Face au cyber-harcèlement qui devient de plus en plus problématique, le gouvernement prépare une loi. Des justiciers du net n’ont pas attendu que l’Etat réagisse et luttent, sur Facebook ou Twitter, pour que les réseaux sociaux redeviennent des endroits sûrs.
La sanction tombe le 13 décembre 2017. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat chargé du numérique, annonce avoir demandé à l’entrepreneuse Marie Ekeland, alors à la tête du Conseil national du numérique (CNNum), de revoir la composition de cette nouvelle instance. Dans le viseur du gouvernement ? Le rappeur Axiom et l’écrivaine Rokhaya Diallo, qui ont essuyé de sévères critiques sur les réseaux sociaux.
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Mounir Mahjoubi a demandé à Marie Ekeland de proposer une nouvelle composition du CNNum, qui a « besoin de sérénité pour travailler ». pic.twitter.com/AcHfX4BSql
— Lucie Ronfaut (@LucieRonfaut) 13 décembre 2017
La militante féministe a, en effet, été victime sur Twitter de cyber-harcèlement groupé : des messages de haine coordonnés avec la volonté de nuire. Au milieu de cette nuée de tweets, un post de la député Les Républicains Valérie Boyer résume les revendications des détracteurs de Rokhaya Diallo. Selon elle, l’activiste ne peut tout simplement pas faire partie du CNNum car elle « considère le voile comme ‘un marqueur de féminité’ » et se bat contre ce qu’elle appelle « un racisme d’Etat ».
Nominations de @RokhayaDiallo et du rappeur #Axiom au Conseil national du numérique : alors que les Français exigent de leurs responsables politiques de la cohérence, je souhaite mettre la lumière sur plusieurs contradictions d’@EPhilippePM pic.twitter.com/0YsMOd9ZFw
— Valérie Boyer (@valerieboyer13) 13 décembre 2017
« J’ai très violemment vécu ce moment, raconte aux Inrocks Rokhaya Diallo. J’ai dû faire face à des réactions coordonnées à la fois de l’extrême droite mais aussi d’une certaine partie de la gauche. Pendant cette campagne de dénigrement sur Twitter, j’étais invitée en Egypte par l’ONU pour parler de la haine sur internet… C’était bouleversant et ironique. Je suis toujours stupéfaite par l’ampleur qu’a pris cet événement ».
Toute la population concernée
Rokhaya Diallo fait, malheureusement, partie de ces très nombreux internautes qui se font régulièrement et massivement harceler sur les réseaux sociaux. Ce phénomène est évidemment lié à « l’écran qui permet d’être anonyme, protège et rend moins réelles les insultes », explique la sociologue Nathalie Dupin, qui fait partie du Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis).
Elle réalise une thèse sur le cyber-harcèlement mais fait également partie de l’association « e-Enfance » qui essaie de protéger les enfants des dangers d’internet. De par son travail au sein de cet organisme, la doctorante explique que le cyber-harcèlement touche toutes les strates de la population et même les personnes âgées. « Nous avons parfois des adultes qui nous appellent car il n’existe aucune ligne d’écoute pour eux. Une fois nous avons eu un sexagénaire qui pensait avoir rencontré une jolie femme russe amoureuse de lui et n’arrivait pas à regarder en face le chantage dont il était victime ».
Le phénomène a pris une telle ampleur aujourd’hui que la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a décidé de faire du cyber-harcèlement en groupe un « délit », a-t-elle expliqué auprès de 20 minutes.
« La nouveauté avec cette loi, a-elle-ajouté, c’est que même si vous n’avez participé à du cyber-harcèlement qu’avec quelques tweets, ou quelques messages sur des forums, vous pourrez être condamné. C’est ce qu’on appelle des raids, par exemple quand 200 internautes s’acharnent sur une même personne ».
Face à l’urgence de la situation, certains n’ont pas attendu l’action du gouvernement pour le combattre. Que ce soit des groupes ou des utilisateurs lambdas, ils ont enfilé le costume de justicier des réseaux sociaux pour répondre à l’échec des géants du web (Facebook, Twitter, Youtube…) et du gouvernement à lutter contre la haine sur internet. C’est le cas de l’association des “Féministes contre le cyber-harcèlement”. Lancée à la fin de l’année 2015, elle est composée de cinq jeunes femmes, faisant à la fois partie du monde du travail comme du monde étudiant.
La prévention avant tout
C’est dans une conversation groupée sur Twitter que ces cinq militantes féministes se sont rencontrées, nous a racontés Johanna Soraya Benamrouche, qui fait partie de ses membres fondateurs. Si elles ont décidé de créer l’association c’est parce que deux jeunes femmes victimes de revenge porn (le fait de partager des photos sexualisées d’une personne sans son consentement) sont venues leur demander conseil.
« Elles avaient entrepris beaucoup de démarches, notamment judiciaires, pour faire retirer les contenus en ligne afin de se défendre auprès de leur employeur ou de leur lycée car elles subissaient énormément de pression et étaient en grande détresse psychologique. On a alors commencé à les soutenir, à chercher des solutions », raconte Johanna Soraya Benamrouche.
Mais rien n’y fait. Le réseau social à l’oiseau bleu reste sourd aux signalements de masse des activistes. Elles décident alors de lancer un hashtag « Twitter against women ». Bingo ! Des dizaines de milliers de personnes utilisent ce mot-valise pour témoigner.
L’association Féministes contre le harcèlement, qui se décline sur Facebook, Twitter, Instagram et Tumblr, entend « lutter contre les armes de silenciation massive que sont les cyberviolences et les raids, et pour se ré-approprier les espaces desquels les femmes, les féministes, les groupes marginalisés tels que les personnes handicapés, racisées lgbtqia sont exclues ». Elle informe sur le sujet, traduit des enquêtes étrangères, anime des cafés et tables-rondes, crée des infographies…
Pour rappel :
???? 1 adolescente sur 4 déclare être victime d’humiliations et de harcèlement en ligne concernant son attitude. pic.twitter.com/DWZPgu82pH— FéministesVsCyberH (@VsCyberH) 1 avril 2018
L’un de ses principaux combats est surtout de faire de la pédagogie. Selon Johanna Soraya Benamrouche, il est bien que Marlène Schiappa agisse mais le plus important est la prévention. La jeune féministe martèle qu’il faut que l’Education nationale, mais aussi les travailleurs sociaux, les plannings familiaux, les juges et les policiers soient formés afin d’avoir les clés pour briser le cercle vicieux des cyberviolences.
La prévention est également un volet important de l’association « e-Enfance » qui intervient du Ce2 jusqu’à la Terminale afin d’aborder le sujet. Cela permet de montrer que le cyber-harcèlement, même s’il ne se passe pas à l’école, « concerne des élèves de la même classe, impacte le climat scolaire et les victimes voient leurs notes chuter », explique la doctorante Nathalie Dupin.
Des héros du quotidien
Prendre le temps de discuter avec des personnes harcelées, les conseiller sur les démarches juridiques à engager, lutter contre le cyber-harcèlement, c’est aussi ce que font, à leur petite échelle, Rokhaya Diallo, la blogueuse CrêpeGeorgette, le médecin Baptiste Beaulieu ou encore le journaliste Mathieu Brancourt. Ce dernier, qui travaille au sein de la revue de l’association « Aides », a récemment lui-même fait les frais de la violence qui gangrène les réseaux sociaux en recevant une menace de mort : « On te fera la peau ».
« J’ai évidemment signalé le tweet tout en sachant que j’avais peu de chance que Twitter fasse quelque chose, raconte-t-il. Et on m’a effectivement répondu que le message n’enfreignait pas les règles du réseau social. J’ai alors tweeté cette réponse et grâce à un nombre important de retweets, Twitter a finalement suspendu le compte à l’origine de la menace de mort ».
Si cette menace de mort a touché Matthieu Brancourt, il précise que celle-ci n’a rien avoir avec la campagne de haine contre laquelle a dû se battre Nadia Daam. La journaliste d’Arte a été la victime des internautes du forum 18-25 ans de jeuxvideo.com, entre attaques contre ses comptes électroniques, injures pornographiques, menaces de mort, menaces de viol, menaces sur enfant et tentative d’intrusion à son domicile au milieu de la nuit.
J’ai demandé à @Twitter et à @WebediaFR de prendre leurs responsabilités pour que cesse le cyber-harcèlement @claranote @nadiadaam pic.twitter.com/7TYvfBZ04s
— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) 3 novembre 2017
Pour défendre des personnes harcelées, le jeune militant LGBT explique que plusieurs techniques existent, comme répondre calmement aux tweets insultants, bloquer les trolls, signaler les messages, rédiger des tribunes ou encore lancer des hashtags. « Par exemple, face à un hashtag qui disait « Si mon fils est gay je le tue », un autre, intitulé « LGBT glow up » (ndlr : appelant les personnes LGBT à poster des photographies d’elles avant/après coming-out), lui répondait. C’est le moyen de créer des bulles protectrices avec des messages positifs pour des utilisateurs oppressés. La solidarité existe aussi sur les réseaux sociaux. Je me souviens, par exemple, d’un jeune gay qui avait annoncé sur Twitter vouloir se suicider. L’intervention de nombreux Twittos avait permis de le retrouver et de le sauver ».
Rokhaya Diallo se sert également de Twitter pour signaler des messages et soutenir des personnes opprimées. « J’ai parfois aidé des utilisateurs qui venaient me parler en privé et qui étaient isolés. On me demande comment je fais face à certains messages, comment je réagis. Je donne les coordonnées d’avocats. En fait, je me sers de mon compte Twitter comme d’une plateforme étant donné que je bénéficie d’une certaine exposition ».
Si Facebook, Twitter et Youtube utilisent, en vain, algorithmes et modérateurs pour contenir la violence qui s’y déverse, les personnes harcelées peuvent finalement compter sur l’aide de super-héros improvisés, qui, même sans pouvoirs surnaturels, peuvent les aider à s’en sortir.
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