De “Street Fighter” à “Mega Man”, des classiques de SNK à (bientôt) ceux de Sega en passant par le fabuleux “Ikaruga”, la Switch s’est peu à peu imposée comme une machine de choix pour s’adonner aux jeux du passé. Et si les salles d’arcade aujourd’hui au mieux moribondes avaient trouvé en la console hybride de Nintendo leur meilleure héritière ?
Une pression sur la gâchette de gauche et voilà que le temps s’écoule soudain dans l’autre sens. Le projectile qui semblait nous avoir été fatal un instant plus tôt retourne comme si de rien n’était à l’envoyeur et notre petit robot bleu repart en marche arrière dans la direction dont il venait d’arriver. Un pouvoir merveilleux nous a été offert dans le premier volet de la compilation Mega Man Legacy Collection (qui réunit les épisodes 1 à 6, parus entre 1987 et 1993 sur la NES, des aventures riantes et néanmoins ardues du Blue Bomber) : celui de rembobiner. Autant dire de revenir, joyeusement et à volonté, vers le passé.
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La Switch, épatante machine à voyager dans le temps
Jusqu’à présent et à quelques portages de blockbusters multiplateformes plus ou moins récents près (Skyrim, Doom, L.A. Noire ou très bientôt Wolfenstein II), la ludothèque de la Switch semblait compter deux points forts : d’un côté, les productions Nintendo, de Mario ou Kirby à Zelda en passant par des bizarreries comme Nintendo Labo, et, de l’autre, les créations des développeurs indépendants pour qui l’eShop de la Switch, malgré son interface très (très) perfectible, fait aujourd’hui figure d’eldorado. Un troisième pilier s’est cependant révélé peu à peu : le jeu rétro. La Switch n’est pas qu’une console hybride bien dans son époque. C’est aussi une épatante machine à voyager dans le temps.
Pourtant, on attend toujours l’arrivée d’un équivalent de la Console Virtuelle qui, sur la Wii, la Wii U et la 3DS permettait de s’essayer à certains des meilleurs jeux de la Super Nintendo, de la GameBoy, de la Nintendo 64 ou encore de la MegaDrive de Sega, de la PC Engine et même du Commodore 64. Si rien n’est officiellement exclu, les signaux qu’envoie Nintendo en la matière laissent plutôt imaginer le lancement d’une sorte de Netflix du jeu rétro aux contours encore incertains qui pourrait être intégré à son service de jeu en ligne payant dont le lancement est programmé pour l’automne. En attendant, les jeux rétro ne manquent pourtant pas sur la Switch mais, en la matière, les deux volumes de Mega Man Legacy Collection, avec leurs airs de petits musées à la gloire de la mascotte androïde de Capcom (que l’on complètera idéalement par la lecture du superbe L’Histoire de Capcom – 1983/1993 : Les origines paru chez Pix’n Love) font un peu figure d’exception. Car ce ne sont pas, à de rares exceptions près, les hits des consoles d’hier qui s’épanouissent actuellement sur la Switch mais, plutôt, des jeux issus d’un tout autre monde : celui des salles d’arcade.
L’autre grande anthologie Capcom parue ce printemps sur la console de Nintendo (en même temps que sur ses concurrentes) est révélatrice de cette tendance. Si l’essentielle (bien qu’assemblée avec peut-être un petit peu moins d’amour que le diptyque Mega Man), Street Fighter 30th Anniversary Collection rassemble 12 épisodes, du très moyen bien que fondateur Street Fighter de 1987 à Street Fighter III : 3rd Strike, pas trace ici de la moindre version console de ces glorieux jeux de combat : ce sont les jeux d’arcade qui s’offrent à nous tels qu’ils ont toujours été, avec même la nécessité de mettre virtuellement des pièces dans la machine pour jouer.
Rien de particulièrement déstabilisant pour les possesseurs de Switch qui se sont déjà laissés tentés par le vaste catalogue de rééditions de jeux, là aussi d’arcade, proposé sur la console par la société japonaise Hamster. Sa partie la plus visible est constituée des tubes de la Neo Geo de SNK, légendaire machine des années 90 qui fut à la fois une borne d’arcade et une console de salon (hors de prix, comme ses jeux). On y trouve une multitude de jeux de combat (The King of Fighters, The Last Blade ou notre chouchou farfelu Waku Waku 7) et des jeux d’action (dont Metal Slug), mais aussi des perles comme l’inusable jeu de golf Neo Turf Masters ou le puzzle game Magical Drop III (qui, peut-être plus que tout autre, révèle ce qui est au cœur de tous les héritiers de Tetris : la passion du rangement).
La magie opère
En parallèle, Hamster s’est lancé dans l’adaptation de classiques plus anciens de l’arcade en provenance directe des années 1980, plus (Double Dragon, Mario Bros.) ou moins (Traverse USA, Ikki) renommés. Là aussi, il faudra, d’une pression sur une touche de la Switch, ajouter des “crédits” à notre compte. Ce que l’on fait presque fiévreusement en cette chaude soirée de printemps qui se change insensiblement en nuit alors que, sans craindre les attaques extra-terrestres, on file sur la surface de la lune aux commandes du petit buggy de Moon Patrol. Le jeu a 36 ans et, pourtant, la nostalgie n’est pas pour grand-chose dans l’envoûtement que provoque l’œuvre minimaliste mais à la précision diabolique de l’éditeur japonais IREM. Ce n’est pas du retrogaming. C’est du jeu vidéo – du grand, du beau, de l’éternel.
La première spécificité de l’arcade, c’est l’urgence qui découle de son dispositif même, de son modèle (économique et esthétique). On n’est pas sur son canapé, devant sa console, à pratiquer un jeu acheté que l’on pourra relancer aussi souvent qu’on le souhaitera. A chaque seconde ou presque, tout peut s’arrêter et l’intensité du plaisir est inséparable de cette fragilité. L’arcade, c’est l’instant que l’on cherche à prolonger éternellement, qui s’étire, se tord et nous gobe pour finalement nous recracher, ébloui et hébété. L’arcade, c’est d’abord une expérience personnelle, un truc solitaire, les mains qui tremblent un peu, les yeux qui se perdent dans l’écran.
La PSP, la Vita, la 3DS et, dans une certaine mesure, les mobiles s’y sont un peu essayés. Des parties courtes mais intenses, éventuellement loin de chez soi : quelque chose de l’arcade cherchait à émerger sans totalement y parvenir à cause, selon les cas, de l’absence de boutons ou de la taille de l’écran. Et puis la Switch est arrivée et l’arcade a retrouvé un foyer. Ce n’est sans doute pas un hasard si, alors que la PlayStation 4 et la Xbox One viennent d’accueillir une fastueuse (et très recommandée) compilation de jeux MegaDrive (dont l’interface reproduit une chambre d’ado d’époque avec console, téléviseur cathodique et meuble débordant de cartouches de Golden Axe, Streets of Rage ou Sonic), cette dernière snobe la Switch qui, à la place, aura droit à des titres distribués à l’unité sous le label Sega Ages. On y trouvera des choses parues au départ sur consoles, mais aussi, donc, des jeux d’arcade (en commençant par le peu connu Gain Ground). Miam.
La meilleure console au monde ?
En attendant, on peut aussi retrouver sur la Switch certains classiques de Data East (Sly Spy, Bad Dudes vs DragonNinja) sous le label Johnny Turbo ou de Psikyo (Gunbird, Strikers 1945). Et surtout, depuis peu, le plus grand shoot’em up de tous les temps : Ikaruga. Son principe : d’une simple pression sur une touche, la couleur de votre vaisseau peut basculer du noir au blanc. Si l’ennemi est blanc (ou noir) aussi, vous devenez invulnérable à ses tirs mais ne lui causez que peu de dégâts. Si, en revanche, sa couleur est opposée, vous en viendrez à bout plus facilement (et marquerez plus de point) mais il pourra vous détruire aussi facilement. Le bouton de changement de couleur devient alors aussi important que celui du tir et c’est une gymnastique nouvelle qui s’impose à notre cerveau. Ikaruga n’est pas une vulgaire guerre spatiale mais une épopée mentale et sensuelle à la fois – un jeu parfait. Qui, sur la console transformiste, a l’avantage de pouvoir se pratiquer en retournant l’écran à la verticale, comme l’avaient voulu ses auteurs du studio japonais Treasure. L’arcade est morte (ou pas loin). Vive la Switch.
Mega Man Legacy Collection 1 et 2 (Digital Eclipse / Capcom), sur Switch, PS4, Xbox One et PC, environ 15€ par compilation
Street Fighter 30th Anniversary Collection (Digital Eclipse), sur Switch, PS4 et Xbox One, environ 50€
L’Histoire de Capcom – 1983/1993 : Les origines (Editions Pix’n Love, 300 pages, 44,90€
Sega Mega Drive Classics (Sega), sur PS4, Xbox One et PC, environ 30€
Arcade Archives et ACA Neo Geo (Hamster), sur Switch, 6,99€ par jeu
Ikaruga (Treasure / Nicalis), sur Switch, 14,99€
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