L’ONU a récemment dénoncé la culture du viol systématique instaurée en Syrie par les combattants pro-régime. Mais au-delà des faits, le pouvoir en place a surtout démocratisé cette pratique pour terroriser et réprimer l’opposition.
Jeudi dernier, l’ONU affirmait que des soldats de l’armée syrienne et des membres des milices pro-régime perpétraient régulièrement des viols et des violences sexuelles à l’encontre des populations civiles en Syrie. Aujourd’hui c’est Libération qui, à l’aide de témoignages de plusieurs ex-cadres et agents du régime, revient sur l’utilité de cette pratique pour le pouvoir en place.
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Une véritable stratégie militaire
Les dérives ont commencé dès 2011. Les combats font rage, et Bachar al-Assad souhaite consolider sa position à la tête de la Syrie. En plus de bombarder des civils, celui que l’on surnomme « docteur » à cause de ses études d’ophtalmologue, va instaurer secrètement une nouvelle tactique pour accroître son pouvoir: le viol.
Les membres des forces armées syriennes vont alors recevoir la consigne d’agresser sexuellement des opposantes directes ainsi que des proches d’opposants. « Un officier des services de renseignement militaire m’a dit : ‘Ces gens doivent être tués. Nous devons violer les femmes. Nous devons tout faire pour les arrêter’« , se remémore un ancien lieutenant de l’armée syrienne, interrogé par Libération.
« On va baiser toutes les femmes pour les punir ! »
« Nous avons reçu l’ordre de notre chef de faire tout ce que l’on veut. Cela veut dire que les filles sont en danger maintenant », se souvient quant à lui un ancien haut fonctionnaire, désormais réfugié en Turquie. « Allez baiser les femmes de leurs familles ! Faites tout ce que vous voulez ! Personne n’aura à rendre de comptes », lui avance un jour le directeur des services de renseignement de l’armée de l’air, devant lui.
Fadel Tlass était alors agent de renseignement, et a assisté à plusieurs viols qu’il dénonce maintenant. « Un jour, ils ont arrêté une lycéenne de 17 ans pour l’interroger sur son frère qui faisait partie de l’opposition. Je l’ai aperçue, dans la salle des interrogatoires. Elle était toute nue et elle pleurait. Elle a ensuite été emmenée dans le bureau d’Okab Abbas (colonel du régime, ndlr) et il l’a violée, m’a dit un de mes collègues. » Quelques jours plus tard, un proche collaborateur de son supérieur lui déclare: « Tu penses qu’on va laisser le régime tomber ? On va baiser toutes les femmes pour les punir ! » Peu de temps après, il démissionnera, écœuré par ces agissements.
Réprimer les manifestations et les révolutions
Peu à peu, le viol de femmes, parfois d’hommes, se banalise dans les rangs de l’armée syrienne. Cette pratique devient presque légitime pour les dirigeants, qui trouvent là un moyen de faire peur aux contestataires et à leurs proches. Une punition extrême, pour ceux qui « osent » s’insurger contre le régime de Bachar al-Assad. Une véritable tactique de guerre, qui va permettre au gouvernement de contrôler les manifestations, et tuer dans l’œuf les embryons de révolution.
Les cas et les témoignages similaires sont légion, et démontrent que les forces armées pro-al-Assad procèdent ainsi (au moins) depuis 2011. Dans ce contexte, il est très difficile d’imaginer que les hauts dirigeants n’étaient pas au courant de ces pratiques. Au mieux, ils les ont tolérées. Au pire, ils les ont encouragées, si ce n’est ordonnées.
L’enfer des prisons syriennes
« Les viols et autres actes de violence sexuelle font partie d’une agression répandue et systématique visant la population civile, et s’apparentent à des crimes contre l’humanité », dénonce un rapport de la Commission internationale d’enquête sur la Syrie, publié le 15 mars dernier.
Mais le pire se passe sûrement dans les geôles du régime syrien. Oum Ahmad, gardienne de prison, témoigne dans Libération: « Dès que les manifestations ont commencé, en mars 2011, les agents ont distribué une pilule contraceptive aux détenues, tous les jours avec leur repas. (…) Les gardes m’envoyaient aussi vérifier si les femmes avaient leurs règles ou pas », explique-t-elle. « J’ai vu des choses horribles. Tellement horribles que je ne peux pas les décrire. En trois mois, mes cheveux sont devenus blancs », affirme-t-elle. Pour avoir dénoncé ce système, Oum Ahmad finira derrière les barreaux, et sera à son tour violée par des gardes.
Des milliers de viols impunis
Pour les femmes incarcérées qui ne prennent pas la pilule contraceptive, certaines ont forcément fini par tomber enceinte à cause des viols à répétition. Mais c’est à croire que les forces armées avaient déjà tout prévu. Dès qu’un gardien prend connaissance de la grossesse d’une détenue, il lui offre des cachets « pour la fortifier ». Mais il s’agit en fait de pilules abortives, qui engendre un avortement chimique non-volontaire.
Plus de 7 700 femmes ont été la cible de violences ou de harcèlement sexuel de la part des forces pro-al-Assad. Plus de 800 cas ont eu lieu en prison. Mais dans un pays où le viol est aussi tabou, les chiffres sont considérablement minorés. D’autant plus que Bachar al-Assad en a fait une nouvelle arme de guerre redoutable, parmi son arsenal déjà très fourni.
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