Que voient les jeunes filles dans le miroir ? Pendant deux ans, la photographe irlando-américaine Eva O’Leary est allée à la rencontre d’adolescentes de Pennsylvanie pour les photographier alors qu’elles s’observaient dans la glace. Une galerie de portrait bruts qui reflète avec honnêteté l’image que ces ados se font d’elles-mêmes.
Alors qu’Instagram expose des fillettes au corps et au visage sublimés par les filtres et le maquillage, la majorité des adolescentes n’acceptent pas ce qu’elles voient dans la glace. Photographier et filmer les réactions de ces ados à leur propre image, c’est le défi que s’est lancé la photographe américaine et irlandaise Eva O’Leary pour sa série Spitting Image, « portrait craché » en anglais.
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Des portraits de la Happy Valley américaine
Pendant deux ans, la photographe de 28 ans a travaillé avec un groupe de filles âgées entre 11 et 14 ans à State College, la ville où elle a grandi en Pennsylvanie. Cette bourgade paisible peuplée par la classe moyenne américaine se situe dans la « Happy Valley », région qui doit son nom au fait qu’elle ait évité les effets de la Grande Dépression des années 30. Eva O’Leary en avait déjà dénoncé l’image bien trop proprette dans une série de photos précédente. “C’est une petite ville intense pour une jeune fille, confesse l’artiste. Une ville où il est souvent question de popularité, une ville qui voue un culte au football. Il est en fait difficile d’y grandir et de s’y construire.”
En 2017, elle s’est rendue dans les différentes écoles de State College à la recherche de modèles volontaires. Chacun des quinze portraits a été pris dans la grange de sa maison familiale et la photographe n’a donné aucune indication aux adolescentes mises face à l’objectif. « Je voulais simplement qu’elles se concentrent sur leur reflet », affirme la diplômée en photographie de la prestigieuse université de Yale.
Pour capturer le moment où chacune des ados se scrutait, O’Leary a placé son appareil photo derrière un miroir. Une vidéo de trois minutes où l’on peut voir les filles se positionner devant la glace, ajuster leur cheveux, leurs sourcils et surtout s’observer dans la glace, complète la série.
Manifeste anti-selfie
« Ces jeunes filles appartiennent à la génération qui manie couramment les selfies, les tags sur les réseaux sociaux et qui utilisent les caméras d’iPhone comme des miroirs, reprend Eva O’Leary. Elles savent se construire une identité à travers l’image. » Pour prendre le contre-pied des autoportraits des réseaux sociaux et mettre en lumière ces visages enfantins, Eva O’Leary a choisi un fond bleu qui rappelle les portraits des livres photos de fin d’année des étudiants américains.
Ses images parviennent à matérialiser le malaise que ressentent ces jeunes filles face à leur reflet. Une gêne que la photographe analyse comme « le vaste fossé qu’il y a entre leur apparence et l’imagerie commerciale dont elles sont inondées« . Très peu de maquillage ou même pas du tout, imperfections, peau brillante et parfois boutons d’acné, les clichés symbolisent l’anti-selfie.
Etre une femme à l’ère Trump
Selon Eva O’Leary, la représentation de soi chez la femme est devenu un combat « plus urgent que jamais ». La photographe engagée dénonce les propos misogynes de Donald Trump sur le corps des femmes. « Il note leur pouvoir d’attraction, défie leur intelligence et leurs compétences sans fondement. C’est un discours dangereux qui rappelle aux femmes que c’est leur apparence, plus que tout autre caractéristique, qui détermine comment elles sont traitées dans le monde », revendique t-elle.
Evoluant entre l’Irlande et les Etats-Unis, Eva O’Leary a d’abord étudié l’art à l’université de Californie puis la photo à Yale dans le Connecticut. Son travail se concentre aujourd’hui sur les normes admises, sur le contrôle social et la psychologie. D’avril à mai, Spitting Image a été exposé à la galerie Crush Curatorial à New York. Cette série de quinze portraits a permis à la photographe d’être lauréate du prix spécial du jury photo du Festival international de mode et de photographie de Hyères en avril dernier.
Retrouvez toutes les photos du projet « Spitting Image » (2017) sur le site de la photographe.
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