D’un côté, le tout premier volet de la déclinaison vidéoludique des « Gardiens de la galaxie ». De l’autre, le quatrième épisode de la saison 3 de « The Walking Dead ». Le studio Telltale Games marque le printemps avec deux adaptations réussies qui répondent à l’un des grands désirs secrets de l’amateur de jeux vidéo : devenir un autre.
« Weird is the new normal » (« Le bizarre est la nouvelle norme » en VF), nous jure le raton-laveur Rocket au lendemain de la fête très alcoolisée dans un bar de l’espace au cours de laquelle l’équipe des Gardiens de la galaxie a fêté sa victoire contre Thanos, un super-méchant dont, pour être honnête, on ne pensait pas triompher si rapidement. Après tout, ce n’est encore que le premier épisode de la série vidéoludique dérivée des films et des comics Marvel qui, comme c’est généralement le cas avec les productions Telltale Games, en comptera cinq, divisés chacun en six chapitres et durant approximativement une heure et demie.
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Pas de grosse surprise de ce côté-là, donc, pas plus que du côté du système de jeu qui, comme dans les autres titres du studio californien (Batman, Game of Thrones, Tales of Borderlands, Minecraft : Story Mode…) repose sur une alternance de phases d’action à base de QTE (quick time events : le but est d’appuyer au bon moment sur la touche de la manette qui s’affiche à l’écran) façon Shenmue et de séquences dialoguées à choix multiples influant sur le déroulement de l’histoire. La routine, donc, estimeront ceux pour qui un jeu vidéo est d’abord un produit technologique dont la valeur se mesure à son degré d’innovation. La langue que parle les Gardiens de la galaxie version Telltale est effectivement connue et sa grammaire, bien établie. Mais son propos se révèle sensiblement différent des jeux qui l’ont précédé comme, surtout, sa voix.
On dit beaucoup – on l’a encore répété ici même il y a peu – que les adaptations (de BD, de séries, d’autres sagas vidéoludiques…) signées Telltale sont les héritières des légendaires jeux d’aventure de LucasArts (Monkey Island, Maniac Mansion…) dont sont issus les fondateurs du studio. C’est difficilement contestable, mais il serait peut-être plus pertinent de les rapprocher d’un autre genre majeur : le jeu de rôle. Bien sûr, les personnages de Telltale ne gagne pas de points d’expérience, ne changent pas de « niveaux », ne jonglent pas avec leurs potions et leur équipement. Mais l’essentiel est ailleurs : faire une partie des Gardiens de la galaxie, c’est d’abord jouer un rôle, en l’occurrence celui de Star-Lord. C’est se mettre à sa place, dans sa tête et dans sa peau. Pour en jouir et, parfois, en souffrir. Pour voir ce que ça fait.
Le principal intérêt de ces Gardiens de la galaxie est là : dans la possibilité qu’il offre au joueur d’être héroïque mais, aussi, fidèle à l’esprit des comics, de ne pas l’être. De se montrer un peu pleutre, un peu crétin, un peu grossier et maladroit, voire un peu vénal, et, quand l’envie le prend, c’est-à-dire, soyons franc, assez souvent, de fanfaronner. « Le bizarre est la nouvelle norme », disait donc Rocket. Ce que revendique le jeu a justement à voir avec ça : il s’agit, au fond, d’une sorte de droit joyeux à la bizarrerie.
Evidemment, comme toujours chez Telltale, l’interactivité est relativement limitée, tout comme la marge de manœuvre du joueur. Les QTE, en particulier, relèvent au fond de la direction d’acteur : le jeu donne des instructions au joueur qui, sous peine de voir s’interrompre immédiatement sa performance, n’a d’autre choix que de les suivre, d’appuyer sur X, sur A ou d’orienter le stick directionnel vers la gauche afin que son personnage bondisse dans la même direction. C’est une décomposition, une déconstruction de l’action, dont on apprend les gestes un par un. Mais l’essentiel est ailleurs, dans la tête du joueur plutôt que sur l’écran. Plus encore que de réflexion ou d’habileté, c’est une affaire de croyance et de volonté. Son intrigue est prometteuse et on aime son sens du tempo, mais Les Gardiens de la galaxie en jeu vidéo, c’est avant tout un chouette déguisement pour le cerveau.
Parallèlement à cette première incursion en terres Marvel, Telltale Games vient d’offrir un nouveau volet à sa saga reine, celle qui, après des années d’expérimentations et de tâtonnements, a fait sa réputation : The Walking Dead. Inspirées de la BD (plutôt que de la sérié télé), les sombres aventures zombies en sont au quatrième épisode de leur saison 3, qui vient confirmer le regain de forme du studio après plusieurs jeux moins marquants (Game of Thrones, Minecraft ou le très inégal mais vraiment pas nul Batman). S’ouvrant sur un flash-back ensoleillé et offrant, entre autres joyeusetés, une rencontre avec un médecin toxico suicidaire, « Plus fort que tout » – car tel est son titre – pose, peut-être plus que jamais, la question de (la) confiance.
Peut-on se fier aux autres, frère que l’on croyait mort (et avec qui les relations n’ont jamais été au beau fixe) ou quasi-inconnu, neveu qui a peut-être saisi ce qui se passe entre sa mère et nous ou, donc, docteur qui supplie ses visiteurs de mettre fin à ses souffrances. « Nous », c’est Javier, ancien professionnel de base-ball qui se révèle à lui-même comme aux autres dans la pire des adversités, sur les ruines encore hantées d’un monde disparu. Le jeu est un feuilleton, avec ses brusques renversements et ses cliffhangers tétanisants. C’est aussi une étape de l’étourdissante valse des identités à laquelle nous convie Telltale Games. Un jour Star-Lord, un autre Javier, un autre encore Bruce Wayne, Marty McFly ou Clementine : nous voilà merveilleusement peuplés. Bienvenue au bal masqué. La fête ne fait encore que commencer.
Marvel’s Guardians of the Galaxy : The Telltale Series (Telltale Games), sur PS4, Xbox One, PC, Mac, iOS et Android, de 5 à 6,50€ (épisode 1) ou de 20 à 24€ (saison complète)
The Walking Dead : The Telltale Series – A New Frontier (Telltale Games), sur PS4, Xbox One, PC, iOS et Android, de 20 à 30€ (saison complète)
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