Pendant plusieurs mois, une jeune journaliste s’est engagée dans “En marche !”, incognito et gonzo. Elle nous raconte.
Trois jours après mon premier meeting, j’ai rendez-vous avec le comité d’arrondissement. J’entre dans le café et je suis visiblement en retard. Il y a déjà une trentaine de personnes assises en ovale qui occupent les trois quarts du café. J’aperçois Georges et Murielle en tête de table. Je suis au bon endroit.
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Une très jeune fille, Sixtine, c’est son nom, se démène avec succès pour me faire une place à côté d’elle. Georges me demande de me lever et de me présenter “Dis-nous pourquoi tu es là, chère Rosanna”. Comme un seul homme, trente sourires identiques se tournent simultanément vers moi. Je leur sers ma réponse – que j’ai vécu aux Etats-Unis et en Angleterre et que j’ai vu ces deux pays prendre peur, se radicaliser et regretter leur choix, je voudrais m’engager dans mon pays pour contribuer à empêcher ce genre de gouvernement.
”Elle s’arrête jamais”
Ils semblent en être satisfaits et la vie reprend son cours. Ma voisine m’informe que le thème abordé aujourd’hui est l’écologie. En effet, une personne sur quatre tient entre ses mains un dossier de couleurs verte et blanche. Murielle s’engage dans un débat avec elle-même sur l’histoire du terrorisme aux Etats-Unis et ma charmante voisine essaye de l’interpeller en levant la main et en se mettant en avant. Ceux qui sont à côté de nous l’encouragent carrément à lui couper la parole. L’un deux me regarde l’air mi exaspéré mi complice “sinon elle s’arrête jamais.”
L’agacement général finit par se faire sentir et Murielle est finalement prévenue que Sixtine a une question. Sixtine donc, prend la parole et, armée de son sourire adorable et de son éducation irréprochable accuse Murielle d’être totalement hors sujet, obtenant ainsi la grâce et les remerciements de chacun. Je lance un regard à Murielle qui doit probablement faire semblant de ne pas être vexée et qui, tâchant de rester digne, continue de parler dans sa barbe.
Je décide donc d’exploiter la franchise déconcertante de Sixtine et de lui demander comment fonctionne le groupe. J’apprends que Murielle s’est greffée à Georges mais qu’elle n’est pas chef du comité, ni rien du tout d’ailleurs. “Seulement prof d’histoire à la retraite ! Elle aime être en bout de table et essayer d’animer le débat mais elle finit toujours à côté de la plaque. Elle a un problème avec le pouvoir je crois”, me confie Sixtine en pouffant. Elle me montre ensuite Robert du doigt qui renvoie la balle en nous faisant un clin d’œil et en levant les deux pouces en l’air. Il doit avoir dans les 80 ans. Il porte un survêtement et des lunettes bleu ciel toutes rondes dont les verres épais floutent sa convergence. “Robert est à fond ! Il s’occupe du tractage. Je l’adore.”
Ensuite elle me montre sa sœur, qui se trouve être à ma gauche. “Et là c’est mon père ! C’est moi qui l’ai convaincu, il était parti pour voter Fillon, j’ai bien travaillé !” Je suis épatée par le drive de Sixtine. Sixtine étudie la chimie à Strasbourg et arrive parfaitement à combiner ses études et son engagement. Elle revient pratiquement tous les week-ends “en grande partie pour faire du tractage avec Robert”, l’inarrêtable. Ces deux-là sont liés comme les doigts de la main.
Je demande à Sixtine pourquoi elle vote Macron. Elle me répond que c’est le seul qui a de l’audace et qui correspond à ses valeurs de future femme, et de l’idée qu’elle se fait d’un monde moderne, notamment du modèle familial. “Les gens savent pas quoi dire quand on leur demande pourquoi ils ne votent pas Macron, ils n’aiment pas le personnage, alors que c’est de notre pays dont il s’agit. Du coup c’est assez facile de les persuader.”
4 avril, c’est le soir du grand débat avec tous les candidats. Mon comité m’a gentiment conviée à partager ce moment avec mes amis adhérents. Et ça tombe bien, je pète la forme. Il y a de quoi : un home cinéma avec des gens unis pour la même équipe devant, ça veut ditre une ambiance au niveau stratosphérique assurée.
C’est pas un open bar
Je me souviens qu’au premier rendez vous d’arrondissement auquel j’avais assisté, tout le monde s’enfilait des verres. Je ne bois pas la semaine mais je me donne comme objectif ce soir de me fondre dans le décor. Je ne lésine donc pas. Je commande un verre de vin dès que j’arrive. Une petite salle au fond du café a été privatisée. Les gens sont assis sur des chaises devant l’écran. J’ai dix minutes d’avance et déjà, il n’y a plus de place.
Un homme de 70 ans m’apostrophe en me montrant la chaise libre à côté de lui. Il commande une milanaise au serveur qui m’apporte mon verre. Juste avant que le débat commence un homme en polo et coupe de collégien se lève et prie tout le monde de ne pas oublier de payer ce qu’il a commandé en partant. “La dernière fois, Stéphane est parti en dernier et a dû régler ces pseudos oublis. Impossible de retrouver ceux qui se sont cru à un open bar.”
Tout le monde est plié. Stéphane fait un peu la gueule. Des mains compatissantes viennent taper sur ses épaules. Dès que mon septuagénaire de voisin reçoit son escalope, il m’en propose la moitié, sans doute parce qu’elle fait la taille de la table. Ce gars-là a l’air d’avoir envie de discuter, je décide de zoomer sur son cas. Je lui demande si il fait parti des indécis ou si il est certain de voter Macron. Il me répond que ça ne fait pas de doute pour lui et que c’est la première fois de sa vie qu’il ne vote pas par défaut.
Alors je lui demande ce qui le séduit autant. Mais j’oublie au fur et à mesure. Il faut dire que je suis un peu pompette. J’ingurgite mon troisième verre à une allure effrénée. Je l’entends marmonner un truc tantôt abscons tantôt hyper ordinaire. Je suis plutôt obnubilée par la femme curieuse à côté de lui que je vois un peu flou et qui tweette comme une folle et vote sur Facebook comme le hashtag du débat nous encourage à le faire. Le serveur débarrasse la milanaise du monsieur qui a arrêté de me parler depuis un moment puisque je devais sacrément avoir l’air endormi. J’ai le hoquet alors je demande un thé. Je suis partie dans les premiers pour ne pas avoir à faire la queue pour payer.
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