La Corée du Nord tient bon face aux menaces lancées tous azimuts par ses adversaires. Ses partenariats commerciaux constituent l’un des principaux piliers de sa survie. Analyse de la stratégie économique de Pyongyang.
La Corée du Nord, enclave communiste dirigée par la dynastie Kim, survit depuis 1948 malgré son isolation et les menaces récurrentes de ses adversaires. Plongée dans une guerre des mots avec les Etats-Unis, c’est moins sa stratégie économique que ses capacités militaires concrètes qui interrogent. Pourtant, celles-ci ne sauraient être dissociées. En témoignent les sanctions adoptées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour condamner les essais balistiques effectués en juillet par Kim Jong-un.
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Adoptée par l’ONU le 5 août, la résolution 2371 renforce certaines dispositions existantes en limitant les capacités commerciales de la Corée du Nord. Elle interdit notamment d’importer certains produits nord-coréens : le charbon, les minerais de fer et de plomb ainsi que les produits de la pêche. Si les sanctions visent l’essentiel des activités commerciales nord-coréennes, leur impact dépendront principalement de la Chine.
Le commerce nord-coréen : « marchéisation » de l’économie
La Corée du Nord, l’un des régimes les plus autarciques de notre ère, entretient néanmoins des partenariats commerciaux avec ses voisins. « Le pays s’est tourné vers une marchéisation« , explique Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et spécialiste des deux Corées.
Les éléments de l’économie nord-coréenne traditionnelle sont des outils politiques plutôt que des ressorts de l’économie socialiste du pays, indique le chercheur. Et de mentionner le « juseok« , un fond discrétionnaire que le dirigeant répartit entre les entreprises et lui permet de s’assurer leur loyauté politique, ainsi que les « recommandations de terrain » que donne le dirigeant lors qu’il rend visite aux entreprises (dont certaines photographies sont publiées sur le blog satirique « Kim Jong-Il looking at things »).
« Le problème économique de la Corée du Nord, et ça ne date pas d’hier, c’est qu’il lui manque des outils statistiques et une administration centralisée comme en disposait l’Union Soviétique. »
En mars 2013, Kim Jong-un a présenté sa stratégie « Pyung-jin » consistant à développer simultanément l’économie et les capacités militaires (et donc nucléaires). Un concept datant de 1962 et « remis sur le devant de la scène« , légitimant ainsi l’adoption de certains éléments d’une économie de marché. S’il est impossible d’évaluer sa part exacte sans connaître le PIB de la Corée du Nord, le commerce joue un rôle-clé dans la croissance économique du pays et l’amélioration du niveau de vie national. « Les exportations de matière première sont généralement le fait d’entreprises d’état et sources de revenu pour le régime », précise Antoine Bondaz.
La Chine, principal allié commercial
Principal partenaire commercial de la Corée du Nord, la Chine représentait 92,5% de la totalité de ses échanges en 2016, soit 6,55 milliards de dollars. En deuxième position, très loin derrière : la Russie avec 1,2%, selon les chiffres de la banque centrale de Corée du Sud (KOTRA).
Le voisin chinois a « pris une place primordiale au lendemain de la grande famine des années 1990″, estiment la coréanologue Juliette Morillot et le spécialiste de la Chine Dorian Malovic sur Mediapart. « Cette dépendance économique nord-coréenne à la Chine s’est accélérée lorsqu’elle a perdu ses partenaires commerciaux historiques depuis le début des années 2000« , indique Antoine Bondaz en désignant le Japon et la Corée du Sud.
C’est donc essentiellement de la Chine dont dépendra la mise en place effective des sanctions adoptées par l’ONU. Le ministère du Commerce chinois a indiqué dans un communiqué stopper « toutes les importations de charbon, fer, minerai de fer, plomb, minerai de plomb, d’animaux aquatiques et produits de la mer« . « Il est fort à parier que l’économie nord-coréenne subisse un choc très important du fait de ces sanctions », déclare Antoine Bondaz. Des sanctions qui reviendraient indirectement à priver la Corée du Nord de 1,5 milliards de dollars.
La Chine tente de pressurer la Corée du Nord en s'attaquant à ses exportations ► https://t.co/nCDHzQDgxE pic.twitter.com/y1imNe7JVT
— RFI (@RFI) August 14, 2017
Un commerce global
Mais la résolution 2371 s’applique à l’ensemble de ses partenaires commerciaux. Jusqu’en 2016, la Corée du Sud contribuait encore indirectement à l’économie nord-coréenne à travers la zone économique de Kaesong basée au Nord qui payait des ouvriers nord-coréens à fabriquer des produits ensuite réexpédiés vers le Sud.
La France, dont les échanges avec la Corée du Nord représentaient 12,8 millions d’euros en 2016 selon un article de BFMTV, est également concernée. Les produits nord-coréens importés en France comportent principalement des engins de chantier, du polymère et des matières plastiques, du matériel informatique (diodes, transistors) ainsi que des médicaments. Jusqu’à l’année dernière, l’entreprise Lafarge était le seul groupe français à posséder une participation dans une société nord-coréenne.
Les petites mains nord-coréennes à l’étranger
La résolution 2371 adoptée par l’ONU « interdit aussi à tous les Etats d’accueillir sur leur territoire davantage de travailleurs nord-coréens« , peut-on lire sur le site France Diplomatie. Et pour cause, les ressortissants nord-coréens travaillant à l’étranger pourraient rapporter à la Corée du Nord entre 1,5 et 2 milliards d’euros par an.
Leur nombre est estimé à 50 000 travailleurs forcés selon l’ONU et 100 000 selon les ONG sud-coréennes. Ils se répartissent dans plus de 40 pays : la Chine et la Russie (agriculture et sylviculture), mais également au Moyen-Orient (construction d’infrastructures) et en Europe, tout particulièrement en Pologne. Selon un reportage d’Arte, au moins 80% de leur rémunération irait directement dans les caisses de l’état nord-coréen : « placer des travailleurs en Europe est particulièrement lucratif pour le régime, les salaires y sont plus élevés qu’ailleurs dans le monde, une aubaine pour Pyongyang« .
A lire : Corée du Nord, plongée au coeur d’un Etat totalitaire, de Antoine Bondaz et Benjamin Decoin, éd du Chêne, 29,90€
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