Les combattants de l’Etat islamique mènent le cyberjihad. Les réseaux sociaux Twitter et Facebook, devenus leur moyen de propagande préféré, tentent tant bien que mal de les éradiquer. Quels sont les enjeux de cette guerre virtuelle ?
L’histoire se répète, tragique. Le 13 septembre, l’Etat islamique (EI) diffuse la vidéo de la décapitation de David Haines, travailleur humanitaire britannique enlevé en Syrie en mars 2013 et depuis retenu en otage. Le décor et la mise en scène sont les mêmes que dans les deux vidéos des exécutions des journalistes américains James Foley et Steven Sotloff. Le mode de diffusion est, lui aussi, similaire : l’Etat islamique balance ses vidéos insoutenables sur Twitter le plus simplement du monde.
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Le réseau social abrite des milliers de comptes affiliés à l’organisation jihadiste qui se chargent de relayer les infos et vidéos qui leur sont transmises. Ainsi, depuis le 13 septembre, des liens torrent permettant de télécharger la vidéo de l’exécution de David Haines circulent sur Twitter. Les comptes officiels de l’Etat islamique ont, eux, été fermés il y a quelques semaines, poussant l’organisation à trouver refuge dans un premier temps sur VK, le Facebook russe, avant d’en être mis à la porte.
Chasse aux jihadistes sur Twitter
Depuis un mois environ, Twitter mène la chasse aux jihadistes, fermant systématiquement les comptes ayant été signalés par un utilisateur comme contrevenant aux règles d’utilisation du réseau social. En représailles, un compte affilié à l’EI, @dawlamoon, invitait, le 7 septembre, les « loups solitaires » du terrorisme à cibler le siège de Twitter à San Francisco. Interrogé au sujet des mesures prises par l’entreprise face à ce danger, un porte-parole de Twitter France nous a répondu : « Notre équipe de sécurité enquête actuellement sur ces menaces en collaboration avec les autorités compétentes. » Par mesure de sécurité, nous n’aurons pas plus de précisions.
Les réseaux sociaux sont devenus le moyen de communication et de propagande préféré des jihadistes, qui y postent vidéos d’exécutions, photos de combats sanglants, messages de ralliement et de haine… En août, un terroriste australien parti faire la guerre en Syrie postait sur Twitter une photo de son fils brandissant la tête tranchée d’un soldat syrien avec pour légende « Ça, c’est mon fils ! » L’Etat islamique avait même créé une appli, The Dawn of Glad Tidings (« L’aube des bonnes nouvelles »), disponible sur Google Play avant d’en être retirée, qui permettait à l’organisation de tweeter directement avec les comptes des utilisateurs. L’appli avait atteint un pic d’activité en avril, rapportait le site The Atlantic, avec 40 000 tweets postés le jour où les jihadistes de l’EI marchaient sur la ville irakienne de Mossoul.
« Un smartphone dans une main, une kalachnikov dans l’autre »
D’autres stratégies sont toujours en place : poster le plus de tweets possible avec le même hashtag au même moment afin de faire remonter ledit hashtag dans les trending topics ; utiliser un hashtag très populaire (comme #worldcup14 au moment de la Coupe du monde de football) afin de garantir une plus grande visibilité à un tweet ; détourner une image pour jouer sur la viralité. « Avant la diffusion de la vidéo de James Foley, un hashtag a même été lancé pour teaser sa décapitation », raconte David Thomson, journaliste à RFI et auteur des Français jihadistes (Les Arènes). Les jihadistes suivraient-ils des stages intensifs de community management?
« On a affaire à une nouvelle génération de jihadistes ayant grandi avec les réseaux sociaux. Ils ont un smartphone dans une main, une kalachnikov dans l’autre. Lorsqu’ils font leur tour de garde, ils sont sur Facebook, Twitter, Instagram », explique le journaliste.
Et de préciser : « Les utilisations diffèrent selon les nationalités. Twitter était à l’origine surtout utilisé par les Britanniques. Depuis quelques mois, face à la suppression de leurs comptes Facebook, les Français s’y mettent timidement. » Les jihadistes ont aussi recours au site controversé Ask.fm, où les internautes peuvent se poser des questions anonymement, et à Just Paste It, qui permet, sans même s’inscrire, de créer l’URL d’un texte, et ainsi de tweeter – sous couvert d’URL – des messages excédant les 140 signes.
Objectifs : recruter et terroriser
L’objectif premier de ce jihad 2.0 est de recruter de nouveaux membres pour grossir les rangs de l’Etat islamique, explique David Thomson. « Ils invitent leurs partisans à rejoindre le califat qu’ils sont en train de créer. Ils cherchent aussi à montrer que le califat est le garant d’une stricte application de la charia authentique. C’est très nouveau. Al-Qaeda dans la péninsule arabique, groupe pionnier dans l’utilisation d’internet, avait une stratégie presque inverse : ils enjoignaient leurs partisans à rester chez eux afin d’y commettre des attentats. De plus, les réseaux sociaux permettent de toucher un public qui n’est plus celui des forums jihadistes obscurs. »
Deuxième volet de cette stratégie : terroriser et provoquer l’ennemi à coups d’images ultraviolentes balancées sur des réseaux sociaux mainstream et donc toucher les internautes dans leur quotidien. « Twitter permet aux vidéos de l’EI d’avoir une portée mondiale. La vidéo d’Abou Bakr al-Baghdadi (chef de l’EI – ndlr) postée sur Twitter avec un lien YouTube après l’annonce de l’instauration du califat a comptabilisé 2 millions de vues en douze heures. Six mois avant, sans Twitter, elle n’aurait même pas fait 600 vues », analyse David Thomson.
http://youtu.be/VOORW63ioY0
Endiguement difficile
Une guerre virtuelle fait donc rage. Le 23 août, The Guardian se demandait même comment « l’Ouest pourrait gagner la guerre en ligne », comme si la réalité du terrain s’était effacée devant l’ampleur du cyberjihad. La réponse à cette question est, elle, toujours en suspens. Car Twitter et les jihadistes jouent au chat et à la souris : à peine un compte est-il suspendu qu’un autre est créé. Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes, prévoit un retour des « gros comptes officiels » chassés des réseaux sociaux sur les forums jihadistes.
« En revanche, je ne pense pas qu’on puisse lutter contre les milliers de sympathisants dans le monde », explique-t-il.
Le 16 septembre, les députés ont voté le projet de loi de lutte contre le terrorisme. L’article 9 permet notamment aux autorités de demander à un éditeur ou à un hébergeur Internet de retirer dans les vingt-quatre heures un contenu incitant au terrorisme ou en faisant l’apologie. En cas de dépassement du délai, les fournisseurs d’accès pourront être contraint de bloquer le site.
Pour David Thomson, le projet de loi ne fera pas le poids : « Même s’il y a beaucoup de suppressions de comptes, ce ne sont que de petits désagréments dans la com de l’Etat islamique. Bloquer des sites ne sert à rien, ce n’est plus là que ça se passe, ça ne veut plus rien dire à l’heure de Twitter. » Reste à savoir si les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, pour ne citer qu’eux, souhaitent réellement supprimer les comptes de l’Etat islamique sur les réseaux sociaux : ils constituent une source d’informations (voire la seule) sur le jihad actuellement mené en Irak et en Syrie.
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