La réouverture des collèges en zone verte ne permet pas, selon les premières constatations, de “remettre à flot” les élèves en difficulté, estime Frédérique Rolet, secrétaire générale du Syndicat National des Enseignements de Second degré (SNES-FSU) et professeure agrégée de lettres. Pour elle, cela suppose d’organiser une rentrée inhabituelle à travers la mise en place de dispositifs pédagogiques bien précis… à condition d’en avoir les moyens.
Deux semaines après la fermeture des établissements scolaires, 5 % à 8 % des élèves, de la maternelle au lycée, avaient déjà été “perdus” par leurs professeur.es, selon Jean-Michel Blanquer. Désormais, l’enjeu est de savoir comment leur permettre de « raccrocher » avec l’école. Frédérique Rolet, secrétaire générale du Syndicat National des Enseignements de Second degré (SNES-FSU) et professeure agrégée de lettres classiques, a répondu à nos questions.
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Qu’est-ce qu’un.e « décrocheur.euse » scolaire ?
Frédérique Rolet – Il faut savoir ce qu’on considère comme un.e décrocheur.euse car le terme est un peu galvaudé. Cela a un sens précis : ce sont les élèves en rupture complète avec l’école. En ce moment, ce qu’on appelle, parfois trop rapidement, décrocheur.euses, ce sont des élèves éloigné.es de l’école pour des raisons diverses : parce qu’iels n’ont pas pu se connecter puisque nous savons qu’il y a beaucoup de familles qui n’ont pas d’ordinateurs, pas de possibilités pour travailler, où les parents ne peuvent pas non plus être derrière l’enfant pour lui dire de se mettre au travail scolaire, etc. Mais il y a aussi des questions de pratiques pédagogiques : vous avez des élèves pour qui il est beaucoup plus difficile de travailler à distance car cela demande une forme d’autonomie. En classe, non seulement il y a l’aide du professeur.e, mais aussi la mise en place de pratiques collaboratives entre élèves qui peuvent s’aider. Tandis qu’un.e élève tout.e seul.e, s’il ne comprend pas ce que dit l’enseignant.e lors d’une visioconférence, ne va pas forcément se manifester pour signaler son incompréhension. Toutes ces situations-là ne veulent pas dire que ce sont des élèves décrocheur.euses au sens traditionnel du terme.
Le confinement a-t-il rendu l’identification des élèves en décrochage plus difficile ?
Oui, c’est plus difficile de les identifier car, habituellement, il n’y a pas que l’enseignant.e. Dans un cadre normal, quand un.e élève est régulièrement absent.e, la vie scolaire, mais aussi les conseiller.es d’éducation et même parfois les psychologues, peuvent organiser un entretien, essayer d’en trouver les raisons. On regarde si c’est par rapport à des problèmes familiaux importants, etc. Or, pendant le confinement, il n’y avait pas tout ça, donc forcément c’est plus compliqué de savoir s’il s’agit d’un.e élève qui a des problèmes de connexion et qui n’arrive pas à travailler à distance, ou s’il s’agit vraiment d’une rupture plus profonde avec la scolarité. D’autant plus qu’habituellement, ce sont les psys et CPE qui font remonter les informations sur ce sujet, on n’a pas vraiment de chiffres à ce sujet, du coup. Il y a certains endroits dans lesquels, pendant le confinement, des élèves ont donné peu de signes de vie, se sont peu connecté.es, et n’ont pas eu de relations avec les professeur.es… C’est davantage le cas dans les lycées professionnels et dans les collèges REP + que dans les collèges plus mixtes socialement. Mais quelles en sont les raisons ? Cela ne veut pas dire qu’ils sont forcément en rupture définitive par rapport à l’école.
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Les inégalités se sont-elles accrues avec le confinement ?
Cette période a montré l’importance de l’école à la fois en termes de socialisation, parce qu’à l’école, même si la mixité sociale n’est pas parfaite, les élèves peuvent quand même se mélanger alors que dans la vie ce n’est pas forcément le cas. Puis du point de vue des apprentissages, il y a des élèves pour lesquels toutes les interactions entre eux, en classe, sont nécessaires pour qu’ils ne se découragent pas. Donc pour les élèves les plus éloigné.es de la culture scolaire, ceux et celles qui ne partent pas en vacances, qui ne fréquentent les musées et souvent, dont les parents n’ont pas fait d’études, oui, les inégalités se sont accrues.
La réouverture des collèges en zone verte est-elle un moyen de retrouver ces élèves qui ont été éloigné.es de l’école pendant deux mois ?
Pas vraiment. Jean-Michel Blanquer s’est beaucoup impliqué dans les inégalités sociales liées à l’école, et a porté un discours sur la réouverture des établissements dans le but de, justement, retrouver et reprendre les élèves les plus en difficulté. Or, ce que l’on constate, et c’était assez prévisible, c’est qu’en grande majorité, ce ne sont pas ces élèves qui reviennent. Dans les académies de zone verte où les collèges ont rouvert, comme Marseille, Toulouse ou Limoges, on observe que les élèves qui reviennent sont en grande majorité celles et ceux qui n’étaient pas en grande difficulté. Donc l’objectif de retrouver les élèves les plus en difficulté ne va pas être atteint.
Pour les élèves qu’on retrouve maintenant, qu’on va prendre maintenant, il faudra plutôt consolider les apprentissages et non pas avancer. Il ne s’agit pas de dire ‘on veut boucler les programmes’. Il y a d’abord un petit temps de reprise psychologique et sociale, il faut voir comment ils ont vécu le confinement et les rassurer sur le fait qu’ils ne vont pas perdre une année scolaire pour quelques semaines ou mois d’interruption.
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De quelle manière comptez-vous les récupérer dans ce cas ?
Nous souhaitons surtout nous projeter sur la rentrée de septembre parce que nous devons pouvoir « remettre à flot » ces élèves-là, mais cela suppose de ne pas faire une rentrée comme d’habitude. J’ai toujours été contre le fait de faire des heures en plus aux élèves en difficulté, iels ont ensuite l’impression d’être pénalisé.es. L’idée, c’est plutôt que nous fassions des groupes, un bilan de ce qui a été acquis ou non, et surtout, leur permettre de vraiment renouer avec les savoirs scolaires.
Mais tout cela suppose qu’on ait des conditions d’apprentissage qui ne soient pas les mêmes qu’avant, par exemple, qu’on ne retrouve pas directement des classes entières. Pour les faire avancer à leur rythme, les encourager, trouver des moyens de les motiver par les enseignements artistiques, par exemple… Nous pouvons vraiment les motiver mais tout cela demande du travail et de la préparation. D’ailleurs, il faudra, pour tous les élèves, que nous revoyions les méthodes d’apprentissage car on ne pourra pas fonctionner l’année prochaine, que ce soit en collège ou en lycée, sur les programmes initialement prévus. On a alerté sur le sujet en disant qu’il fallait dès maintenant penser à la rentrée de septembre qui ne se fera pas dans des conditions ordinaires, mais on n’a pas encore eu de nouvelles. Donc on attend.
La mise en place ces dispositifs pédagogiques nécessite-t-elle davantage de moyens ?
Oui. Nous avons été très content.es de voir que le budget avait été rectifié pour donner des moyens en plus dans le premier degré. Mais dans le second degré, déjà que c’était tendu parce que nous avons 25 000 élèves en plus à la rentrée et des suppressions de postes prévues, alors là, au vu de la situation actuelle, on se demande comment on va faire. Sans moyens, il y a un risque qu’il y ait des ruptures de scolarité et que certain.es s’enfoncent dans le décrochage et ne poursuivent pas leurs études.
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