Depuis près de 15 ans, des jeunes donnent tous les jours des cours de hip hop dans les quartiers nord de Nouméa. Certains sont aujourd’hui devenus danseurs professionnels.
La nuit est tombée sur Rivière Salée, l’une des cités des quartiers nord de Nouméa. La mer et les quartiers chics sont au sud. Le rendez-vous est fixé à la maison de quartier. C’est là que les jeunes de l’association RésurrectiOn se réunissent tous les soirs pour faire du hip hop. Les barres d’immeuble se ressemblent toutes, dans la rue, il n’y a pas un chat. Une zone est éclairée. Tout le monde est là. Des bébés qui marchent à peine, des enfants qui font du hip hop sur la pelouse, des adultes de 20 à 50 ans en pleine partie de volley, et le faré, cet espace couvert où se réunissent les tribus pour les cérémonies.
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Le hip hop, générateur de liens et de partage
“Avant, c’était accessible tout le temps. Maintenant il y a une grille qui entoure tout ça. Il y a eu des dégradations du coup la mairie ferme à 22 heures” déplore Dexter, 28 ans, danseur et animateur culturel qui a grandi à Rivière Salée. “Le quartier est érigé de barrières censées nous protéger ou protéger des installations. Mais elles nous enferment ! Là d’où nos familles viennent, de la brousse ou des îles, il n’y a pas de barrières. Le hip hop, au contraire, crée du lien social, du partage avec les frères. Le groupe, c’est une seconde famille.” Le dimanche le site reste fermé. Les ados s’alignent contre les grilles pour capter le wifi public.
Peu de loisirs, une cité dortoir sans trafic et sans argent, avec de la petite délinquance. Il y a très peu de drogues dures en Nouvelle-Calédonie et le cannabis, lui, pousse partout, climat tropical oblige… Des cambriolages dans les stations services et les supermarchés ont lieu régulièrement, à chaque fois pour voler de l’alcool, problème majeur dans l’archipel. Tous les regards sont tournés vers le référendum du mois de novembre sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Et la jeunesse n’est abordée que sous l’angle de la délinquance.
Au départ, l’association voulait promouvoir le hip hop et la culture kanak. C’est la fin des années 1990, les cassettes vidéos, les clips sur MCM et Mickaël Jackson. Des pas de danse traditionnelle sont ajoutés aux chorégraphies hip-hop. Depuis 2004, ils sont nombreux à avoir passé le Bafa, à faire de l’animation culturelle, à participer à des festivals et des spectacles. Nombreux aussi à faire des études. Hassan, l’un des membres fondateurs, est en master à Cergy-Pontoise. Les membres vont et viennent au gré des possibilités d’étude en métropole ou à l’étranger. Au sein de l’association, l’axe social et économique s’est imposé de lui-même.
“Ici, on parle de tout : famille monoparentale, violence, alcool… Certains d’entre nous sont passés par la prison. Les petits nous écoutent, ils nous regardent. Il y a une responsabilité”, explique Dexter. Tous les cours qu’ils donnent pour les jeunes sont gratuits. Ils font également des prestations rémunérées pour la municipalité ou des lycées.
Des inégalités frappantes
Les cités de Nouméa ont poussé dans les années 1970. Le nickel est en plein boom et ils sont nombreux à quitter leur tribu ou les îles Loyauté pour venir travailler. “Nouméa la blanche” comme est surnommée la ville depuis l’arrivée des Français, s’est dotée de cités dortoirs habitées à majorité d’Océaniens : Kanaks, Wallisiens, Polynésiens, Indonésiens… La ségrégation en Nouvelle-Calédonie est aujourd’hui très marquée, selon Jean-Christophe Gay, professeur de l’université de Nice et co-coordinateur de l’Atlas de la Nouvelle-Calédonie. L’archipel connaît des inégalités bien plus marquées que les pays européens, comparables au Brésil, à l’Inde ou à l’Afrique du Sud. Seul un Kanak sur 100 a un diplôme universitaire, contre 1 sur 5 pour les Calédoniens d’origine européenne.
“Le développement du quartier s’est fait à vitesse grand V”, confirme Ywans, 25 ans, danseur. “Il y a une vraie perte de repères des jeunes. Leurs familles vivent en tribu, dans le nord ou dans les îles Loyauté. Ici, les codes traditionnels ne sont plus respectés.”
Le hip hop pour passer les barrières
“La danse a été un levier et un moyen d’éducation pour nous. Cela nous a donné accès à des gens qui ne venaient pas jusqu’ici” confirme Hassan. “Le hip hop permet même de passer des barrières avec les blancs !” précise Dexter. Au Rex, le complexe de musique et de danse qui se trouve au centre-ville de Nouméa, le public est plus mélangé.Les entraînements sous le faré mènent parfois bien plus loin, de l’autre côté de la Terre. En 2010, ils ont participé pour la première fois au championnat de France hip hop « battle of the year » à Montpellier avec ResurrectiOn. Les premiers Calédoniens, un grand pas pour eux. Le crew est même devenu une référence dans le Pacifique. Des danseurs du Vanuatu viennent régulièrement s’entraîner ou donner des cours au pied de leur cité. Plusieurs sont aujourd’hui danseurs professionnels en métropole. Zacharie Hnawang fait partie des Pockemon Crew à Lyon. Pascal Téouri, alias Pash, suit une formation professionnelle de la compagnie Rêvolution à Bordeaux. Et ils ont dansé avec le chorégraphe Kader Attou, directeur du centre national chorégraphique de La Rochelle.
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