La totalité des documents secrets dévoilés par le lanceur d’alerte américain Edward Snowden sera peut-être un jour accessible à tous. La crème des experts internationaux de la surveillance électronique et des pionniers de l’archivage de ces leaks se sont rencontrés pour la première fois à Berlin lors de la Transmediale, mus par l’envie partagée de sauver de l’oubli cette mine d’informations sur les services de renseignement américains.
On ne connaît aujourd’hui toujours pas le nombre exact de documents qui ont été copiés par Edward Snowden depuis les serveurs de la NSA en 2013, lorsqu’il travaillait comme analyste pour la puissante agence de renseignement américaine. Pas même son ancien employeur, qui estimait quelques mois après la fuite que celui-ci dépassait largement le million.
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Deux ans et demi après que le lanceur d’alerte a remis ces documents secrets aux journalistes Glenn Greenwald et Laura Poitras, seules quelques centaines de documents ont été rendus publics. Faute de moyens ou par opportunisme, comme se le voient reprocher les rares journalistes qui ont accès aux fichiers par certains défenseurs de la transparence, les informations sont diffusées au compte-goutte dans la presse internationale. À ce rythme-là, il faudrait des milliers d’années pour explorer la mine d’informations communiquée par Edward Snowden.
Banque de données la plus importante de l’ère digitale
Tous les experts réunis ce matin-là à Berlin le savent, mais ce n’est pas là leur préoccupation principale. Ils se soucient plutôt de rendre accessible au plus grand nombre les documents qui ont déjà été révélés dans la presse, de manière à ce qu’ils servent de ressources à d’autres recherches. Autour de la table, des spécialistes des services de renseignement américains, des représentantes d’ONG, des pionniers de l’archivage des documents révélés par Edward Snowden, invités à partager leurs savoirs et leurs idées par la plateforme de journalisme citoyen Berliner Gazette, qui a organisé ce workshop à l’occasion de la Transmediale, festival berlinois dédié à la culture post-numérique.
L’effervescence est palpable dans la petite salle de réunion où est réunie la vingtaine de participants. La plupart d’entre eux se rencontrent pour la première fois, leurs yeux brillent de la conscience commune qu’ils sont en train de jeter les bases de ce qu’ils estiment être la banque de données la plus importante de l’ère digitale : les archives Snowden. Le jeune programmeur américain M. C. McGrath, fondateur de l’organisation Transparency Toolkit, qui met à disposition des internautes différents softwares gratuits leur permettant d’espionner à leur tour la NSA, est venu présenter la base de données en ligne Snowden Doc Search, qu’il a mise au point avec le soutien de l’ONG Courage Foundation. Ces archives recèlent à ce jour plus de 500 documents communiqués par Edward Snowden, reconstitués à partir des fragments publiés dans la presse et tous accessibles via une recherche par mots-clefs et par le biais de l’utilisation de filtres tels que les agences de renseignement concernées, les noms de code des programmes de surveillance ou encore les pays mentionnés. « Même si la plupart des gens qui s’intéressent aux nouvelles révélations qui sortent dans la presse sont des spécialistes ou des gens qui travaillent sur cette question, tous les documents peuvent contribuer à une compréhension à plus vaste échelle. Plus on les lit, plus on comprend ce qui se passe », explique Naomi Colvin, membre du bureau londonien de la Courage Foundation.
D’autres projets d’archives en ligne sont représentés, tels le pionnier Cryptome, une plateforme américaine qui liste uniquement les extraits de documents publiés dans la presse, et le site The Snowden Digital Surveillance Archive, hébergé par l’organisation Canadian Journalists for Free Expression. Son fondateur, Andrew Clement, professeur de politique de l’information à l’Université de Toronto, a lancé l’an dernier cette base de données qui regroupe à la fois des extraits des documents secrets et les articles de presse dans lesquels ils sont cités. « J’essaye de faire en sorte que les gens puissent les étudier, d’aider les universitaires et les journalistes dans leurs recherches », explique Andrew Clement qui, sans critiquer ouvertement le travail des journalistes d’investigation, se dit préoccupé par le fait que « les documents qui ont été publiés n’ont jusqu’ici pas assez été utilisés activement pour parler des agences de sécurité et des entreprises impliquées. »
Tout Snowden dans une boîte
La discussion autour des différents projets se transforme peu à peu en brainstorming. Quid d’une « Snowden App » qui « préviendrait les utilisateurs en temps réel chaque fois qu’un nouveau document est rendu public ? », lance André Rebentisch, spécialiste de la politique numérique de l’UE. Et pourquoi pas organiser des cryptoparties pour initier les citoyens aux subtilités du langage codé utilisé par la NSA ? Les participants s’accordent sur le fait que ces archives devraient également être rassemblées sous la forme d’un livre, de manière à permettre à ceux qui les consultent d’échapper à la surveillance électronique. Frauke Mahrt-Thomsen, bibliothécaire à la retraite et membre du réseau Kritische Bibliothek, estime que les bibliothèques publiques constitueraient un refuge idéal, « puisqu’il s’agit de lieux non-commerciaux dans lesquels on peut consulter des livres de manière anonyme ».
L’informaticien canadien Evan Light, chercheur à la Concordia University, pense avoir trouvé la solution avec son projet Snowden Archive-in-a-Box, pendant autonome de The Snowden Digital Surveillance Archive. Il a rassemblé tous les documents actuellement disponibles dans un Raspberry Pi, ce nano-ordinateur qui a les dimensions d’une carte de crédit. « Tout est parti d’une question technique : comment consulter ces archives sans être surveillé ? », explique-t-il. Les instructions permettant de construire soi-même ces mini-archives portatives sont disponibles sur le site. Grâce à cette invention, le musée de l’Université de Cambridge est désormais lui aussi dépositaire des archives d’Edward Snowden.
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