Avec “Intime & Politique”, la réalisatrice Ovidie interroge les notions de féminisme, d’éducation, et de transmission. Sorti ce dimanche 1er décembre, le premier épisode s’intéresse plus particulièrement à la question du harcèlement de rue.
Comment éduquer une ado quand on est mère et féministe ? C’est à cette question ambivalente que s’attelle Ovidie dans une série de documentaires sonores produit par Nouvelles Ecoutes. Avec Intime & Politique, la réalisatrice nous plonge dans une conversation longue et intime avec sa fille de 14 ans. L’occasion d’aborder les questions de violences de genre, et la notion de transmission. “En tant que féministe, j’ai envie de lui dire que la rue lui appartient comme à n’importe qui. Et en tant que mère bah j’ai envie de la garder en sécurité”, résume Ovidie dans le premier épisode, « Juste Avant », abordant le harcèlement de rue. Pour interroger ce dilemme, le micro est également tendu à certains de ses proches, comme les journalistes Clarence Edgard-Rosa (journaliste et autrice de Connais-toi toi-même) et Xavier de La Porte. Au programme des épisodes à venir : la vision du couple, l’éducation sexuelle, ou encore l’épineuse dichotomie entre la maman et la « putain ». Un podcast à la fois touchant et éclairant.
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— Nouvelles Écoutes (@NouvEcoutes) November 25, 2019
Comment avez-vous pris conscience que vous étiez une femme et plus une petite fille ?
Ovidie – J’ai pris conscience de mon genre surtout à partir du moment où on me l’a fait sentir, c’est-à-dire à partir du moment où j’ai commencé à sentir les regards dans la rue et où ils ont commencé à changer. J’ai été éduquée de manière égalitaire avec mes frères donc je n’avais pas forcément conscience de ça, mais le vrai choc a été au moment où l’on a commencé à me klaxonner dans la rue. Ce harcèlement de rue a commencé très tôt, vers mes 12 ans. Et a atteint son climax l’année de mes 14 ans ; c’est devenu de l’ordre du quotidien.
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Dans “Intime & Politique”, vous vous interrogez sur comment conjuguer convictions féministes et éducation de son enfant. D’où est partie l’idée d’un documentaire prenant la forme d’une conversation avec votre fille ?
A partir du moment où ma fille a eu elle-même cet âge-là, tous ces souvenirs sont revenus à la surface comme si c’était hier. Et je me suis demandé : “Vit-elle des choses que je ne perçois même pas ?” L’épisode 1 questionne cette ambivalence entre mes convictions féministes et mon désir de lui dire : “l’espace public est autant à toi qu’à n’importe qui, et tu t’habilles comme tu veux”, tout en voulant la protéger plus que tout du harcèlement de rue. Je ne veux pas qu’elle vive ce que j’ai vécu à son âge, je préférais même le vivre à sa place et qu’elle reste à la maison pendant ce temps (rires). Dans mon échange avec mon amie Clarence Edgard-Rosa, elle explique qu’elle aussi a subi la même chose, mais que d’un autre côté, si l’on n’apprend pas à développer des stratégies de survie, on n’apprend pas non plus à contourner les dangers. Tout est donc parti de ce gros dilemme.
Qu’est-ce que “l’hyperlucidité féministe” et en quoi peut-elle être parfois compliquée à gérer au quotidien ?
A un moment donné, quand on a une conscience féministe, c’est comme si l’on voyait toutes les réalités de la société à travers ce prisme des violences de genre. Avec ce podcast, je voulais montrer en quoi cela peut aussi être lourd à porter au quotidien. Je baigne tellement dans ces problématiques féministes que, forcément, j’ai du mal à ne pas les avoir en tête au quotidien. Et quand je laisse partir ma fille à l’école le matin, j’ai en tête toute une série de chiffres sur le harcèlement de rue. Et ça devient d’autant plus compliqué lorsque cela touche quelque chose ou quelqu’un que je ne peux pas contrôler : ma fille a le droit de commencer à avoir sa propre autonomie. Mais la laisser vivre avec tout ce prisme des violences sexistes crée une sorte d’angoisse supplémentaire et soulève des questions très précises comme : “Dois-je la laisser sortir en short ou pas ?”. Le vêtement est ici finalement un prétexte qui cristallise beaucoup d’autres interrogations.
Qu’est-ce qui a changé depuis le podcast, cela a-t-il du coup permis de libérer la parole au sein de votre famille ?
C’est un dilemme qui ne peut pas être résolu, il faut être claire. Mais on parle beaucoup plus de ces questions-là désormais. C’était le but : mettre certaines problématiques sur la table et en discuter d’égale à égale. Je ne reste désormais pas seule avec mes craintes en imaginant le pire, et, elle, n’a plus la sensation que je l’étouffe. Une étude de 2018 révèle que dans notre département, plus de 73 % des femmes interrogées disent avoir été harcelées dans la rue et les transports en 2018. Et les adolescentes en sont les premières victimes. Ce sont des chiffres très élevés, mais qui sont médians par rapport au reste de la France. J’aborde souvent ce sujet dans le cadre de mes interventions en santé sexuelle dans certains collèges et lycées. Un jour, l’une d’entre elles m’a raconté qu’elle avait essayé d’en parler avec sa mère qui avait tout de suite paniqué. Alors depuis, elle préfère éviter le sujet. Ça a créé en moi une sorte de déclic : je n’ai pas envie d’élever ma fille dans un climat de peur, et j’ai envie qu’elle se sente à l’aise de m’en parler, surtout.
Dans le documentaire, vous parlez d’une forme de banalisation du harcèlement de rue dans les années 90 qui faisait que l’on n’en parlait même pas au sein de la famille. Cela faisait partie du quotidien des jeunes femmes en quelque sorte. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui selon vous ?
La sémantique a beaucoup évolué depuis les années 1990. Le mot « harcèlement » (sexuel, moral, ou scolaire…) en lui-même fait partie de nos conversations. Il est clairement entré dans notre vocabulaire. Dans les établissements scolaires où je me rends, plusieurs affiches sont placardées sur les murs. Le personnel est correctement formé sur cette question, et des choses sont mises en place. Il a fallu plusieurs années avant que l’on considère ces actes comme étant réellement graves. Le terme « consentement » est également davantage utilisé. Ce sont des évolutions très positives. A partir du moment où l’on reconnaît l’existence de ces phénomènes et qu’on les verbalise, c’est plus facile d’identifier aussi des victimes. Par rapport à ma génération, les adolescentes ont pris conscience du fait que ces situations ne sont pas normales, et qu’il existe des moyens de les dénoncer, de dénoncer ces violences sexistes, ces comportements inappropriés. Elles sont davantage conscientisées.
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En quoi la figure de l’exhibitionniste a-t-elle changé selon vous ?
Il y a eu un déplacement de son mode d’action. Aujourd’hui, le mec qui envoie des dick pic non-sollicitées est le même que celui d’avant qui attendait les adolescentes à la sortie de l’école pour leur montrer son sexe. L’idée reste la même finalement : déranger, choquer, et asseoir une forme de domination en exhibant son pénis. Il y a clairement eu une prise de conscience du problème et on ne les voit quasiment plus à la sortie des collèges. Le phénomène n’a pas disparu mais s’est finalement déporté sur le web. Les exhibitionnistes ont investi l’espace numérique – qui n’en reste pas moins un espace réel aussi. Quand je pose la question aux lycéennes, la quasi-totalité d’entre elles ont déjà reçu des dick pic sur les réseaux sociaux. Des hommes créent par exemple de faux comptes Snapchat – l’un des réseaux sociaux les plus utilisés par les adolescents – et envoient des photos de leur sexe à des jeunes filles.
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A un moment donné vous discutez avec le journaliste Xavier de La Porte qui dit ceci : “Je ne saurais pas transmettre la bonne réaction parce que je ne sais pas ce que c’est. On a beau me le raconter, ça me laisse très désemparé.” En quoi l’expérience du harcèlement de rue est-elle nécessaire pour comprendre ce qui se joue véritablement ici ?
Cette phrase résume tout le problème. Au moment de la naissance du mouvement #MeToo, nous travaillions ensemble chez Radio Nova. Il a été visiblement ébranlé par l’ampleur des violences sexistes. Et à travers cette phrase, ce qu’il veut dire c’est : “J’entends ce que vous dîtes, mais le fait est que je n’en ai pas l’expérience dans mon propre corps. Donc je ne l’intègre pas complètement dans sa réalité.” Admettre que l’on ne vit pas les mêmes réalités, c’est très honnête. Et il termine même en disant : “Du coup, je ne suis pas bien placé pour en parler”. C’est une réponse très saine finalement que de dire : je ne peux pas parler à la place des autres mais je les écoute.
Propos recueillis par Fanny Marlier
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