Stagiaires, étudiants, intermittents du spectacle ou bas salaires, ils avaient du mal à trouver un logement. Alors ils ont posé leur valise chez des amis.
S’il n’existe pas de statistiques précises sur le nombre de personnes hébergées sur le pouce, certaines données permettent de se faire une idée du phénomène. D’après le rapport 2011 de la fondation Abbé Pierre sur le mal-logement, 410 000 personnes sont actuellement contraintes de vivre chez un tiers – ce chiffre comprenant aussi les enfants de plus de 25 ans habitant encore chez leurs parents ou grands-parents et les personnes de plus de 60 ans hébergées dans la famille. L’Insee chiffre, elle, à 79 000 le nombre de personnes âgées de 17 à 59 ans résidant chez des personnes avec qui elles n’ont aucun lien de parenté, sans toutefois prendre en compte les situations provisoires, les plus fréquentes.
« Pour beaucoup de gens de 20 à 30 ans, l’idée d’un vrai chez soi, avec intimité et calme, est presque devenue un luxe, dit Maxime, contraint de multiplier les campements pendant un an alors qu’il était directeur salarié d’une association.
« Même dans les colocations organisées, quelqu’un est installé dans le salon, il n’y a donc pas de pièce vide pour se détendre. On a renoncé à ce confort. Je me souviens d’avoir quitté le logement de deux copines qui m’avaient hébergé, et le jour même quelqu’un d’autre arrivait à ma place. Elles avaient toujours quelqu’un dans leur salon. »
En creux se dessine ainsi un réseau de solidarité informel mais efficace. Parmi la dizaine de campeurs que nous avons interrogés, aucun n’a jamais été contraint de dormir à la belle étoile ou de se rabattre sur une chambre d’hôtel. Certains d’entre eux disent même n’avoir jamais été contraints de demander, l’offre d’hébergement arrivant toujours en premier. Les autres affirment avoir essuyé très peu de refus.
« Il suffit de bien cibler les personnes auxquelles on demande, dit Julien, intermittent du spectacle et campeur aguerri. J’évite les couples avec enfants et je demande en priorité à des célibataires. Avec un grand sourire et une bière, en général, ça marche. » Maxime, lui, fait les comptes. Sur son trousseau, il reste les clés de trois appartements dans lesquels il fut hébergé.
« Les gens te prêtent un toit et te filent leur clé, comme ça, sans la moindre retenue, dit-il. Dans ce bordel généralisé, cette solidarité est sans doute la seule bonne nouvelle… »
Soyons honnête, il y en a d’autres : Jean-Paul, par exemple, n’est pas mécontent de s’être rapproché d’une jeune fille qui l’hébergeait.
« C’est comme l’auto-stop, pratique, mais épuisant »
Les inconvénients liés au statut de campeur l’emportent pourtant largement sur les avantages. Plus qu’une fatigue mentale, c’est une vraie fatigue physique qui revient dans les discours. Pour Maxime, « c’est comme l’auto-stop : pratique, gratuit, indispensable mais épuisant. Quand il faut se forcer à faire la conversation pendant cinq heures, franchement, ça peut vite devenir pénible. Pareil pour la coloc ». Pour Alexia, le plus pesant est cette socialisation « permanente et parfois forcée ».
Le plus à plaindre reste ce pauvre Victor, coincé quatre mois sous sa tente. « Quand j’ai commencé à bosser, raconte-t-il, les choses se sont compliquées. Je devais me lever tôt mais les fêtes s’enchaînaient. J’essayais de me planquer dans ma tente pour dormir. Le lendemain soir je rentrais, encore une fête. Mais ce n’était pas ça le pire… » Le pire, c’est que faute d’une clé disponible, il devait passer par la fenêtre pour rentrer dans l’appart et rejoindre sa tente.
Marc Beaugé