[Partie 1/12] Obsédée par son chef, la journaliste Olympe Naularris a dû l’admettre : elle a un problème. Son choix ? Se désintoxiquer grâce aux Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes. Cette addict va suivre scrupuleusement les douze étapes d’un programme drastique calqué sur celui des Alcooliques Anonymes. Entourée de ses camarades anonymes, elle va démêler les mécanismes de la dépendance. Comment sortir des affres d’une libido déglinguée ? Pour le savoir, suivez le compte rendu intime, drôle et caustique de son sevrage. Premier épisode : le diagnostic.
Tout a commencé parce que j’avais très envie de baiser un de mes rédacteurs en chef. J’avais pris un café avec lui, un seul, et j’en avais pas dormi pendant trois semaines – littéralement. Or, quand on ne dort pas, on devient complètement con. Je l’ai invité six fois avant qu’il me réponde : “ben non…” Un râteau de la taille d’une pelleteuse, en ayant foulé aux pieds la règle d’airain : « Don’t shit where you eat« . Ça m’a à peine tiédie. Le temps que je réalise mon erreur, c’était devenu une obsession ; j’en rêvais la journée.
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Pendant des semaines, j’ai chouiné et procrastiné en boucle. L’envie était d’autant plus déchirante qu’avant lui ma libido était en état de mort cérébrale. Six mois plus tôt, j’avais quitté l’homme que j’aimais parce que je n’avais pas de désir, et maintenant je rêvais de violer mon chef.
D’abord, j’ai voulu voir un psy. “N’importe quoi. On ne va pas voir un psy parce qu’on a pris un râteau”, a tranché mon ex adoré. « Bienvenue dans le monde réel ». Ensuite j’ai essayé de trouver des dérivatifs. Je me disais que ce serait mieux que rien ; ça a été pire que tout. Quatre hommes en trois semaines, quatre fiascos, sans compter un rapport non protégé et l’irritation d’un vagin débordé par ce regain d’activité.
Les DASA, les Dépendants affectifs et sexuels anonymes
« Faut te rendre à l’évidence, tu collectionnes les rencards avec des sacs à merde« , a résumé un ami. « Depuis quinze ans qu’on se connait t’as le même problème : t’es souvent amoureuse de types inaccessibles ou indisponibles. Tu devrais venir aux réunions des DASA, les Dépendants affectifs et sexuels anonymes« . Dépendant, mon cul ; j’ai rien eu entre les cuisses pendant six mois avant d’enchaîner les traitements de substitution à mon obsession. « Justement, le samedi c’est sur l’anorexie affective« . Sauf que j’ai une dalle de l’enfer ; je pencherais plus pour la boulimie.
« Ce sont les mêmes mécanismes : le besoin de se remplir et la conscience que ça ne tient pas au ventre. DASA s’adresse à ceux pour qui le sexe et les relations affectives posent des problèmes récurrents. Viens à la prochaine réunion, voir ce que c’est. »
DASA existe depuis le milieu des années 70 aux Etats-Unis, quand un membre des Alcooliques anonymes de Boston qui trompait inlassablement sa femme a vaguement théorisé la « dépendance sexuelle ». Quelques années plus tard, en 1983, le Dr Patrick Carnes lui a emboîté le pas en publiant Sortir de l’ombre : Comprendre la dépendance sexuelle. Le livre de ce psychiatre, considéré comme un pionnier dans le domaine, a permis aux premières réunions de voir le jour dans la lignée des groupes de « self-help » très en vogue outre-Atlantique. Le programme des DASA est donc calqué sur celui des Alcooliques anonymes : une détox en douze étapes. L’idée d’arriver à l’étape où il faudrait demander pardon à tous ses plans cul, a fini par emporter mon adhésion. Rendez-vous samedi soir dans une salle du VIe.
Jusqu’à 10 fois par jour
Première réunion. Après les lectures d’usage, les participants « partagent » leurs histoires, chacun son tour en deux minutes. Les uns n’ont pas de partenaires parce qu’ils vivent en autosuffisance. C’est marrant, j’avais jamais considéré comme un problème le fait que mon pignolage compulsif (jusqu’à 10 fois par jour) me tienne lieu de vie sexuelle. De toutes façons je suis la seule à me faire jouir. Vraiment. Au point que lorsqu’un ami m’a proposé un stage de “méditation orgasmique » pour le chroniquer dans un journal, j’ai dû dire non : j’aurais été obligée de bidonner. Il n’y a que moi qui sais comment faire, et ça ne fonctionne que quand je suis seule – donc pas en groupe de 10 avec un coach.
Les autres évoquent une boulimie de sexe ou une addiction à leur partenaire. Jusque-là, ça me parle peu. Et puis une jeune femme expose son problème : elle fantasme sur son chef. Sauf que le sien il est moche, dit-elle. (Alors que le mien, c’est un titan.) Il l’obsède, comme moi. Depuis peu, comme moi. Ça l’a prise comme ça, un beau matin, comme moi. J’ai rien d’original en fait. C’est dingue cette propension qu’ont les femmes à vouloir coucher avec des figures d’autorité, comme si le pouvoir était une putain de MST… Mais soudain elle éclaire ma lanterne : il ne s’agit pas de pouvoir, il s’agit d’hyper-sexualisation. En réalité, elle voudrait juste qu’il lui dise : « mince, c’est extraordinaire le boulot que tu abats, et avec un talent incroyable en plus !« . Mais comme c’est pas près d’arriver, elle a transformé son attente en : j’ai envie qu’il me prenne sauvagement sur son bureau. Sauf que ça risque pas d’arriver non plus, il est marié et père de famille – si ça arrivait, ce serait encore plus merdique.
Première étape
Hypersexualiser chaque pan de sa vie, le boulot, la colère, les amis, le stress, tout, c’est un premier signe de dépendance. Il en existe d’autres. L’autarcie – le fait d’être la seule à se faire jouir en fait partie. Le choix de partenaires pas disponibles. Le sentiment de différence et de solitude à l’égard des autres. La peur de l’intimité/ la multiplication des partenaires. L’incapacité à faire confiance/ la tendance à faire confiance à n’importe qui. Le manque d’amis / le trop-plein d’amis. La compulsion à la séduction ou au sexe / l’immobilisme ou l’engourdissement intérieur…
Bref, tout ce que tout le monde a ressenti au moins une fois, et son contraire. Si aucun de ces schémas n’est récurrent, ou si vous ne le vivez pas comme un problème, ça ne vous concerne pas. Pour être sûre de ne pas perdre son temps, il faut faire le test d’auto-diagnostic en 40 questions sur le site des DASA.
Première question : avez-vous déjà essayé de contrôler la fréquence de vos relations sexuelles ? Non. Haha. Je suis une amatrice d’œnologie égarée à une réunion des AA. Ensuite. Avez-vous perdu la notion du nombre de partenaires sexuels que vous avez eus ? Oui. Etes-vous incapable de concentrer votre attention sur d’autres domaines de votre vie parce que vous êtes préoccupé par une autre personne ? Oui. Vous surprenez-vous en train de penser de façon obsédante à une personne en particulier ou à un acte sexuel et cela vous fait-il sentir en manque ? Bordel de merde… Je vous laisse découvrir les autres, j’ai répondu oui à 31 questions sur 40. A la prochaine réunion, je me cherche un « sponsor ».
Première étape : Admettre qu’on est impuissants devant notre dépendance affective et sexuelle (et que ça nous bousille la vie).
Olympe Naularris*
(*) Olympe Naularris est le pseudonyme d’une journaliste pigiste pour de multiples titres de presse écrite. Elle tient à préciser ceci : « Les règles de l’anonymat, très strictes dans ces réunions, m’obligent à protéger doublement mes sources – y compris moi. C’est donc un récit à la première personne, sous pseudo, sans citation, où je n’entrerai dans les détails qu’à travers mon expérience.”
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