Le tofu a longtemps traîné une réputation d’ingrédient fadasse destiné à remplacer la viande dans les menus vegans. On le redécouvre aujourd’hui dans des versions plus sexy : burgers, nuggets et autres falafels.
Les yeux fermés, Naïla n’y a vu que du feu. “C’était gras, goûteux, épicé, charnu. On aurait dit un vrai kebab avec des morceaux de poulet.” Pourtant, dans le sandwich dans lequel elle vient de croquer, la volaille a été remplacée par une préparation à base de tofu.
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Un ingrédient apprécié du grand public uniquement dans la cuisine asiatique pendant des années. Il était considéré comme insipide, voire à vocation purement décorative. Aujourd’hui, les chefs s’amusent à le revisiter avec les codes de la junk food ou en twistant des plats aussi populaires que les tacos, les crêpes ou l’omelette.
“Il offre des possibilités infinies. C’est un nouveau terrain de jeu pour les cuisiniers,” confirme Julien Pham, fondateur de l’agence Phamily First, spécialisée dans le consulting, la direction artistique et l’événementiel culinaires. “A Paris, les chefs commencent de plus en plus à utiliser le tofu, même dans certains restaurants dits ‘bistronomiques’.”
Une formule pour faire de l’alcool de tofu
Il se souvient d’avoir mangé des croquettes au tofu, piment et fromage exquises à la table du Servan, dans le XIe. Et il croque régulièrement dans le tofu burger servi avec une fondue de poireaux au Siseng, sur le canal Saint-Martin. Les croquettes et le burger sont pourtant à des années-lumière de l’image rasoir associée au “fromage de soja” dans la cuisine occidentale.
De son côté, le chef british Jamie Oliver a publié une recette de brochettes de tofu au barbecue. Et, en 2014, au Japon, McDo avait même commercialisé une édition limitée de nuggets au poisson et tofu. Christine Doublet, responsable éditoriale du guide Fooding, recommande les “délicieuses crêpes au tofu du Breizh Café”, à Paris. Un chercheur de l’université de Singapour vient même de mettre au point une formule pour faire de l’alcool de tofu : le “sachi” !
Le tofu est obtenu par le caillage du lait de soja. Pierre-Adrien Coustillas, en charge du développement des recettes de la PME familiale et artisanale Tofu Hong, à Strasbourg, insiste sur la distinction entre les deux principaux types : “Le tofu soyeux est utilisé par les Japonais, par exemple sous la forme de petits cubes blancs que l’on trouve dans la soupe miso. Il se liquéfie et on l’emploie pour la soupe ou pour la fabrication de desserts. Le tofu ferme, lui, est utilisé par les Chinois. Il est plus adapté à la cuisson. On peut le faire griller à la poêle, le transformer en steaks ou en saucisses.”
Des plats asiatiques aux menus vegans
Riche en protéines végétales, contenant moins d’acides gras saturés que les viandes et pas de cholestérol, le tofu répond aux attentes de consommateurs de plus en plus nombreux. Selon Alix Ceard, chef de produit de la marque Soy (un des leaders du marché français des produits à base de soja), une étude menée fin 2017 par la Sojaxa, l’association pour la promotion des aliments au soja en France, révèle que 17 % des Français ont consommé du tofu au cours de l’année écoulée. Pas mal pour un ingrédient jugé sans intérêt gustatif par les gourmets pendant des décennies !
L’entreprise Tofu Hong a été créée il y a vingt ans par la belle-mère, d’origine vietnamienne, de Pierre-Adrien Coustillas. Au début, la clientèle était principalement asiatique.“On mange du tofu en Asie depuis deux mille ans !” , rappelle le chef de projet. Julien Pham non plus n’a pas attendu la multiplication des épiceries bio pour découvrir le tofu. D’origine vietnamienne, il en a toujours mangé dans des plats traditionnels en famille.
Si les premiers consommateurs de tofu étaient les amateurs de cuisine d’Asie, une autre frange de la population les a rapidement rejoints : les vegans. Alix Ceard rappelle que la marque Soy a été créée en 1982 et qu’au départ, elle proposait principalement du tofu en bloc, nature, fumé ou aromatisé. Puis, petit à petit, elle a commencé à élargir sa gamme à d’autres types de produits. Mais elle s’adressait surtout aux consommateurs végétariens.
Une image plus cool
Problème : si le marché vegan augmente, il reste un marché de niche. Pour toucher un plus large public, il était nécessaire de rompre avec l’image d’ersatz fadasse de viande. “Le tofu est arrivé dans la culture européenne par les circuits vegans, confirme Julien Pham. Mais la cuisine asiatique a fait découvrir d’autres manières plus gourmandes de le cuisiner. Par exemple le mapo tofu (tofu cuisiné avec une sauce épicée – ndlr).”
Le mythique restaurant new-yorkais Mission Chinese Food a joué un rôle important dans la popularisation du mapo tofu en Occident. Christine Doublet, du Fooding : “Avant, le tofu était considéré comme ultra ‘healthy’, mais on le voit maintenant à la carte de beaucoup de restaurants cool dans le monde. Et pas seulement comme plat secondaire pour végétariens.”
Julien Pham constate lui aussi que le tofu n’est plus envisagé seulement comme une option de substitution, mais comme un aliment à part entière. Et quoi de plus efficace, pour toucher le plus grand nombre, que de taper dans les plats hyper mainstream ?
Les saucisses au tofu à griller ou à frire de la marque Taifun ont un assaisonnement poivré idéal pour une base de hot dog. Le goût des raviolis aux tomates, tofu et basilic de Céréal Bio est plus raffiné que celui de la plupart des autres pâtes en sachet. Soy propose déjà des falafels au tofu satisfaisants, et le lancement de nuggets est d’ores et déjà prévu.
Mais l’argument le plus efficace pour convaincre les sceptiques est certainement le mélange de compotée d’oignons, de tofu et de légumes intercalés dans certains burgers. Le 14 avril dernier, un grand barbecue vegan était organisé au Pavillon Puebla, à Paris : les brochettes de tofu caramélisé ont beaucoup plu. Complètement (to)fou !
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