les faits divers et à les instrumentaliser, comme avec l’affaire du Bikini de Reims.
Responsabilité médiatique
Dans un article publié samedi 25 juillet, L’Union de Reims (Marne) affirme que le mercredi précédent, une jeune femme de 21 ans a été lynchée par cinq autres, âgées de 16 à 24 ans tenant un discours « aux relents de police religieuse ». Très vite, les politiques s’en mêlent et les polémiques déferlent sur la toile. Le lendemain, L’Union met à jour son article et souligne que « ni la victime, ni les auteurs des coups n’ont fait état lors des auditions d’un mobile religieux ou moral ».
Depuis quelques années, « on raccroche souvent les faits divers au religieux », selon Philippe Pujol :
« Un jour, à Marseille, des jeunes ont joué avec des bombes aérosols à côté d’une école juive. A quelques mètres, des arbres ont pris feu. Des journalistes ont dit que c’était bien l’école qui avait été attaquée ‘au lance-flammes’, ‘sur fond d’antisémitisme’. Et le lendemain, ils ont démenti. C’était une non-information, l’école n’avait jamais été visée, et il n’y avait pas de lance-flammes… Mais, comme toujours, la récupération politique avait été immédiate. »
Les médias ont donc une très grande part de responsabilité face à la difficile tâche du traitement médiatique du fait divers. « Nous, journalistes, devrions être plus exigeants. On peut tous faire des erreurs, mais il ne faut pas en ajouter à cette atmosphère de peur et d’anxiété dans laquelle on vit », insiste Stéphane Durand-Souffland.
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