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Pour les habitués de Monoprix, il n’est plus surprenant de croiser, dans les travées de l’étage « textile », une clientèle un peu particulière, au style affuté et à l’œil fureteur : les mordus de mode. Le très branché Jacques Shu, à l’origine d’une série limitée de doudounes Chevignon cet hiver, confessait par exemple il y a quelques mois sur Twitter : « A chaque fois que je vais à Monoprix pour faire mes courses, je repars avec une pièce de la collection homme. »
Comment Monoprix s’est ainsi attiré les faveurs d’une clientèle de connaisseurs ? Une partie de la réponse réside dans les collections capsules à l’occasion desquelles l’enseigne des centres-villes invite – plusieurs fois par saison – des professionnels de la mode, reconnus ou en devenir. Erotokritos (2009), Ba&sh (2007), Mont Saint Michel (2011), American Vintage (2011), ces dernières années les collaborations ont pullulé dans les rayons des quelque 300 magasins Monoprix français, attirant les passionné(e)s de mode à l’affut d’une fringue de créateur à un prix « abordable » et surprenant le badaud venu faire ses courses.
« Nous collaborons avec trois types de créateurs, explique Lilian Rosas, directrice Textile Maison et Loisirs de l’enseigne : des petites marques peu connues ; des créateurs particulièrement exigeants en termes de développement durable et d’éthique ; et des créateurs plus connus, en tout cas du milieu de la mode. »
Alexandre Rostaing, planneur stratégique du bureau de style Carlin International, décortique cette pratique : « Ces initiatives relèvent du phénomène de Masstige, (mass market et prestige), soit l’association commerciale entre une enseigne de grande distribution et un créateur. La spécificité des collaborations de Monoprix est qu’elles se font toujours avec des marques confidentielles, à l’inverse de Lanvin ou Versace pour H&M. »
« Le beau et le bon accessible à tous »
Monoprix tient à ce rôle de « découvreur » : « Il ne faut pas oublier que nos clients viennent dans le magasin deux fois par semaine, donc la découverte et le renouvellement ont une importance particulière. Notre leitmotiv c’est le beau et le bon accessible à tous », explique Lilian Rosas. Une antienne qui n’est pas sans rappeler celle de feu Prisunic, « rendre le design accessible à tous », qui avait conduit l’autre enseigne populaire des centres-villes (engloutie par Monoprix en 1997) à éditer à grande échelle du mobilier imaginé par de grands noms du design, d’Andrée Putman à Terence Conran.
Monoprix a beau crouler sous les sollicitations, l’enseigne se trompe rarement dans le choix de ses partenariats. Bali Barret, qui a collaboré avec l’enseigne en 2006, est depuis devenue directrice artistique déléguée à la femme chez Hermès, alors que Manish Arora, à l’origine d’une des collections capsules stars de 2011, a été nommé directeur créatif de la femme chez Paco Rabanne en mars.
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La marque au losange ne se contente pas de ces quelques coups d’éclat, et met le paquet sur ses collections « régulières ». Plusieurs stylistes que nous avons interrogés ont eu une phrase similaire : « Monoprix est la seule grande surface qui adopte une démarche ‘mode’ à proprement parler ». Cette démarche fait de l’enseigne un ovni dans le milieu de la grande distribution française, qui s’en tient scrupuleusement à faire du textile utilitaire.
Nous rejoignons John Barban, le styliste de la ligne homme de Lacoste Live, dans un Monoprix du Nord de Paris. Coutumier des lieux, il explique :
« Ils sont bien dans l’air du temps : un coton bio, du velours côtelé, une chemise en jeans, des pulls en cachemire colorés… Quand tu bosses dans la mode, tu vois souvent des trucs très chers sans vraie justification, il y a parfois du zèle dans les détails. Chez Monoprix, ils vont à l’essentiel. »
Mathieu Desmet, styliste souliers chez une grande marque de luxe, se souvient : « J’avais acheté une saharienne il y a quelques années, très bien reproportionnée, enduite, à peine 120 euros. » Du « beau » et de la qualité à un prix abordable donc, mais surtout une cible extrêmement large : de l’homme à la femme en passant par les bébés, les enfants et la lingerie, le tout décliné sur plusieurs niveaux de gamme. « Ils ont a mon avis trouvé la bonne recette en termes économiques et culturels, c’est sobre, sans frime et bien fait », résume Vincent du Sartel, ancien de chez Vuitton et Loewe.
Des méthodes semblables à celles du luxe
Lilian Rosas fait office de chef d’orchestre de ce circuit créatif. Et l’originalité débute dès la définition de l’angle d’attaque des collections, puisqu’en textile, le bureau de style (un « renifleur de tendances », ndlr) est intégré, là où la plupart des marques, y compris les grandes maisons, externalisent cette tâche. La directrice artistique de la marque, recrutée par Lilian Rosas il y a quelques années, est d’ailleurs une ancienne de l’un des bureaux les plus réputés de la place parisienne, Peclers. « On pense client, donc on travaille d’abord sur la qualité. On est dans cette recherche de vêtements que l’on ne porte pas qu’une seule fois ; quand on fait une robe noire un peu habillée, on veille à ce qu’elle puisse aussi bien se marier avec des ballerines la journée », complète-t-elle.
Vincent du Sartel a vécu ce processus de l’intérieur. Spécialisé dans la conduite de lignes maroquinerie pour d’autres, souvent dans le luxe, Monoprix lui a confié trois collections complètes il y a quelques années. Il se souvient du premier coup de fil de Lilian Rosas : « Elle me dit ‘Je veux mon Meilleur Ouvrier de France en maroquinerie’ (…) On sentait que Monoprix voulait faire de la création propre en maroquinerie, et ça c’était un grand pas en avant. » Pour lui, les méthodes n’étaient pas différentes de celles du luxe, « il y avait la même recherche de détail, de signatures reconnaissables, la différence se faisait plus sur le choix des matières. »
« Ils n’ont pas eu le courage d’assumer la création jusqu’au bout »
Si l’ambition est de rivaliser avec les poids lourds du secteur, Zara, H&M ou Gap, Lilian Rosas est consciente que sa force de frappe n’est pas comparable, mais reste persuadée que le créneau de la mode à Monoprix, « casual chic, urbain », a un coup à jouer. « C’est aussi très parisien » glisse Mathieu Desmet, pour qui l’écart, conséquent sur l’étiquette avec des marques comme Kitsuné, APC et Maje, n’est pas si important.
Pour autant, on a parfois l’impression que l’essor de la marque Monoprix est limité par ses habitudes de grande surface. Le travail avec Vincent du Sartel s’est par exemple arrêté à cause du prix des sacs, dix euros plus chers que ceux de la concurrence. « Cela montre que la création a un coût, et c’est le seul petit gout amer que je garde : qu’ils n’aient pas eu le courage d’assumer jusqu’au bout cet acte de création, la collection maroquinerie a ainsi perdu en cohérence », regrette ce dernier.
L’autre chantier concerne les magasins en eux-mêmes : Monoprix peine encore à offrir des écrins dignes de ce nom à sa « marque de mode nationale » et à ses collections capsules. Lilian Rosas est bien consciente du décalage entre ses aspirations et la réalité du merchandising dans certains magasins. Elle assure en avoir fait « une de ses priorités ». L’accent mis sur le textile est d’ailleurs un point d’achoppement entre les deux propriétaires de Monoprix, Casino et Galeries Lafayette. Le premier émet de sérieux doutes sur la pérennité de l’activité, alors que le second a apporté son soutien, par la voix de son PDG Philippe Houzé, concernant ce choix. Au vu de la stratégie de segmentation des enseignes Monoprix engagée depuis plusieurs années (Daily Monop’, Monop’ station…), la suite logique serait donc d’ouvrir des espace dédiés uniquement au textile. Quand on lui glisse cette éventualité, la patronne des collections Monoprix sourit : « Pourquoi pas … »
Gino Delmas
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