En seulement une année, l’association de protection animale a déjà réalisé une trentaine d’enquêtes chocs. William Burkhardt, l’un de ses cofondateurs, revient pour “Les Inrocks” sur leurs actions.
Nouvelle venue dans le milieu de la protection animale, DxE France est déjà à l’origine de plus de trente enquêtes réalisées au sein d’élevages intensifs. L’association a été montée par deux anciens militants de L214, William Burkhardt et Léa Dubost. Les cofondateurs sillonnent les routes de France dans le but de montrer, en photos et en vidéos, la dure réalité qui se cache derrière les barquettes de viande à bas coût vendues dans nos supermarchés.
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DxE France épingle régulièrement des géants de l’agroalimentaire en diffusant des images prises dans les élevages qui fournissent ces marques, consommées par une grande partie de la population. Après 36 enquêtes menées en élevages ou en abattoirs, dans lesquels elle a constaté saleté, mutilations et cadavres qui jonchent le sol, l’association dénonce les conditions dans lesquelles les animaux sont détenus. Y compris dans les établissements qui n’enfreignent pas la réglementation imposée aux éleveurs par l’Etat, laquelle est censée protéger les animaux des maltraitances.
William Burkhardt revient pour les Inrocks sur les actions menées par DxE et expose les limites d’une réglementation trop laxiste pour permettre de garantir des conditions de vie respectant les besoins physiologiques de l’animal. Entretien.
Quel est le but poursuivi par DxE France et en quoi consistent vos actions ?
DxE fonctionne sur le même modèle que L214. Nous faisons des enquêtes vidéo pour que les Français constatent directement comment est produite la viande qu’ils mangent, et ce, afin qu’ils puissent voir de leurs yeux les maltraitances qui sont infligées aux animaux. Nous allons surtout dans des élevages de porcs et de poulets. Parce que ce sont les animaux les plus consommés, mais aussi ceux qui sont élevés de la manière la plus intensive.
Les cochons et les poulets sont dans un tel état que les images parlent d’elles-mêmes. Le but est donc de laisser les gens tirer leurs propres conclusions, et d’agir par eux-mêmes. Nous voulons vraiment faire le maximum d’enquêtes pour montrer que ces traitements sont récurrents, et on invite tous les journalistes qui veulent le faire à se rendre dans des élevages avec nous.
Nous invitons aussi des députés, comme par exemple Bastien Lachaud (député La France insoumise qui avait suivi DxE dans un élevage porcin en mai, ndlr) ou encore des personnalités comme Stomy Bugsy (qui, idem, a fait une vidéo aux côtés de l’asso en février, ndlr). On a monté l’association en octobre 2018, et, en un peu moins d’un an, nous avons publié 36 vidéos.
On ne milite pas pour quoi que ce soit. On veut juste donner à voir ce qui se passe à travers nos photos et nos vidéos, en montrant des images d’animaux enfermés, dans des lieux très sales, parfois baignant dans leurs excréments, qui finissent par se manger entre eux tellement ils s’ennuient. On espère ainsi que les gens prennent conscience de la réalité des élevages intensifs. McDonald’s, c’est de l’élevage intensif, Herta, c’est de l’élevage intensif, et peut-être qu’en voyant la barquette de jambon au supermarché, les gens repenseront à nos images et prendront conscience de ce qu’ils achètent. Parce que, en fait, tout est fait pour que cette réalité soit cachée.
Vous parliez de la réalité que cachent les élevages intensifs aux consommateurs. Pouvez-vous décrire ce que vous découvrez la plupart du temps lorsque vous vous infiltrez dans ces établissements ?
Dans les élevages intensifs, neuf fois sur dix, on trouve des cadavres, des dizaines de tablettes de médicaments, des seringues, des scalpels extrêmement sales, des insectes, des cafards, des animaux mutilés et des bennes remplies de cadavres… Les cochons, lorsqu’ils décèdent, sont séparés des autres, placés dans un petit couloir avant d’être, seulement dans les jours qui suivent, mis à la poubelle. Et encore, il y en a tellement que les éleveurs ne se cassent même pas la tête à les mettre dans la poubelle… Il nous est arrivé de visiter des élevages où les cochons morts, dans un état de décomposition avancé, étaient laissés au milieu des vivants.
Normalement, les cadavres doivent être sortis de l’élevage, pour qu’un camion d’équarrissage vienne les récupérer au bout de maximum 48 heures. Sauf que, dans chaque élevage, il y a des cochons décédés tous les jours. Par conséquent, les camions ne peuvent pas passer assez fréquemment.
Dans les « maternités » on trouve souvent des petits porcelets morts au milieu des vivants et d’autres en train d’agoniser. Les truies sont enfermées dans des cages dans lesquelles elles peuvent uniquement se lever ou se coucher, pas se retourner. Les éleveurs les enferment pour éviter qu’elles n’écrasent leurs petits. Or, les truies font 300 kg et sont enfermées avec leurs porcelets dans un espace qui fait environ 1 mètre 80 de long, soit tout juste leur longueur, pour une largeur équivalente. Dans cet espace, elles ont à peine la place pour se coucher, alors, forcément, elles risquent d’écraser leurs porcelets.
Plutôt que de leur donner plus d’espace, la solution que les éleveurs ont trouvée pour éviter cela a été de les enfermer. Elles restent dans ces cages pendant plusieurs mois. Selon la réglementation, elles ne peuvent pas y rester plus de six mois dans l’année, ce qui est déjà énorme, mais, dans les faits, il n’y a aucun contrôle et ce n’est pas possible d’en faire. Comment contrôler le temps d’enfermement d’un animal ? C’est impossible.
Quand les éleveurs leur retirent leurs porcelets, après environ vingt jours d’allaitement – contre deux à quatre mois dans la nature -, elles sont remises en enclos avec d’autres truies, ou bien dans ce qu’on appelle un « réfectoire ». Ce sont des cages, qui font juste leur taille, dans lesquelles elles ne peuvent pas non plus se retourner. Ensuite, elles sont réinséminées, retournent à la « maternité » et ainsi de suite.
Ce qui est frappant dans les élevages que l’on a visité, c’est l’odeur. Elle est pestilentielle, les animaux restent enfermés toute leur « vie » dans ces bâtiments, ils ne sortent jamais et baignent parfois dans leurs excréments. A peu près un quart des établissements que nous avons infiltrés n’avaient même pas de fenêtre, donc pas d’air qui circule – et, quand il y en a, elles sont souvent tellement sales que la lumière du jour ne peut même pas passer à travers.
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Constatez-vous régulièrement des infractions à la réglementation dans les élevages ?
Non, la majorité du temps la réglementation est respectée. Le problème, c’est qu’elle est trop floue, et qu’elle n’empêche pas les souffrances. Par exemple, en ce qui concerne la lumière, il est simplement dit que les animaux doivent être exposés à une certaine quantité de lumière dans la journée. Mais la loi ne précise pas si l’éclairage doit être naturel, donc les élevages qui n’ont pas de fenêtre, ne contreviennent pas à la réglementation si des éclairages artificiels sont installés.
Parfois, ils laissent la lumière allumée tout le temps. Pour les poulets par exemple, c’est fait délibérément pour que les animaux soient plus « actifs », c’est-à-dire pour qu’ils mangent plus et qu’ils grossissent plus vite. Mais, de manière générale, les normes sont tellement laxistes qu’elles permettent à des élevages de détenir des animaux dans des conditions déplorables, qui ne permettent pas de respecter leurs besoins physiologiques, sans pour autant être en dehors de la réglementation.
Ainsi, mettre les truies dans des cages minuscules est dans les normes, laisser les porcs respirer l’ammoniac de leurs excréments jusqu’à ce que certains en meurent, c’est également dans les normes. Les castrer sans anesthésie, leur limer les dents pour éviter qu’ils ne se mordent parce que leur enclos est trop petit, et leur couper la queue, ça l’est aussi. Tout ça, ce sont des maltraitances animales, faire ça à un chien c’est bien considéré comme de la maltraitance et puni par la loi. Pas pour les cochons.
Ceux-ci, quand ils sont confinés dans des espaces trop petits, se mordillent les uns les autres toute la journée parce que l’ennui les rend fous. Ils ont les oreilles et le petit bout de queue qui leur reste en sang. Et ça, c’est connu des éleveurs, il y a plein de livres professionnels qui l’expliquent. Dans la nature, les cochons passent leur temps à renifler la terre et la retourner avec leur nez, ils mâchouillent ce qu’ils trouvent en permanence. Sauf que là il n’y a rien, il n’y a que du béton donc ils se grignotent les uns les autres.
https://twitter.com/DxeFrance/status/1159553520158281728
Les actions de DxE se concentrent-elles uniquement en France ou intervenez-vous également à l’étranger ?
En général nous enquêtons dans des élevages Français mais, au mois de juillet, nous sommes partis en Chine avec l’aide de l’association Stéphane Lamart, qui a financé le voyage. On voulait aller filmer dans un élevage de chiens destinés à la consommation, pour interpeller la population. Une minorité de la population en Chine consomme du chien, mais, en Europe, c’est considéré comme quelque chose de choquant. On voulait donc montrer comment se passe l’abattage d’animaux que nous considérons comme des compagnons, qui sont proches de nous, parce que cela touche plus. L’idée avec cette enquête était de dire que ça se passe pareil chez nous pour les cochons, les vaches et les poulets, et que si on est choqué pour les chiens, il n’y a pas de raison de ne pas l’être pour les autres animaux.
Nous n’avons finalement pas pu faire de vidéo dans un abattoir de chiens, parce qu’aucune association locale n’a bien voulu nous donner une adresse, de peur que les autorités fassent fermer leurs refuges. Par ailleurs, en ne parlant pas chinois, c’était un peu compliqué. Mais nous avons pu aller dans un refuge qui recueille des chiens sauvés par des activistes chinois, ainsi que sur un marché aux chiens.
Au départ, ils sont vendus comme animaux de compagnie dans des toutes petites cages, mais on sait très bien que, s’ils ne sont pas vendus, ils finissent à l’abattoir. Là-bas, une minorité de la population considère que les chiens d’élevage sont faits pour être mangés, ici on considère que les cochons et les poulets sont faits pour être mangés, et les chiens pour être câlinés. Mais ce n’est qu’une construction, ça n’existe pas un animal fait pour être mangé.
Propos recueillis par Adeline Malnis
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