Longtemps salué pour ses performances, le système de santé français se fragilise à l’heure de la gestion néolibérale. Abandonnée par l’Etat, la politique de santé publique est à repenser.
« C’est un paradoxe français méconnu que notre système de santé soit considéré par l’OMS comme le plus performant au monde et que les disparités devant la mort en fonction des catégories socioprofessionnelles soient parmi les plus élevées des pays occidentaux : il illustre le fait que la médecine et les soins n’ont qu’une influence modeste sur les inégalités sociales de santé. »
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Le constat que dresse l’anthropologue et médecin Didier Fassin dans un ouvrage collectif codirigé avec Boris Hauray, Santé publique, l’état des savoirs, dévoile une sinistre réalité : les carences de notre politique de santé publique en matière de lutte contre l’inégalité devant la vie.
La réduction des inégalités sociales n’est pas considéré comme un objectif
En France, un ouvrier non qualifié a une espérance de vie plus faible de neuf années qu’un cadre de la fonction publique. Pour autant, la réduction de ces inégalités sociales qui ne cessent de s’aggraver et qui restent plus élevées que dans la plupart des pays européens, ne constitue en rien un objectif prioritaire : la loi de santé publique de 2004 mentionnait la « réduction des inégalités devant la vie et la mort » dans un seul de ses cent objectifs.
Des autorités politiques aux médecins eux-mêmes, l’enjeu social reste pour les acteurs de la politique de santé un angle mort. Le livre, nourri des expertises d’une soixantaine de chercheurs en sociologie, économie, histoire, épidémiologie et praticiens, révèle d’autres blocages et ambiguïtés de la politique publique.
Comme le rappelle l’historien et démographe Patrice Bourdelais, la santé publique a déjà derrière elle une longue histoire. Depuis huit siècles, la multiplication des dispositifs visant à accroître la population, sauver des vies, intervenir sur la vie des hommes…, a été identifiée par Michel Foucault comme l’émergence d’une « biopolitique ».
La question du soin et ses enjeux politiques
Par-delà les champs multiples de la médecine ici analysés, des cancers au sida, des drogues au handicap, de la sexualité aux maladies coronariennes…, les auteurs se penchent sur les enjeux politiques qui traversent la question du soin. Pour prendre acte par exemple de la nouvelle implication des utilisateurs du système de santé et l’introduction du point de vue de l’usager dans la gouvernance de l’hôpital.
Mais ce qui fait surtout débat touche aux nouvelles atteintes portées aux fondements d’un système de santé issu de l’après-guerre permettant à tous un égal accès au système de soins.
Dans un autre ouvrage collectif, L’Etat démantelé, enquête sur une révolution silencieuse, André Grimaldi, professeur à la Pitié-Salpêtrière, souligne que la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires), adoptée en juillet 2009, va ainsi permettre d’accélérer la gestion « entrepreunariale » de l’hôpital.
L’un des enjeux centraux du futur système est ainsi de savoir si les régions, dont le rôle a été renforcé par la loi, auront les moyens de conduire souverainement une politique de santé publique, à la fois effi- cace, juste, permettant de réduire les inégalités sociales et territoriales. L’état des savoirs accumulés sur la politique de la santé bute encore sur des incertitudes, à la mesure du démantèlement généralisé des services publics.
Jean-Marie Durand
Santé publique, l’état des savoirs, sous la direction de Didier Fassin et Boris Hauray (La Découverte/Inserm), 536 pages, 25€ ; L’Etat démantelé, enquête sur une révolution silencieuse, sous la direction de Laurent Bonelli et Willy Pelletier (La Découverte/Le Monde diplomatique), 324 pages, 20€.
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