Plus de la moitié des femmes réfugiées voient leur situation professionnelle se dégrader à leur arrivée en France. Parmi elles, beaucoup espèrent pourtant que leurs perspectives de carrières s’amélioreront avec le temps.
“Donnez-moi la chance de choisir ce que j’ai envie de faire.” Sur les grilles de l’hôtel de ville de Paris, les protestations de Liliane Uwasé*, 30 ans, s’affichent en grandes lettres blanches sur fond sombre. Nous sommes en mai 2019. Cette ancienne journaliste rwandaise profite de l’exposition sur l’exil et les migrations “D’ici” pour parler d’un sujet qui lui tient à cœur : le déclassement des femmes réfugiées.
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Menacée dans son pays pour des raisons politiques, la trentenaire a elle-même reçu le statut de réfugiée en 2016. A l’époque, elle envisage de continuer sa carrière de journaliste en France. Mais à son premier rendez-vous à Pôle Emploi, on lui fait comprendre qu’elle devrait plutôt se réorienter vers un secteur qui recrute. “Beaucoup pensent que tout est rose une fois leur statut obtenu, ce n’est pas le cas” commente Christine Jeandel, éducatrice spécialisée en centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA). On propose alors à Liliane Uwasé des formations d’auxiliaire de vie, d’aide-soignante ou de femme de ménage. Des métiers “peu qualifiés et mal rémunérés”, pour reprendre les mots de la sociologue et anthropologue des migrations Florence Lévy, dans des domaines où l’“on estime – à tort – que les femmes sont naturellement douées”. La Rwandaise est révoltée. “Dans mon pays, j’étais une journaliste respectée” insiste-t-elle. “Mais ici, mon niveau d’études et mes qualifications n’avaient plus d’importance.”
En France, 63 % des femmes réfugiées ont une position professionnelle moins favorable que dans leur pays, selon la dernière étude sur l’intégration des primo-arrivants du ministère du travail (Elipa), lancée en 2010. Les hommes sont aussi confrontés au problème : 59 % sont dans cette situation. Mais ils ont également deux fois plus de chances de monter en grade à leur arrivée dans l’Hexagone. “Ces femmes paient un prix beaucoup plus élevé pour leur insertion sur le marché du travail que les hommes réfugiés et le reste des immigrés” précise Mahrez Okba, qui a travaillé sur l’enquête en tant qu’économiste pour le ministère du Travail. Et ce, quelque soit leur profil.
D’athlète à vigile
Sita Sanogo en sait quelque chose. Dans son pays, cette Ivoirienne de 27 ans en tenue de foot et parka militaire était une athlète prometteuse. Elle faisait partie de l’équipe nationale de taekwondo. “J’ai pas mal voyagé et j’avais plutôt une belle vie” se souvient-elle. Aujourd’hui, elle occupe un poste d’agent de sécurité en CDD payé environ 1200 euros net par mois.
Quand elle fuit la Côte d’Ivoire en 2015 suite à “des soucis avec sa famille” liés à son orientation sexuelle, Sita Sanogo sait qu’elle laisse derrière elle ses espoirs de percer dans le sport. “Si j’avais dû reprendre ici, ça aurait été un long parcours. J’aurais dû tout recommencer, faire mes preuves”, explique-t-elle. “L’équipe de France est très forte. Et mon âge avançait.”
D’abord sans papiers, la jeune femme se préoccupe avant tout de survivre. À l’époque, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler pendant les neuf mois qui suivent l’enregistrement de leur candidature au statut de réfugiés auprès des autorités. Et l’Ivoirienne a tardé à faire sa demande, car elle connaissait mal les démarches à effectuer. Pendant plusieurs semaines, elle vit dehors dans un parc d’Aubervilliers. Grâce à un ami, elle trouve finalement un logement et enchaîne les petits boulots en région parisienne et en province. “Ménage, crèche, baby-sitting, je prenais tout, car j’avais besoin d’argent”, se rappelle-t-elle.
Lorsqu’elle obtient finalement son statut de réfugiée, elle décide de se former. Grâce à Pôle Emploi, elle intègre une formation aux métiers de la sécurité, un domaine en pleine expansion. Une entreprise de gardiennage l’accueille alors en stage, puis lui offre un contrat d’insertion d’un an et demi.
Sita Sanogo redémarre en bas de l’échelle. Mais elle est satisfaite. “Ce que je fais ici me plaît”, affirme-t-elle. “Pour le moment, je suis débutante mais j’aimerais beaucoup évoluer dans cette voie.” A long terme, l’ex-championne de taekwondo pense même monter sa propre société. Et pourquoi pas, se développer à l’étranger.
Se créer son propre emploi
Monter son entreprise, c’est justement la stratégie choisie par Leen Almasri pour éviter le déclassement. Cette ancienne architecte syrienne de 37 ans travaille depuis 2017 à la création d’une agence de tourisme insolite, qui propose des visites architecturales dans tout Paris.
Elle et son mari sont arrivés en France en 2011 grâce à des visas étudiants – plus simples à obtenir que le statut de réfugiés. Ils suivent un master de management en anglais, obtiennent l’asile politique deux ans plus tard et se mettent alors à chercher du travail. Mais très vite, Leen Almasri réalise qu’elle ne pourra pas reprendre son métier d’architecte. Ses diplômes syriens ne sont pas reconnus et elle ne maîtrise pas assez la langue pour passer un entretien d’embauche. “Le frein de la non reconnaissance des diplômes joue pour tous les migrants, mais particulièrement pour les femmes” commente la sociologue Florence Lévy. “Chez les employeurs, on retrouve souvent cette idée qu’une femme allophone et sans réseau est forcément non qualifiée.” Autre problème : Leen Almasri connaît mal le marché du travail français. “J’ai mis du temps à comprendre qu’il ne suffisait pas d’envoyer des cv, qu’il fallait aller à la rencontre des gens” observe-t-elle, ajoutant qu’en Syrie, les femmes sont “moins habituées à se vendre auprès des employeurs.”
Son mari obtient un stage qui se transformera par la suite en emploi. La jeune femme, elle, finit par se décourager. Elle abandonne ses recherches et se lance dans un second master, en urbanisme cette fois. Elle enchaîne avec un stage à la mairie de Bondy et prend sa décision : son travail, elle se le créera elle-même. “En Syrie, je pensais déjà à ouvrir mon propre cabinet d’architecture. Avec la guerre, j’ai dû quitter le pays, mais j’avais toujours l’idée en tête.” Elle suit plusieurs formations à l’entrepreneuriat et entre en contact avec des incubateurs solidaires comme Makesense et Singa. En 2018, après des tests couronnés de succès, elle embauche deux guides syriens réfugiés pour l’aider dans son projet.
Pour la Syrienne, se focaliser sur le passé ne sert à rien. “On doit trouver des solutions, penser ‘outside of the box’, s’adapter”, s’enthousiasme-t-elle. Près de 35% des migrantes connaissent d’ailleurs une amélioration de leur situation professionnelle trois ans après leur arrivée en France, d’après le rapport Elipa. Mais si avec le temps, la carrière de ces femmes évolue souvent favorablement, peu d’entre elles obtiennent un emploi équivalent ou supérieur à celui qu’elles avaient dans leur pays d’origine. “Au bout d’un moment, elles n’envisagent plus le monde du travail avec les mêmes exigences” assure Florence Lévy. Après des années de galères, Liliane Uwasé a ainsi renoncé à sa passion du journalisme. Grâce à l’association d’aide aux réfugiés Wintegreat, elle a effectué un stage chez l’Oréal et suit désormais une formation aux métiers de la banque. Ce n’était pas son rêve, mais cela lui donne “une raison de se lever le matin”. “J’ai retrouvé une dignité, une identité. Et c’est le plus important”, déclare-t-elle. “Mon nom n’est plus ‘réfugiée’.” – Marie Daoudal
*par souci d’anonymat, noms et prénoms ont été changés
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