La députée du Vaucluse est désormais en tête des sondages en Provence-Alpes-Côte d’Azur pour les prochaines régionales . A ses côtés, à la fois des ex-UMP, des identitaires et des conseillers de l’ombre sulfureux, qui se sont ralliés à ce nouveau visage d’un FN décomplexé.
D’abord la joue gauche, puis la droite et enfin la gauche, encore une fois. Il ne lui arrive presque plus jamais de se tromper sur le nombre de bises. Et sur la façon d’embrasser ceux qui habitent ici, dans ce sud de la France qu’elle ne connaissait pas il y a encore quatre ans. Trois bises pour démontrer qu’elle est devenue une fille du pays, elle, la parachutée, « bourgeoise gâtée » que son concurrent en Provence, Christian Estrosi, dépeint en « châtelaine de Montretout ». Elle est pourtant née quelques kilomètres à côté, dans la très chic commune des Yvelines de Saint-Germain-en-Laye. « Ça me manque de n’avoir jamais connu le manque, confie-t-elle. Moi j’ai été quelqu’un tout de suite, je ne me suis jamais battue ».
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« Pour certains, j’ai coché toutes les cases de la ‘phobie' »
Depuis son arrivée dans le Vaucluse en 2012, la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, bientôt 26 ans, a beaucoup progressé. Il est loin le temps où, hésitante, l’étudiante en droit à Assas fondait en larmes devant les caméras pendant les régionales de 2010. C’était il y a cinq ans. La jeune maman d’une petite Olympe a pris de l’assurance. Et quelques galons, en doublant tous ses rivaux aux élections du comité central du Front national. Elle présente un visage avenant qui ravit les vieux de la vieille. « Elle est belle, intelligente, charmante. Elle répond toujours avec le sourire. Rien ne lui fait peur. En ça, elle ressemble beaucoup au menhir… », sourit un sympathisant plutôt âgé, venu l’écouter à son meeting salle Auzon, à Carpentras, le mardi 10 novembre.
Pour un peu, Marion Maréchal-Le Pen serait presque l’incarnation de cette « dédiabolisation » dont son adversaire, Florian Philippot, est pourtant la tête de pont la plus emblématique. Mais derrière l’estrade, les arrière-cuisines de la lepénie du Sud cachent encore quelques mystères… Elle en rigole : « Castaner (son concurrent PS à la région, ndlr) dit que je fais des apéros avec d’anciens SS… Avouez qu’ils doivent être vieux… Pour certains, j’ai coché toutes les cases de la ‘phobie’ : xénophobie, islamophobie, etc ». Marion Maréchal-Le Pen est une femme « belle, intelligente, charmante », selon ses militants. Elle pouffe. Dans ces conditions, comment pourrait-elle être cette « fasciste » qu’on caricature dans les médias ? Elle répète sa maxime favorite, qu’elle tire de saint Jean : « La vérité vous rendra libres ».
Elle se droitise et cultive une indépendance
Normale, presque classique. Voici comment ses proches la décrivent. « Personne n’ose ébrécher l’icône… Elle est toujours assortie de qualificatifs positifs dans la presse », regrette Julien Aubert, son adversaire, député LR du Vaucluse et tête de liste aux régionales dans le département. « Marion s’est beaucoup impliquée dans le Vaucluse. Elle a passé le permis moto là-bas, elle s’est acheté un cheval, une baraque, elle a des amis… Depuis qu’elle est ici, c’est sa quatrième campagne », attaque Arnaud Stephan, son sulfureux directeur de la communication, parfois qualifié de « gourou », passé maître dans l’art du « storytelling » et qui ne s’étend pas sur son engagement dans des groupuscules d’extrême-droite, notamment au Grèce, carrefour d’influence de la « nouvelle droite », ainsi que chez les royalistes légitimistes, par « fascination pour l’histoire », justifie-t-il.
A 44 ans, le bonhomme est parfois présenté comme le « mauvais génie » de Marion, celui qui la pousse dans les bordures et n’entretient, de son propre aveu, que des rapports « distants » avec « le carré », surnom du siège du Front national. Sous son influence, « MMLP » se droitise et cultive une indépendance qui, pense-t-elle, lui servira de bouclier. « À un moment, le but du jeu, ça n’est pas d’être ‘bien peigné’, c’est de rassembler », considère Franck Allisio, 35 ans, ex-secrétaire national de l’UMP, fraîchement rallié au FN de Marion Le Pen, et numéro trois sur la liste des Bouches-du-Rhône pour les régionales. « Moi, Arnaud Stephan ne me gêne pas par exemple. Le passé des gens, vous savez, on peut évoluer… On se voit très souvent et sur la ligne politique, on est assez proches », jure-t-il. « Certes, c’est une droite très décomplexée. Mais rappelez-vous ce que c’était d’être militant FN dans les années 90. Le militantisme était plus musclé et ça se terminait souvent en bagarre… Ce n’est pas, moi, ce que j’ai connu, c’est certain. »
Icône inaccessible
La clé de Marion Maréchal-Le Pen, élue dans la circonscription la plus frontiste de France, est contenue dans ce mot revendiqué par Jean-François Copé : « décomplexée« . Dans ce Sud battu aux quatre vents par l’immigration, le chômage et les obsessions « sécuritaires », la droite a largement déçu. Marion Le Pen prévient ses troupes : « Ne cherchez pas de solutions du côté de la fausse droite ! » ; « On pensait que Sarkozy allait changer le monde ! », rappelle Franck Allisio, successivement séduit par Philippe de Villiers, Alain Madelin et Jean-François Copé, dont le ralliement s’est fait par l’intermédiaire de Louis Alliot, avec lequel il partage des amis communs.
« La première fois que Marion m’a présenté les cadres FN du département, j’en connaissais certains qui avaient fait le même chemin que le mien », développe-t-il.« Je ne vois pas de rupture violente entre les réunions de l’UMP et celles du FN ». Parmi les 400 personnes qui se sont déplacés à Carpentras pour l’applaudir et siffler Christiane Taubira, presque tous sont d’accord pour lui accorder un statut d' »‘icône » et reconnaître le souffle qu’elle aurait apporté au Front national dans la région : « Aujourd’hui, c’est naturel de s’afficher FN », prétend Jean-Philippe, 41 ans, dont la fille de deux ans défile sur l’estrade avant la réunion publique. « Marion, c’est un front plus ouvert. Et puis c’est une jeune maman : elle connaît nos problèmes ! »
Qu’importe si l’assistant parlementaire de la députée FN, Rémy Rayé, s’est fait connaître pour avoir comparé Alain Milon, médecin de profession, sénateur du département et ancien maire de Sorgues, où Marion Maréchal-Le Pen s’est présentée aux municipales, au docteur Josef Mengele, officier allemand qui pratiqua des expérimentations sur les déportés dans le camp d’Auschwitz.
La raison de cette saillie ? Alain Milon avait défendu des positions plutôt libérales sur l’euthanasie et le mariage pour tous. « Ces gens qui entourent Marion Le Pen, ce sont des poètes », se moque Julien Aubert. « Mais bien souvent, ils sont discrets, ils ne s’expriment pas dans les médias et ne sont pas connus du grand public. C’est elle qui capte toute la lumière. Elle même, d’ailleurs, a des méthodes expéditives. Derrière le côté madone des médias, il y a des choses plus dures. En réalité, c’est la droite maurrassienne… »
Il se souvient encore du jour où un colleur d’affiche FN est venu l’interpeller à sa permanence : « Face aux arabes, nous sommes des résistants et vous des collabos ! Et vous savez ce qu’on leur faisait aux collabos à la Libération ? ». Depuis, le colleur d’affiche est devenu conseiller municipal FN à Carpentras. En off, un responsable FN du Vaucluse explique simplement: « Ces histoires de skinheads et de casques à pointe, on arrive pas à s’en défaire… C’est absurde parce qu’ici, tout le monde s’en fout, on en est loin maintenant. Mais c’est comme le sparadrap du capitaine Haddock. Quand on parle de ‘détail’ par exemple, on peut pas s’empêcher de penser à… »
Elle copie le discours du RPR des années 80
« Nous ne serons pas de la génération qui s’excuse pour des choses dont nous ne sommes pas responsables ! » De quoi Marion Le Pen parle-t-elle ? De son grand-père, dont les provocations à connotations antisémites l’ont poussé en dehors du FN ? De la repentance qu’elle dénonce, de la Shoah, de l’affaire du cimetière de Carpentras, en 1990, cette profanation de tombes juives pour laquelle ce même Jean-Marie Le Pen a sciemment envoyé sa protégée afin de « laver l’honneur de notre mouvement »?
Julien Aubert : « Elle est venue ici pour copier un discours du RPR des années 80. En fait, elle vient courir dans mon couloir, moi qui suis de l’école Pasqua. Leur objectif, c’est que des gens de droite votent FN pour remplacer LR. Au final Marion Le Pen, c’est le diable s’habille en Prada ! Ou plutôt en Pravda… C’est l’équivalent de Najat Vallaud-Belkacem au PS : elle est très idéologue. C’est son grand-père en féminin. La BCBG des beaux quartiers avec l’éducation catho. Elle est très différente de Marine Le Pen, qui est beaucoup plus soixante-huitarde qu’elle veut nous le faire croire… »
Un entourage encombrant
Pour les régionales, Marion Le Pen a même emmené dans ses bagages un homme dont sa tante n’a jamais voulu : Philippe Vardon. Ancien compagnon de route des tdentitaires, figure de proue du groupe régionaliste « Nissa Rebela », rattaché un temps à la Ligue du Sud de Jacques Bompard, qui fit scission avec le FN, il a grandi dans les cités niçoises et peuple les cauchemars de Christian Estrosi, sa bête noire. L’homme a été condamné pour un tract dénonçant l’islamisation et intitulé “Ni voilée ! Ni violée ! ” : « Les femmes européennes, et en particulier les jeunes filles, sont aujourd’hui les premières cibles et les premières victimes de l’islamisation de notre société et d’une nouvelle forme de violence, teintée à la fois de sexisme et de racisme anti-blanc dont les fameuses ‘tournantes’ sont la plus odieuse expression », écrivait-il.
« Parce que nous ne voulons pas voir demain les femmes d’Europe voilées, parce que nous en avons assez des viols collectifs et des agressions verbales ou physiques contre les jeunes filles : Touche pas à ma sœur ! ». « Vardon, ça n’est pas non plus le diable… », élude Franck Allisio. « Quand on a 20 ans, on va forcément vers le plus radical. Ce qui serait inquiétant, c’est d’être centriste à cet âge-là ! Et puis ça fait longtemps que Vardon n’est plus dans les groupuscules. Il est surtout connu pour être régionaliste. Vous savez, à l’UMP, on avait Madelin, Devedjian, Goasguen et Longuet. Les ex-Occident ont fait de bons sénateurs et des maires du XVIe arrondissement de Paris… Ce n’est pas forcément ce que je souhaite pour Vardon, mais tout ça a eu lieu dans les années 80. Considérez qu’on est à cette étape-là au Front national ».
Mise en cause pour ses liens avec le « Printemps français », né dans la continuité de la « Manif pour Tous », Marion Maréchal-Le Pen s’est rapprochée des milieux catholiques traditionalistes en surfant sur l’opposition au mariage gay : « Marion a pris un positionnement très clair, elle était présente à toutes les manifestations contre le mariage homosexuel. Elle séduit cet électorat-là », expliquait ainsi son directeur de campagne lors des législatives 2012 Maxime Ango-Bonnefon, à Médiapart. La fédération FN du Vaucluse a également appelé à manifester le 26 janvier 2014, à l’occasion du « Jour de colère », une manifestation « anti-Hollande » qui tourna à l’agit-prop antisémite. « Juif, la France n’est pas à toi ! », « Hollande ou le Crif, qui dirige qui ? »: ce jour là, les slogans de la nébuleuse dieudonniste coexistaient avec des membres de l’Œuvre française, un groupuscule pétainiste dissous en 2013 suite à la mort du militant antifasciste Clément Méric.
« Il n’y a aucun double discours chez Marion Le Pen », jure Arnaud Stephan, qui loue la capacité de travail de son poulain. « Ce qui ennuie nos adversaires, c’est que Marion n’était pas du sérail. Elle avait 22 ans, elle prend la circonscription. Il y a un vrai effet Marion ! » Pour preuve, l’accueil qu’on lui réserve sur les marchés : « Elle s’arrête pour faire des photos, des bisous, des selfies. C’est super chiant parfois mais elle, elle adore ça. Et puis, il y a un signe qui ne trompe pas : dans le Sud, tout le monde l’appelle par son prénom, Marion ».
Malgré tout, Stephan oublie de préciser qu’après les législatives, Marion Le Pen a perdu toutes les campagnes qu’elle a menées : municipales à Sorgues (« elle avait peur d’aller à Carpentras », juge Aubert), départementales (en tête dans 11 des 17 cantons au premier tour, le FN n’a remporté que six cantons, perdant son pari de faire basculer le département). Et peut-être bientôt les régionales, malgré des sondages prometteurs. La dernière chance de Marion Le Pen en Paca repose en réalité sur une triangulaire. Si le PS décide de se retirer, la victoire s’offrira logiquement à Christian Estrosi. Comme si le FN, en faisant la peau à la droite, se retrouvait coincé par un plafond de verre. « A cause de cet entourage et des intrigues médiatiques, le FN plafonne », croit savoir un responsable FN vauclusien.
Elle est détachée de la politique
À l’image de sa génération, la nièce de Marine Le Pen entretient un rapport distant avec ces querelles politiciennes et l’avenir de son parti : « Elle a le temps », dit Arnaud Stephan. « C’est important de se confronter à la réalité des choses. Or Marion a toujours été consciente de la rapidité de son parcours. Elle ne se cache pas. Si elle ne gagne pas la région, elle ne se représentera pas en 2017. Elle se demande parfois ‘c’est quoi mon métier ? Il y a des mecs qui galèrent toute leur vie, être député, c’est leur bâton de maréchal (sic) et moi je suis là ! La politique est un monde déconnecté de la vie ».
Elle envisage donc de passer le barreau pour devenir avocate. « Ça n’est pas une machine : c’est un mélange entre des grands rendez-vous nationaux et une extrême proximité sur le terrain, ajoute Stephan. Elle bouffe avec les militants, elle paie en douce pour vingt ou trente personnes et elle adore ça ». « Des maires de sa circonscription ne l’ont jamais vue en trois ans ! », corrige Julien Aubert. « La vérité, c’est qu’elle ne voulait pas y aller au départ. Comme Macron, elle est détachée de la politique. C’est la reine de la com' ».
Derrière l’image détendue, Marion Le Pen est une femme droite, attachée à des valeurs qui rappellent l’ancien Front. Mariée à Matthieu Decosse, un chef d’entreprise de cinq ans son aîné, « elle a été éduquée chez les cathos et les protestants (son grand-père était pasteur, ndlr)« , détaille Stephan, qui prolonge sur le ton de la blague : « Pour elle, la religion est un marqueur important. Pour moi, ce n’est pas toujours facile de gérer ça, car ce n’est pas ma tasse de thé. Mais ça lui donne une droiture. Elle ne fait pas sa star. Parfois, j’aimerais qu’elle soit plus rockn’ roll, mais elle préfère le rappeur Maître Gim’s… ».
Le discours frontiste paraît pourtant bien éloigné de la doctrine chrétienne de l’amour du prochain… Sur les banlieues, elle déroule : « Ce n’est pas le chômage qui explique la délinquance ». La drogue : « Les trafiquants assurent la paix sociale à la place de l’État français ». L’Islam : « Ce ne sont plus les lois de la République qui sont reconnues dans les banlieues mais bien les lois des imams ! ». Les migrants ? « Dans six mois, les chiffres sur les migrants, ce sera quoi ? Dix millions ? Vingt millions ? Trente millions ? On assiste à un basculement de civilisation ».
En meeting, elle fait siffler Bernadette Chirac et Enrico Macias, pas franchement les plus clivants de la société française. Son suppléant à l’Assemblée, Hervé de Lépinau, également conseiller départemental, veut croire au sursaut mystique depuis le Sud : « La terre de Vaucluse sera le creuset de la renaissance nationale ! ». D’ici là, il faudra tenir une alliance en forme de pot-pourri idéologique, qui va de Philippe Vardon à Franck Allisio, en passant par Olivier Bettati, ex-adjoint « repenti » de Christian Estrosi à Nice. À droite toute, toujours, puisque dans le Vaucluse, c’est ici que se trouvent les électeurs. « C’est l’histoire de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf… », prophétise Julien Aubert.
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