Dans son livre « La formation des bandes », Marwan Mohammed dresse le portrait type des jeunes dont les médias ne parlent généralement qu’au travers de faits divers violents. Son ambition : observer dans la durée, de l’intérieur et non plus « par la fenêtre », les mécanismes sociaux qui amènent des jeunes dans la rue et (re)produisent des homo bandus.
Une bande n’est pas un gang, même si elle verse dans la petite délinquance ou ce que Marwan Mohammed nomme « le banditisme bancal ». Le sociologue (voir notre entretien) la définit avant tout comme un groupe informel, dont la durée de vie oscille autour d’une dizaine d’années. Sa finalité serait sociale avant d’être matérielle.
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Mais comment se forment exactement les parcours déviants de ces jeunes qui peuvent faire du bizness et en même temps cacher une clope ou un joint quand des proches de la famille passent à proximité ? Pour y répondre, Marwan Mohammed vit sur place, il rencontre constamment les jeunes, leurs familles et a travaillé au collège du coin.
Dans la cité des Hautes-Noues, l’homo bandus type a entre 14 et 23 ans. Il est majoritairement issu d’une famille nombreuse* aux revenus modestes. Il aurait décroché scolairement lors de ses premières années d’école primaire et entamé sa carrière déviante au début du collège. Il a découvert assez tôt le petit trafic de stupéfiants, le bizness, et est désormais moins vu « de l’extérieur » comme un fils d’ouvrier que comme un descendant d’immigré.
Déclin économique et ennui
« La petite Venise » était le surnom de la cité des Hautes-Noues avant qu’elle ne devienne une zone urbaine sensible. Le déclin social et économique de la cité s’est amorcé dans les années 80-90 et coïncide « avec la disparition de secteurs entiers de la production économique ». Une « désouvriérisation » du territoire marquée par un développement du secteur tertiaire, par la féminisation et la précarisation des emplois.
Des bandes se sont formées et avec elles une histoire et des mythes propres au quartier (bagarre, histoires, héros…). Elles s’organisent autour de la gestion de l’ennui, n’ont pas véritablement de chef sinon quelques leaders (cela dépend de leur taille) et ne comptent pas de filles en leur sein. C’est un groupe de pairs qui commet des impairs, résume le chercheur. Mais attention, quand l’horizon devient purement criminel, on ne parle plus de bandes mais d' » équipes spécialisées »
La déviance se renforce au collège
Arrivé dans la cité à l’adolescence, éducateur, animateur local, responsable associatif, Marwan Mohammed a passé trois années au sein de l’équipe du collège des Prunais, situé à proximité de la cité. Si les bandes recrutent davantage « au fond de la classe », un second profil de jeunes se dessine. Ces derniers ont une scolarité dans la norme qui peut basculer à tout moment.
Malko était un élève en classe de cinquième, considéré comme turbulent mais « gérable ». Un jour, le ton monte avec son professeur de mathématiques. Ce dernier l’empoigne devant une bonne partie de la classe pour l’emmener voir la direction. Malko, « conscient des enjeux publics de la scène », dégage son bras en ajoutant : « Tu me touches pas, tu vas faire quoi ? Moi je suis pas ton bolos ! » Marwan Mohammed explique que du côté des enseignants, cet incident a quasiment débouché sur une grève (sur fond de tensions déjà existantes) et surtout changé la vision que ces derniers avaient de Malko, « laissant place à une ‘hostilité’ de principe à son égard » et à un nouveau régime de sanctions.
Dans le même temps, Malko a gagné en notoriété auprès de ses camarades – « T’es trop un ouf », « Comment tu l’as mis à l’amende ! » – et dans la cité, où quelques « grands » lui demanderont le soir même de re-raconter son histoire. Une soudaine popularité qui demandera à se confirmer. Un pas de plus vers la déviance
Préférer « le dehors »
Ayant pénétré la sphère familiale de ces jeunes, Marwan Mohammed constate que le discours de l’institution scolaire a tendance à imposer aux parents un certain « regard sur eux-mêmes ». Il produirait du conflit lorsqu’il est contesté et de la fragilité au sein de la famille quand il est accepté. Lors du retour à la maison, surtout au sein des familles nombreuses, le chercheur montre comment le « dehors » (la rue) peut parfois être préféré au « dedans » (le foyer).
Les jeunes des bandes estiment souvent que l’ambiance familiale est « flinguée ». Les parents sont parfois jugés comme des « ratons » ou des « crevards » car ils ne donnent pas d’argent de poche, ce qui incite à la débrouillardise pour ne pas vivre « sur leurs côtes ».
Le smic : style minimal d’intégration conformiste
Concept de Marwan Mohammed, le « style minimal d’intégration conformiste » désigne ce qui constitue le matériel minimum que les jeunes des bandes estiment nécessaire de posséder : des choses banales comme des lecteurs MP3, des portables, des vêtements de marque, des ordinateurs, que la plupart des parents sont dans l’incapacité financière de fournir.
Les jeunes des bandes se procurent leur smic en volant des « bolos » lors de sorties aux alentours, sur Paris et parfois dans les manifestations d’étudiants où ils se sentent « hors sujet » quant aux revendications exprimées. Alors ils viennent « foutre le bordel ». Seule la cause palestinienne a amené une bande du quartier à aller défiler de République à Nation.
Pendant les émeutes de 2005, les « petits » du quartier des Hautes-Noues étaient très actifs (affrontements avec des policiers, feux de poubelles et quelques voitures brûlées). Evoquant d’éventuelles nouvelles émeutes d’ampleur en France, Marwan Mohammed constatait à la fin de notre entretien : « Il n’y a pas d’étincelle en ce moment mais le gaz fuit toujours. »
Geoffrey Le Guilcher
*Le nombre moyen d’individus vivant dans un logement en Ile-de-France est de 2,34. Ce chiffre atteint 7,1 pour le public des bandes étudiées.
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