Il est l’orateur le plus doué des Primaires républicaines. Le plus à droite aussi. Entre sa gestuelle de pasteur et ses obsessions bibliques, Ted Cruz séduit de plus en plus d’Américains conservateurs. Reportage dans le New Hampshire sur les traces du grand rival de Donald Trump.
C’est l’orateur républicain le plus doué. Le plus à l’extrême-droite aussi. Gestuelle, rhétorique, obsessions bibliques : on a constaté l’étendue de ses talents vénéneux dans une salle des fêtes du New Hampshire.
Manchester, Etats-Unis. Bigot, pro armes et plus encore : des candidats croisés ces derniers jours dans les primaires du New Hampshire, le sénateur d’extrême-droite Ted Cruz s’est montré le plus habile micro en main. Le Texan se démarque des adversaires directs, perçus comme trop mous (Jeb Bush), stéréotypés (Marco Rubio) ou vulgaires (Donald Trump). Dans une campagne qui s’attache pour l’instant plus à la forme qu’à la substance, c’est un avantage certain.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’importance du New Hampshire, première primaire de ces élections américaines, est disproportionnée pour le plus grand plaisir des habitants, qui voient les candidats défiler à leur porte pendant des semaines. Les fortunes politiques se font et se défont dans les restaurants ou les salles polyvalentes. Ces petits comités sentent une odeur désuète d’Amérique agrarienne, comparés aux grand-messes télévisées au’on verra par la suite. Les candidats y sont ultra-accessibles, et donc très vulnérables. Ils tentent de ravir les cœurs des électeurs, qui en retour se comportent comme des divas et décident pour qui voter au dernier moment – quand ils se déplacent.
Une dégaine de pasteur télévangéliste
Ted Cruz, vainqueur des caucus de l’Iowa la semaine dernière, sait qu’il ne réitèrera pas sa performance : l’électorat ultra religieux, son cœur de cible, est sous-représenté ici. Ça ne l’empêche pas de labourer le terrain pour vendre sa potion texane pour l’Amérique : moins d’Etat, port d’arme inaliénable et messianisme religieux.
Cruz arrive avec trente minutes de retard dans la salle surchauffée. Au centre, une boule à facettes pend presque à hauteur d’homme. Son discours durera quinze minutes, suivies de dix minutes de questions-réponses et cinq minutes de selfies. Puis il repart à l’autre bout de l’Etat, comme un vendeur de remèdes miracles dans le Far West de Lucky Luke. Passage en revue de ses points forts :
Sa gestuelle. Comparé à un Bernie Sanders, qui pointe un index accusateur monotone, ou un Trump carrément clownesque, Cruz détient une panoplie de pasteur télévangéliste, avec un côté crooner par-dessus le marché. Micro main gauche, il balade sa main droite avec douceur et précision, tantôt en l’air, tantôt sur le cœur quand il « jure devant Dieu ». Ses silences sont calculés. Il les accompagne en plissant les yeux et haussant les sourcils dans une mimique « opération vérité » qui a fait mouche plusieurs fois. Il utilise l’espace un maximum.
Il coche toutes les cases du Bingo conservateur
Sa voix. Peut-être son meilleur atout. Il en joue formidablement bien, elle semble plus sincère que son visage. Cruz alterne punchlines sèches et longues incantations avec une facilité confondante. Les mots coulent comme du miel pour les vétérans de l’armée présents dans la salle. Toutes les cases du Bingo conservateur sont cochées en un quart d’heure : « protéger nos libertés », « droits sacrés », « Bible », « mode de vie menacée », « Second amendement », « Reagan », « frontière ». En termes négatifs, on retrouve « Obama », « impôts », « Washington », « Congrès » (Cruz en fait pourtant partie).
Ted Cruz est connu pour brosser les électeurs dans le sens de l’anxiété et de la haine de l’autre, ce qui déplaît au parti, qui aimerait un champion plus consensuel. Il semble y avoir réfléchi : à une électrice qui exprime son malaise à accorder charité chrétienne et expulsion des illégaux, Cruz réplique par cette formule applaudie : « Je ne ferme pas la porte de ma maison parce que je hais mes voisins, mais parce que j’aime mes enfants ».
La religion comme solution
Ted est fils de pasteur. Ou plutôt, comme il l’explique, fils d’un born again : son père a « d’abord été un alcoolique avant de franchir le pas d’une église et de trouver Dieu ». Quand un jeune électeur, Joe Reid, lui demande ce qu’il compte faire pour enrayer l’épidémie d’héroïne qui ravage l’Etat, Cruz invite les toxicomanes à se guérir par la religion, en prenant l’exemple de son père. Sa haine de l’Etat providence, qui amollit le peuple américain. « Le gouvernement n’est pas une nourrice qui vous aide à vous brosser les dents ».
Sa position « anti establishment ». C’est le mot repoussoir de ces primaires. Etre de l’ « establishment » aujourd’hui, c’est un peu comme avoir la gale. Il faut s’en éloigner à tout prix. Ted Cruz, qui est sénateur à Washington, tente tant bien que mal de s’extraire de sa position de Congressman en rappelant qu’il vote à chaque fois en opposition contre « les démocrates qui ruinent le pays ».
Son discours terminé, Ted Cruz a droit à une standing ovation. Au nom de l’American Legion de Manchester, un vétéran lui remet solennellement un drapeau américain brodé. Jack Kimble, représentant local du Tea Party, en est convaincu : « Nous tenons notre nouveau Reagan ».
{"type":"Banniere-Basse"}