Alors que Noël approche, deux associations féministes ont lancé la campagne « Marre du rose », afin de lutter contre les stéréotypes dans les jouets. Loin d’être anodins, les jouets prennent part à la reproduction des rôles sexués, fabriquant des destinées distinctes entre hommes et femmes.
Pour beaucoup, Noël appelle la magie et la fête. Mais le père Noël apporte aussi au pied du sapin son lot de préjugés, présents dans la majorité des jouets. Si en 1968 Barbie parlait pour la première fois et déclarait « comme j’aime être mannequin ! », les temps ne semblent guère avoir changé depuis. Dans les magasins de jouets, nombreux sont les rayons réservés soit aux garçons, soit aux filles, affichant alors sans complexe dînette, balai et maquillage.
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Afin de sensibiliser le public et l’industrie du jouet aux sexisme dans les jouets, deux associations féministes (Osez le féminisme ! et Les Chiennes de Garde) ont lancé ce mois-ci la campagne « Marre du rose« , via des happenings dans des grands magasins et un appel à interpeller l’industrie du jouet par Facebook ou par email. Mais pourquoi dénoncer le sexisme dans les jouets ?
« On construit des filles et des garçons »
En étant des vecteurs d’inégalités, les jouets semblent avoir oublié leur fonction première, celle de divertir, selon Marie Allibert, porte-parole d’Osez le Féminisme !. Alors que deux tiers du travail domestique est assuré par les femmes et que 97 % de la population carcérale est composée d’hommes, les jouets encouragent la reproduction de rôles stéréotypés. Pour Sylvie Ayral, docteure en science de l’éducation et co-auteure du livre Pour en finir avec la fabrique des garçons (2014), « les jouets sont à la fois sexués (ils sont destinés aux filles, ou bien aux garçons) et sexuants. Ils confirment l’identité assignée des garçons et des filles. »
Avec des poupées et des déguisements de princesse, les filles apprennent à « s’occuper des autres et à être jolie ». Reléguées à l’espace domestique, elles sont dans une posture passive, d’attente du prince charmant. A l’inverse, l’inventivité et l’agressivité est davantage stimulée chez les garçons. Souvent à l’extérieur et et action, ils sont invités à s’identifier aux super-héros.
OLF a débarqué chez TOYSRUS samedi pour dénoncer les jouets stéréotypés ! https://t.co/1MyjzwsqUU @osezlefeminisme pic.twitter.com/tE5vZXiZRw
— CelineTrefle (@CelineTrefle) December 19, 2015
« L’égalité réside dans des rôles interchangeables »
Pourtant, pour Marie-Noëlle Bas, Présidente de l’association Les Chiennes de Garde, l’égalité réside dans des rôles interchangeables, et non dévolus exclusivement aux filles ou aux garçons. Femmes ou hommes, l’ensemble de la société est pénalisée par ces rôles sexués.
Tandis que les hommes sont enfermés dans un rôle de domination socialement valorisé, les filles sont assignées à un rôle subalterne. « Les jouets sont le continuum des inégalités faites aux femmes. Tout ce qui met les femmes dans les cases ou dans des rôles prédéfinis fait le lit de l’inégalité. Dans les jouets, mais aussi dans la publicité sexiste, les femmes font face à une double injonction : assurer à la fois le rôle de mère et celui d’objet sexuel. Ces deux rôles ne font appel qu’à leur corps, leur cerveau n’existe pas« , assure Marie-Noëlle Bas.
Marre du rose ! Bravo @osezlefeminisme pour cette campagne pleine de bon sens et d’humour pic.twitter.com/6xxDMdYfe9
— Caroline Mignot (@carolinemignot) December 5, 2015
Les filles ne sont pas les seules pénalisées
Quant aux garçons, ils n’ont pas l’occasion de développer par le jeu leur créativité ou leur altruisme. Et sont incités à être violents et agressifs. « On assigne les garçons à la domination. Dans les jouets mais plus généralement dans toutes les sphères de la société, tout ce qui va favoriser l’agressivité physique et la compétition va implictement valoriser ce qui est masculin », estime Sylvie Ayral.
« Toute la société est traversée par une matrice patriarcale très puissante, où toutes les valeurs associées aux hommes dominent dans toutes les sphères.
Les garçons se retrouvent donc dans une espèce de schyzophrénie : on essaye de les éduquer à l’égalité dans la loi, mais dans la vie sociale, ils sont assignés à un rôle de dominant.
Enfermés dans ces schémas, ceux qui ne se retrouvent pas dans cette position de dominants vont se réfugier dans la violence conjugale par exemple. »
« Il n’y a pas une nature féminine et une nature masculine »
Alors que les inégalités reposent sur des stéréotypes et non sur des caractéristiques biologiques, le raisonnement binaire, distinguant une nature féminine et une nature masculine, est « complètement faux » selon Sylvie Ayral. « Il y a beaucoup plus de différences dans le cerveau de deux femmes que dans le cerveau d’un homme et d’une femme. Sauf si les cerveaux sont conditionnés, par des jouets qui imposent une spécificité masculine et une spécificité féminine » soutient Marie-Noëlle Bas.
La campagne des magasins U, engagés dans la lutte contre les préjugés dans les jouets, montre d’ailleurs que les enfants ne sont pas naturellement poussés à jouer avec des poupées pour les filles, ou avec des jeux de bricolage pour les garçons. Pour Marie Allibert, « de prime abord, dans la vidéo mise en ligne par les magasins U, les enfants sont enfermés dans des rôles stéréotypés. Leurs discours respirent les stéréotypes, les filles disent par exemple que « les garçons ne savent pas comment on s’occupe des bébés ». Mais quand ils arrivent dans la salle de jeux, ils arrivent à dépasser leurs discours stéréotypés. Un garçon passe l’aspirateur, des filles jouent aux petites voitures ».
Une pub de noël sur les jeux des enfants qui casse les préjugés, J’ADORE! https://t.co/bs1Fi3s01e via @YouTube
— Laurence Péghaire (@LPeghaire) December 22, 2015
Une industrie du jouet muette
Toutefois, mis à part les magasins U et Cora qui ont diffusé un catalogue non genré, l’industrie du jouet semble nier sa responsabilité dans ces jouets stéréotypés. Elle est protégée par un lobby extrêmement puissant, avec des sommes importantes d’argent en jeu. En effet, si les fabricants de jouets sont appâtés par le profit, différencier les jouets (avec un jouet pour les filles, et un pour les garçons) leur permet de vendre deux fois plus de jouets, et faire deux fois plus de chiffres d’affaire. Cependant, Marie-Noëlle Bas et Marie Allibert restent optimistes et comptent sur l’effet boule de neige. « Comme il y a eu un buzz positif autour du magasin U, d’autres magasins vont peut-être vouloir faire le même effort à Noël prochain. C’est bon pour l’image de la marque » assure Marie Allibert. La chaîne Auchan, contactée par les Inrocks, a notamment assuré qu’un comité éthique allait se prononcer sur la question des jouets stéréotypés, courant 2016.
*découvre effaré le Monopoly pour filles, avec spas et bijouteries à la place des hôtels* https://t.co/zeFxieso4v pic.twitter.com/m2QXNZ5uBa
— Jérôme Balazard (@JeromeBalazard) December 4, 2015
Le Parlement ne semble pas non plus se mobiliser pour l’égalité dans les jouets. L’année dernière, un rapport du Sénat de décembre 2014 intitulé « Jouets, la première initiation à l’égalité » formulait dix recommandations pour tendre vers l’égalité, soumettant par exemple l’idée de mettre en place une charte de bonne pratique pour les fabricants et annonceurs. Mais ces recommandations étant non contraignantes, elles n’ont pas été suivies de fait. La co-rapportrice Chantal Jouanno notait d’ailleurs que « ce rapport visait surtout à faire prendre conscience du problème ». Quant à la militante féministe Marie Allibert, elle assurait qu’« Osez le féminisme ! ne peut pas dicter aux politiques le contenu des lois. On sensibilise l’opinion, mais c’est à eux de trouver des solutions et pas a nous de leur donner ».
« La seule priorité, c’est l’éducation »
Pour Marie Allibert, un changement des mentalités commence avant tout par l’éducation des enfants, à travers des initiatives pour l’égalité hommes/femmes par exemple. A cet égard, Sylvie Ayral invite à agir avec prudence . « En général, lors de ces initiatives, on se contente de vouloir hisser les filles vers des valeurs et choix considérés comme « masculins ». Par exemple, on oriente les filles vers des filières technologiques, techniques et scientifiques, considérées comme plus nobles car masculines.
Mais on ne pense jamais à l’autre moitié de l’humanité : les garçons. On essaye d’émanciper la moitié de l’humanité, les filles, sans émanciper une autre moitié. On continue ainsi à fabriquer de la domination. »
« Une peur de déviriliser les garçons »
Mais pour Sylvie Ayral, même si la science démontre depuis des années les phénomènes de domination, elle n’arrive pas à pénétrer l’école. Derrière ces difficultés se cache « la peur de déviriliser les garçons ». En effet, certains groupements comme La Manif pour Tous craignent qu’en valorisant chez les garçons des valeurs « féminines », ils deviennent homosexuels.« On a peur que la société toute entière s’écroule, on est dans le fantasme le plus absolu. L’homophobie est un des piliers de la construction masculine », assure Sylvie Ayral.
Entendu à l’action #marredurose : « si vous donnez 1 dinette à un garçon il va devenir homosexuel » @osezlefeminisme pic.twitter.com/KNswYVNiOa
— Myrtilll (@Myrtilll) December 5, 2015
Alors que l’ensemble des schémas sociaux – dans les jouets, mais aussi à l’école et dans la vie quotidienne – ferment le champ des possibles aux filles et aux garçons, « l’égalité est loin d’être acquise au quotidien » selon Sylvie Ayral. Par une prise de conscience, les adultes pourraient toutefois déconstruire les rôles stéréotypés intériorisés pendant l’enfance, « à travers l’amour, les médias, le cinéma ou la science, assure-t-elle. C’est un combat de tous les instants, qui n’est jamais gagné. La libération sexuelle est loin d’être accomplie ».
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