Devenue classique, la formule “X n’a pas souhaité nous répondre” cache une diversité de stratégies machiavéliques pour esquiver nos questions.
Lecteur, pour que tu comprennes ce qui suit, nous allons métaphorer ta vie quotidienne. Tu connais forcément quelqu’un (ton frère étudiant attardé, ton coloc, souvent c’est des hommes mais c’est pas obligé) qui refuse obstinément d’ouvrir son courrier malgré les injonctions de son entourage. Il confectionne une petite pile avec les enveloppes fermées d’EDF et de la banque, qu’il abandonne des mois durant sur la tablette à côté de l’entrée.
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Et bien pour nous, les journalistes, c’est pareil. Certaines personnes ou institutions (surtout les institutions), confrontées à des demandes d’interviews, de renseignements ou de confirmations, préfèrent cacher leur téléphone dans leur tiroir, mettre des coussins dessus et des boule Quiès dans leurs oreilles. Ensuite, pour justifier leur silence, nos interlocuteurs inventent de formidables excuses qui nous font rire.
« On vous rappellera »
– Bonjour, je suis journaliste, j’aimerais…
– Donnez-nous vos coordonnées, on vous rappellera
– Quand?
– Dès que possible.
Le mauvais attaché de presse lance la phrase d’une voix agacée, automatique et peu crédible. Le journaliste raccroche alors, se tourne vers ses collègues, et lâche, de dépit : « ouais ouais c’est ça il me rappellera, connard ouais » (le journaliste est très distingué).
Le bon attaché de presse y met toute sa conviction, promet que « dès que la personne compétente sera identifiée, elle rappellera tout de suite. Notre équipe s’y emploie« . Parfois, ça fait tellement vrai qu’on y croit. C’est une erreur.
« Envoyez-nous un mail »
– Est-ce que vous savez si…
– Nous ne fonctionnons que par mail.
– Mais là je vous ai au téléphone, c’est plus simple
– Oui mais même.
Une fois le mail envoyé, pas de nouvelles. Après 24h d’attente, le journaliste rappelle.
– Nous ne fonctionnons que par mail
– Je vous ai envoyé un mail hier
– Nous ne l’avons pas reçu.
Du temps de La Poste, des sacs entiers de courrier disparaissaient sans doute aux abords des ministères. Les mails qui s’envolent par wagons, c’est soit un coup de la CIA, soit un gros mensonge pas beau.
« Il n’est pas là »
« Il est en congés« , « il est en réunion » (pendant trois jours), « il est au téléphone« , « il est en rendez-vous extérieur » = cet homme est très occupé et n’a que faire de ta demande.
L’homme très occupé est également irremplaçable. En son absence, ses collègues « ne sont pas habilités à parler« . Il vaut mieux « lui laisser un message, il rappellera » ou « se référer au communiqué de presse, tout est dedans« . Au bout d’une semaine, les gentils collaborateurs « ont transmis le message, mais n’ont pas encore de retour« .
Apocalypse now
L’impitoyable actualité impose parfois à plusieurs journalistes de joindre les mêmes services au même moment. Lesquels se trouvent débordés, et déjà qu’ils ne répondent pas d’habitude…
– Je sais bien que c’est urgent, mais imaginez combien on a de demandes!
– Sachant qu’on vous demande tous la même chose ça devrait vous simplifier le travail?
– On vous rappellera.
Outre ces situations de submersion passagère, pour d’obscures raisons, des pans entiers de la société française craquent. « En ce moment vous savez c’est vraiment compliqué« , voire, c’est arrivé, « désolé mais ma vie est en train de s’effondrer« .
Il faudra donc « repasser par le standard » et patienter en écoutant du Vivaldi. Le moment idéal pour vous raccrocher au nez de manière un peu sournoise.
Techniques de sioux
La disparition préventive : « Ah bonjour, est-ce que vous pouvez me rappeler dans 5 minutes? Merci beaucoup« . L’interlocuteur disparaît ensuite de la surface terrestre pour une durée indéterminée gérée par sa secrétaire.
La boucle :
– Adressez-vous au service de presse.
– J’en viens, ils m’ont donné vos coordonnées
– Ah non ce n’est pas moi qui m’en occupe, patientez, je vais leur en parler. [Tuuut tuuut / Vivaldi] Il faudrait les rappeler, ils ont d’autres coordonnées à vous transmettre.
La fausse compassion « Je sais que c’est long, mais je vous assure que nous mettons tout en oeuvre pour vous répondre« . En général, cette phrase signifie simplement « Adieu« .
Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
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