D’année en année, la simulation agricole du studio suisse Giants Software, pourtant très austère, ne quitte pas la liste des best-sellers. Mais si l’ampleur du phénomène continue de surprendre, l’expérience “Farming Simulator” a pourtant bien des raisons de plaire.
Huit millions. C’est le nombre d’exemplaires de Farming Simulator sur consoles et PC – hors versions mobiles, donc – vendus depuis qu’en 2012, la société française Focus Home Interactive en a repris l’édition.
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Même si l’on reste loin des chiffres de Mario, FIFA ou GTA (dont l’épisode V vient de dépasser les 85 millions de ventes, record absolu), le petit jeu devenu grand du studio suisse Giants Software fait aujourd’hui partie des valeurs sûres de l’industrie vidéoludique dont, d’année en année, le succès constant ne surprend plus vraiment. La curiosité est devenue un jeu culte, puis un phénomène. Et le pire, c’est qu’il le mérite largement.
La promesse est dans le titre, dont la simplicité apparaît avec le recul comme un gage à la fois de modestie et de sérieux. Farming Simulator : simulation d’agriculture. Ni plus, ni moins. Et complètement, radicalement.
Pour les joueurs habitués à être pris par la main, démarrer une partie, par exemple sur la toute fraîche (et riche en contenu additionnel) Edition Platinum de Farming Simulator 17 (sur PS4, Xbox One, PC et Mac) ou sur la très réussie (bien qu’un peu moins complète) version Switch, peut se révéler un rien déstabilisant.
Passé un petit tutoriel qui lui apprend, entre autres choses utiles, à préparer un champ avant l’ensemencement, le joueur se trouve un peu livré à lui-même. Il a son exploitation, ses machines et quelques poules. Maintenant, c’est à lui de décider ce qu’il veut faire. Pas de “missions”, de mode “aventure” ou “campagne” : dans Farming Simulator, on est libre de faire ce qu’on veut pour développer (ou pas trop, à chacun ses priorités) sa ferme.
Histoire de prendre nos marques et de gagner assez d’argent pour s’acheter quelques vaches et deux ou trois moutons, on décide alors d’aller travailler un peu pour les voisins. Tiens, en voilà un qui nous propose une belle somme pour moissonner son champ – son très grand champ.
La limite de temps semble raisonnable : 57 minutes. On en mettra quand même près de 45 à faire des aller et retour au volant de notre moissonneuse-batteuse. Quarante-cinq minutes de méticulosité qui valent aussi comme test pour le gamer pressé : est-ce qu’il est prêt à s’oublier ainsi dans une activité aussi répétitive que limitée, dans une action qui ne serait ni glorieuse ni exceptionnelle (comme c’est généralement le cas, au moins pour de faux, dans le jeu vidéo), mais, au contraire, banale, routinière ?
Est-ce qu’il capable de succomber aux charmes de la monotonie, de se laisser transporter par le presque rien, à la fois tout entier dans ce qu’il fait et mentalement un peu absent ?
C’est du travail, pas du jeu, diront certains (qui ne devaient pas trop aimer les séquences de déplacement de caisses au port de Yokosuka dans le mythique Shenmue). Ce pourrait aussi être une toute autre activité, mi-créative mi-mécanique. De la poterie, disons, ou du tricot. Voilà, l’un des plaisirs de Farming Simulator est là : dans la possibilité, étonnamment rassérénante, longuement, soigneusement, de tricoter des champs.
Bien des moments possèdent cette dimension hypnotique, ambient, que le jeu partage avec d’autres simulations d’activités humaines à visées réalistes, héritières plus ou moins dignes et réussies du pionnier Flight Simulator – au sommet du genre : Américain Truck Simulator.
Mais elle n’est pas, loin s’en faut, la seule explication du succès de la série. Jouer à Farming Simulator, c’est d’abord être son propre patron, c’est gagner son indépendance. En ce sens, il a beaucoup plus à voir avec Minecraft, ce dont témoignent aussi l’abondance des mods, véhicules, objets ou cartes conçus et partagés par les joueurs, qu’avec un jeu vidéo à objectifs classique – qui nous disent où aller, nous confient des tâches, nous tiennent en laisse.
C’est une expérience dépourvue de centre, de ligne directrice autre que celle que chacun décidera de se fixer – ce qui peut se révéler déstabilisant, aussi, voire un rien angoissant.
Jouer à Farming Simulator, c’est aussi s’abandonner au fétichisme des machines – plus qu’à l’amour des animaux, même si l’édition 2017 insiste sur leur “bien-être”. C’est collectionner les tracteurs et véhicules agricoles, les essayer, les admirer. C’est renouer avec quelque chose de l’enfance – les petites voitures, la fascination pour les camions –, mais le voyage dans le temps ne s’arrête pas là.
Le succès de Farming Simulator, mais aussi de FarmVille, de Harvest Moon ou du petit bijou indé Stardew Valley, dans nos sociétés urbaines où l’agriculture s’est marginalisée peut aussi s’analyser comme une volonté, collective (et plus ou moins assumée) de retrouver quelque chose de nos ancêtres, du passé de notre civilisation.
De la même façon que, dans le métro ultramoderne de Tokyo, les jeunes Japonais se fantasment en chasseurs primitifs sur Monster Hunter, les Occidentaux vont planter des légumes et ramasser les œufs de leurs poules entre deux survols des réseaux sociaux.
En ce sens, Farming Simulator a quelque chose d’Assassin’s Creed : c’est une virée dans un monde qui n’existe plus vraiment – qui est devenu très minoritaire, en tout cas – où toute nostalgie s’efface dans l’action, aussi infime soit-elle. Car c’est aussi un jeu qui est constamment dans le “faire”, dans le présent. Un jeu éminemment concret autant que planant. Un petit miracle, assurément.
Farming Simulator 17 – Platinum Edition (Giants Software / Focus Home Interactive), sur PS4, Xbox One, Mac et PC, de 35 à 50 €
Farming Simulator – Nintendo Switch Edition (Giants Software / Focus Home Interactive), 45 €
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