Depuis plusieurs jours, un hashtag fait grand bruit sur Twitter : #ILookLikeAnEngineer. Lancé par une jeune ingénieure américaine, il dénonce les stéréotypes encore trop présents dans le secteur du numérique. Une campagne qui résonne jusqu’en France.
Un homme qui balance un billet à sa collègue, comme ça, sur le ton de la blague, ça vous semble normal ? C’est, entre bien d’autres choses, ce qu’a dû endurer Isis Wenger, une jeune femme de San Francisco, depuis qu’elle exerce le métier d’ingénieure à OneLogin. Pourtant, ce n’est même pas ce geste qui l’a poussée à publier un billet sur le site américain Medium, mais les commentaires parfois violents publiés sur les réseaux sociaux à la suite de sa participation à une campagne de promotion pour son entreprise. Certains la trouvaient « trop belle », d’autres affirmaient que son sourire était « trop sexy ». Bref, ce ne pouvait pas être une vraie ingénieure, mais plutôt un mannequin payé pour l’occasion.
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Une campagne anti-sexisme qui fait mouche
Lassée de ces stéréotypes, elle lance la campagne #ILookLikeAnEngineer (« Je ressemble à une ingénieure »), appelant toutes les femmes – mais aussi les transgenres, voire les hommes noirs – exerçant ce métier à poster sur Twitter une image de leur visage avec ce hashtag pour montrer la diversité qui existe dans ce métier et qui n’est, selon elle, pas encore acceptée.
Et ça marche : les plus grands médias hi-tech américains, comme Mashable ou TechCrunch, reprennent l’info et le hashtag a généré plus de 66 000 tweets en 6 jours.
I worked as an engineer at @Intel + @Twitter, now I build features for Windows at @Microsoft #ILookLikeAnEngineer pic.twitter.com/ttGUnHseYH
— dara (@daraoke) August 4, 2015
#ILookLikeAnEngineer who could use more sleep. No need to run my creds, I’ll still be an eng without your validation. pic.twitter.com/KhCBh8LPNL
— ¯_(ツ)_/¯ (@EricaJoy) August 4, 2015
Working on my startup’s proof of concept – @astral_ar augmented reality biometrics piloted drone #ILookLikeAnEngineer pic.twitter.com/2zUDMpMovT
— OpenSorceress (@OpenSorceress) August 3, 2015
Et en France ?
Aux Etats-Unis, l’industrie du hi-tech n’en est pas à son premier scandale au sujet des discriminations de genre – on se souvient de l’ex-PDG de Reddit Ellen Pao, qui avait poursuivi son précédent employeur, Kleiner Perkins Caufield & Byers, pour discrimination sexuelle et qui appelait à plus de diversité dans l’univers très masculin de la Silicon Valley. Mais le phénomène n’est pas seulement médiatique : d’après une étude de Nadya A. Fouad, de l’Université du Wisconsin, 40% des femmes ingénieures aux Etats-Unis finissent par quitter le secteur.
La situation est-elle bien différente en France ? Contacté par Les Inrocks, François Cazals, professeur affilié HEC en marketing et stratégies digitales, estime (comme d’autres) que cette réalité est bien plus nuancée en France qu’aux Etats-Unis :
« En France, les nouvelles technologies sont plutôt assez progressistes par rapport à d’autres industries. Il y a un fait social indéniable – peu de femmes sont à la tête de grandes entreprises. Après, personnellement, je rencontre dans ma pratique professionnelle beaucoup de femmes qui réussissent dans ce domaine. »
Interrogée par Les Inrocks, Marine Aubin, co-présidente de l’association Girlz in Web qui lutte pour la valorisation de la femme dans le numérique, confirme :
« Le manque de diversité dans les nouvelles technologies est vrai partout, mais surtout dans la Silicon Valley, où il n’y a pratiquement que des hommes, assez jeunes, blancs. »
Elle ajoute qu’il y a eu en France davantage de progrès sur ce terrain qu’outre-Atlantique, comme, par exemple, une médiatisation croissante des enjeux de diversité dans l’entreprise. Aujourd’hui, « il est difficile pour une entreprise française de justifier qu’à poste égal, les femmes n’aient pas le même salaire que les hommes », se réjouit cette jeune entrepreneur. C’est sur le lieu de travail que le bât blesse :
« La bataille qui reste à mener est incarnée par la dénonciation de ce sexisme ordinaire qui est lancée aujourd’hui, avec ce que fait Isis Wenger, par exemple. C’est d’autant plus dur à attaquer que c’est dans la culture et dans l’éducation des gens. (…) Juste hier, il y a encore quelqu’un qui m’a dit : ‘Moi je ne suis pas comme ça, donc ça n’existe pas.' »
Les hommes à la technique, les femmes à la communication
Selon tous ces acteurs du numérique, le coeur du problème réside dans la partage des tâches : les femmes au marketing et à la communication, les hommes dans les métiers plus techniques. « On a reproduit les schémas qui existaient dans d’autres secteurs », regrette Marine Aubin.
Pas étonnant, selon François Cazals, car c’est déjà le cas dans l’enseignement secondaire :
« Il y a une très faible proportion des femmes dans les écoles d’ingénieurs en France. Aujourd’hui, dans la majorité de ces établissements le taux de féminisation des effectifs est compris entre 10% et 30%. (…) Alors que dans les grandes écoles de management ou de marketing numérique, la parité est presque respectée. »
Alors, comment changer les mentalités ? François Cazals croit en l’importance du rôle de modèles que peuvent incarner les femmes qui réussissent dans ce milieu, à l’image des deux ex-présidentes d’IBM France, Cathy Kopp et Françoise Gri. Même constat chez Marine Aubin, c’est pourquoi son association a créé « Les expertes du numérique », un annuaire de 200 profils de femmes avec un niveau élevé d’expertise dans le numérique et qui sont susceptibles d’être contactées par les médias ou d’être invitées dans des conférences ou des colloques.
Et pour celles – et ceux – qui souhaitent rejoindre le mouvement #ILookLikeAnEngineer, Isis Wenger est sur le point d’ouvrir un site Internet pour mettre en avant la diversité des profils chez les ingénieurs. Les machos du numérique n’ont qu’à bien se tenir.
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