Dans « The Smell of Us », Larry Clark signe la chronique hybride d’une jeunesse parisienne vouée au skateboard. Mais face à l’éparpillement des personnages du film, c’est bien souvent le décor du XVIe arrondissement de Paris qui finit par tenir le premier rôle. Visite du plus célèbre terrain de jeu de l’histoire du skate parisien.
Perchés en haut du toit du Musée d’Art Moderne, deux ados et leur guitare se lancent dans une chanson douce, redevenant face à l’objectif de Larry Clark deux enfants à l’innocence intacte. À leurs pieds, comme tous les jours, l’esplanade de pierres blanches crépite au son des skateboards. En face, la tour Eiffel pointe vers le ciel comme un plot de slalom. Ici, l’art moderne importe peu. Ici, c’est le « dôme », à seulement quelques tours de roulettes des jardins du Trocadéro. En choisissant de poser sa caméra au cœur de l’un des plus célèbres spots parisien, le réalisateur américain a décidé d’ancrer comme une évidence son dernier film The Smell of Us dans un quartier où se croisent depuis presque 50 ans la culture skate et l’adolescence.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dès 1937 et la construction de l’esplanade du Trocadéro, les insouciants de l’entre-deux-guerre étaient déjà nombreux à investir la zone, et plus particulièrement le parvis du « Troca », perchés sur l’un des derniers accessoires en vogue de l’époque: les patins à roulettes. Au fil du temps, en plus des milliers de gamins agitant alors le lieu, c’est aussi quelques personnalités mondiales telles que Gene Kelly qui venaient elles aussi fouler le béton parisien sur des roulement à billes.
Mais dès le début des années 70, les patineurs doivent soudainement partager les lieux avec celui qui va rapidement devenir le nouvel idole des jeunes : le skateboard. Dès lors, la planche à roulettes est partout. Elle fait vibrer Rika Zaraï en 78 sur sa chanson Super Skate, elle est au centre de l’amourette enfantine du film de Michaël Schock Trocadéro Bleu Citron (1978) et surtout, elle tisse avec le Trocadéro une relation durable puisque le spot est gratuit, à l’inverse des nombreux skateparks qui commencent alors à fleurir un peu partout dans Paris et sa banlieue.
Rémy Walter, figure emblématique de cet âge d’or devenue depuis président de l’association Paris Skate Culture, se rappelle encore aujourd’hui du lieu qui lui fit découvrir le skate:
« Le Trocadéro était un show en permanence. Comme il y avait toujours des touristes, tu avais toujours un public pour te voir skater. Quand tu étais un jeune skateur, c’était comme une scène parfaite pour se faire remarquer. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai trouvé mon premier sponsor. Mais c’était aussi un endroit avec une incroyable mixité sociale. Tout le monde se mélangeait sans aucun souci d’origines ou de quartiers. Du coup, il y avait parfois des bagarres et des mecs qui se faisaient tirer leurs planches. Mais je me rappelle d’un reubeu qui ne skatait pas, un type avec un gant à la West Side Story qui nous défendait quand on essayait de nous voler nos skates ».
Pourtant, alors que la mode du skate connaît un bref passage à vide au début des années 80, les quelques irréductibles du Troca commencent à perfectionner leurs styles et veulent s’essayer à de nouvelles figures plus techniques. Pour ça, ils émigrent donc juste à côté des jardins du Trocadéro, sur l’esplanade du Palais de Tokyo, plus connu sous de nom du « dôme ». Plus discret et moins fréquenté, ce nouveau spot prend donc le relais des pistes vallonnées du Trocadéro, devenant dès lors le point névralgique de la pratique du street grâce notamment à ses séries de marches.
« Même s’il y a maintenant beaucoup d’autres endroits où aller, le dôme reste encore aujourd’hui la place centrale du skate à Paris. Des gens viennent du monde entier pour venir sauter les marches« , explique Maxime Terin, campant le rôle de Toff dans The Smell of Us, « au départ le film de Larry Clark devait être tourné à Bercy – un autre gros spot parisien – mais on lui a dit de venir voir ce qui se passait au Palais de Tokyo. Quand il a vu tous les skateurs qui se retrouvent ici, il a changé ses plans et a commencé à venir traîner au dôme tous les jours« .
Un attrait pour le lieu d’autant plus justifié qu’en 2010 s’était tenu ici même, au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, l’exposition rétrospective Kiss The Past Hello revenant sur le travail photographique du réalisateur.
Mais il faut croire que les choses ont bien changé. Dans une des scènes d’ouvertures de son dernier film, on aperçoit Larry Clark, brimé en alcoolique désabusé, ramper tristement sur l’esplanade de pierre qui borde le musée. De l’artiste photographe au clochard du dôme, le parcours a en apparence tout d’une descente aux enfers. Il n’en est pourtant rien. Car c’est ici, entre le claquement des planches et les façades haussmanniennes du quartier du Trocadéro que le réalisateur américain semble avoir retrouvé un pays. Quitte à laisser un peu de lui-même sur le parvis immaculé du dôme.
{"type":"Banniere-Basse"}