Serge Dassault est décédé à l’âge de 93 ans. Extorsion, chantage, menaces : relisez notre enquête publiée en 2010 qui démontrait que l’industriel a littéralement voulu acheter la paix sociale à Corbeil.
Un jour de 2007, Vincent débarque dans le hall de la mairie de Corbeil. Il est accompagné de quatre jeunes de la cité. Ils demandent Jacques Lebigre. « On nous a fait descendre au sous-sol. Lebigre était tout seul dans une salle de réunion. Il nous demande ce qu’on veut. On lui répond : de l’argent pour nous payer le permis de conduire. Il dit qu’on n’a qu’à travailler. »
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Harold, un garçon de 25 ans, était avec Vincent dans le bureau de Lebigre.
« Pour le convaincre, il ne fallait pas être gentil, sinon il te la mettait à l’envers. Je l’ai menacé en disant que je savais qu’il distribuait du fric aux jeunes en période d’élections, que je savais ce qu’il cachait. »
Vincent termine : « On lui a dit que s’il ne signait pas, on allait revenir et ébruiter l’affaire. Il est devenu tout rouge et nous a proposé de revenir régler ça un autre jour. Un midi, dans le hall de la mairie, il nous a mis à l’abri des regards, il a sorti de sa poche cinq bouts de papier pliés et nous les a distribués en nous serrant la main. C’était cinq chèques. Quatre de 980 euros, à l’ordre de l’auto-école. Le mien était de 1 000 euros, à mon ordre et signé de Serge Dassault. J’avais dit à Lebigre que j’avais déjà avancé l’argent pour mon permis et qu’il fallait qu’il me rembourse. »
Au téléphone, nous soumettons ces deux témoignages à Jacques Lebigre : « Présentez-les moi, ces jeunes qui racontent ça ! Nous avons en mairie un dispositif officiel pour financer jusqu’à 800 euros le permis des jeunes qui présentent un dossier.
– Mais vous souvenez-vous de cette anecdote précise de février 2007 ? – Je suis incapable de vous dire si c’était en février 2007 ou n’importe quand, je vois défiler tellement de gens… Certains, effectivement, n’ont pas toujours à notre égard des propos qui conviennent mais ils appartiennent à une autre manière de se comporter.
– Donc, vous ne niez pas avoir fait l’objet de pressions ? – Si cela fait plaisir à vos témoins d’utiliser cette expression, c’est leur problème, pas le mien.
– Ils disent qu’ils rackettaient Dassault. – Ce terme leur appartient. Mais posez-donc la question à monsieur Dassault !… Nous avons un dispositif pour aider des jeunes. Qu’ensuite il y en ait qui soient un peu plus turbulents ou pressants que d’autres, oui, c’est vrai. Nous avons en face de nous des gens dé-so-cia-li-sés.
– Avez-vous personnellement remis à des jeunes des chèques signés de monsieur Dassault ? – Posez la question à monsieur Dassault. – Non : à vous… – Les anecdotes, c’est impressionnant, mais ce qui m’intéresse, moi, c’est la quantité de jeunes que nous avons pu aider avec le permis de conduire. J’en suis fier. »
Chez les amis de Vincent et d’Harold, le nom de Lebigre, ce maire adjoint aux cheveux gris, portant costume, sacoche à main et verres fumés, était devenu fameux. Mais la vie de Lebigre va changer. Le 18 septembre 2007, à 6 heures du matin, il ferme la porte d’entrée de sa villa de Corbeil et traverse son jardin. Il n’a pas le temps d’atteindre sa voiture.
Trois hommes lui sautent dessus, le jettent à terre, le bourrent de coups de pied et de poing, volent sa sacoche et ses clés et le laissent tuméfié et couvert d’hématomes. Les journaux parlent d’une attaque de voleurs de voitures.
« Lebigre aurait promis 10 000 euros à un grand frère »
On a recueilli, dans les cités de Corbeil et dans les rangs de la police, une autre version. Un commissaire des Renseignements généraux de Corbeil qui enquêtait sur une autre affaire dans les cités de la ville nous la raconte.
« J’ai recueilli les témoignages de plusieurs jeunes sur l’agression de Lebigre. Ces témoignages, tous concordants, racontent une même histoire de dette. Lebigre aurait promis 10 000 euros à un grand frère. L’argent n’aurait jamais été versé et le grand frère lui aurait donné une correction. »
Nous racontons ce témoignage à Jacques Lebigre. Voici sa réponse : « Ce n’est pas sérieux. N’importe qui peut dire n’importe quoi. Et puis c’est tellement facile de pointer le doigt sur des jeunes des quartiers ! Les gendarmes n’ont retrouvé personne. »
Depuis son agression, le maire adjoint s’est retrouvé dans les pages du Canard enchaîné (du 25 août 2010), portraitisé en « porteur de valises » pour le compte de Serge Dassault. Et comme ayant signé des chèques à un délinquant lors des élections municipales de 2008. A quoi Lebigre avait répondu : « Je signe des chèques à qui je veux. »
Selon Luigi, c’est en période électorale que les loulous des cités de Corbeil essaient de tirer le maximum de la générosité de Serge Dassault. « Une élection à Corbeil, c’est l’instant open-bar. C’est la période où des jeunes mettent la pression sur la mairie pour lui prendre de l’argent ou des jobs ».
Le 29 mars 2010, par exemple, quarante jeunes des cités, tous entre 16 et 25 ans, débarquent à la séance du conseil municipal. Quelques-uns portent des T-shirts « Dassault, du boulot ». Ils se regroupent au fond de la salle. Au milieu des débats, on les entend crier : « Dassault, tiens tes promesses ! »
Un conseiller municipal connaît la plupart de ces jeunes. Il explique leur coup de force :
« Le tribunal administratif avait rendu Dassault inéligible en l’accusant d’avoir fait des dons d’argent qui auraient pu altérer la sincérité du scrutin. Il avait dû céder la place à son adjoint Jean-Pierre Bechter. Les jeunes venaient montrer qu’ils veillaient à ce que le nouveau maire n’oublie pas les promesses d’emploi que leur avait faites Dassault. »
François, un ancien éducateur de 36 ans, aujourd’hui employé à la mairie, connaît ces jeunes qui sont venus manifester. « Ils m’ont raconté que des collaborateurs de Dassault, dans des réunions d’appartement ou sur des marchés, leur avaient promis une insertion sociale, du boulot, des appartements, s’ils aidaient à faire voter pour Dassault. Sans ça, je peux vous assurer que ces jeunes n’auraient jamais voté pour l’UMP ! »
{"type":"Banniere-Basse"}