Pour le second tour de l’élection présidentielle, on a suivi Hadama Traoré, le responsable d’une antenne jeunesse à Aulnay-sous-Bois – ville où Jean-Luc Mélenchon était largement arrivé en tête au premier tour – et initiateur d’un mouvement citoyen, la « Révolution est en marche ».
“Zut j’ai oublié ma carte d’électeur !” Il est environ 18h30 non loin du quartier des Etangs, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), et Hadama Traoré, casquette gavroche vissée sur le front, vient à peine de nous prendre en voiture en bas de chez lui qu’il faut faire demi tour. Voilà, le document est récupéré : le désormais médiatique responsable d’une antenne jeunesse de cette ville de banlieue parisienne – récemment marquée par la triste affaire Théo à la cité des 3000 – va pouvoir mettre son bulletin dans l’urne. Il sera blanc : “Marine Le Pen est anti-républicaine, je ne sais même pas comment elle peut être là aujourd’hui. Macron, lui, est le pur produit du système qu’on combat avec la ‘Révolution est en marche’.”
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Passer cette fin de journée de second tour d’élection présidentielle à Aulnay, avec cette immense tornade de 32 ans – il a l’énergie d’un gamin d’une dizaine d’années qui passerait son temps à courir partout – avait du sens. Déjà, pour la localisation, parce que le 23 avril, c’est Jean-Luc Mélenchon que les habitants de cette ville LR, marqués par une défiance certaine envers la politique et la police, ont placé en tête. Ce 7 mai, la ville a placé Emmanuel Macron en tête avec 77,19% des suffrages, mais le taux d’abstention a été de 34,47%.
Ensuite, parce qu’avec la création en janvier de son mouvement citoyen – « La révolution est en marche », donc, 4000 likes sur Facebook – qui prend également la forme d’un parti – “La démocratie représentative” – Hadama Traoré entend donner un coup de fouet au paysage politique actuel en proposant, avec la cinquantaine de membres actifs du collectif mais aussi toutes les bonnes volontés, une offre citoyenne “basée sur l’horizontalité et les valeurs de la République” ainsi que sur “l’insertion, la prévention, le civisme”.
« Les politiques actuels tentent de nous endormir »
Pour cet Aulnaysien d’origine malienne, qui a grandi au cœur de la cité des 3000 et qui tente d’œuvrer au rapprochement des populations avec les policiers mais aussi d’améliorer concrètement leur quotidien – batailles pour de meilleurs logements, etc. -, “les politiques actuels tentent de nous endormir”. Mais il a fini par “se réveiller” : “J’ai vu trop de choses, trop de détresse, comment la misère humaine est devenue un business”. Les partis traditionnels, très peu pour lui, qui votait aujourd’hui pour la quatrième fois de sa vie : “Je considère que c’est à la fois Sarkozy et Hollande qui ont fait monter le FN. Et après, ils vont nous culpabiliser en mode ‘Il faut voter contre Marine Le Pen!’… Ils nous prennent vraiment pour de la merde. Désolé hein, je parle avec le cœur !” Avec une détermination certaine aussi, couplée à un optimisme et une bonhomie naturelle qu’il trimbale de son pas énergique dans les rues.
Ici, il est connu de tous, salue tout le monde. On croise ses petites sœurs qui ne souhaitent pas divulguer leur vote, après avoir déposé en voiture sa cousine, qui avait “choisi Mélenchon au premier tour” et de s’abstenir au second. Nous voilà d’un coup dans l’appartement familial des Traoré, alors que l’on se dirigeait vers le bureau de vote, Hadama la tornade a encore frappé. A l’intérieur, il y a plein de cacahuètes mais surtout sa mère, une de ses amies, son neveu, ainsi que sa grande sœur Haya, infirmière de 39 ans. Sympathisante de Mélenchon, elle a voté Macron par défaut ce matin : “Macron et Le Pen, c’est la même chose. Même si Le Pen, ce n’est même pas des valeurs qu’elle défend.” Elle sent que “quelque chose a changé en France” ces derniers temps : “On n’est plus à notre place comme on devrait l’être.”
« Ce président est le pire produit du système »
Hadama, lui, prend pour exemple l’histoire de sa mère, de nationalité malienne, pour tenter de comprendre l’abstention des jeunes dans les quartiers. “Comment voulez-vous que par chez nous les gens aillent voter, quand nos parents, qui participent à l’économie de la France, on ne leur donne pas le droit de vote ?” Sur le plan de l’abstention, il dit vrai : avant de le retrouver, nos discussions avec les habitants laissaient globalement apparaître un désenchantement total de leur part quant à la chose politique. Et Hadama d’évoquer ce qui, selon lui, s’apparente à du “post-colonialisme” de la part des hommes politiques traditionnels ainsi qu’un “racisme d’argent, de classe sociale, plutôt que de couleur”. Donc, si on comprend bien, lui et son mouvement veulent briguer la mairie en 2020 pour changer tout cela ? “C’est pas qu’on veut. C’est qu’on va, dit-il, dans un de ses rires très sonores qui le font parfois se tordre en deux. Et ce n’est qu’une première étape : on se donne cinq ou quinze ans pour l’Elysée.”
On commence à se dire qu’il ne sera jamais arrivé à temps au bureau de vote, situé en bas de chez sa mère – il est plus de 19h30 – quand on croise sur le chemin des amis à lui, également membres du mouvement. “Hé le révolutionnaire!”, l’alpaguent-ils, lançant également un petit “Che Guevara”. Parmi eux, Samba a voté sans grand enthousiasme pour Macron, déçu que Mélenchon ne soit pas passé au second tour. Un autre de ses “frères” – pour nous, ça sera “copine” – raconte comment, depuis quelques années, les habitants du quartier “sont tués par des petits détails” : “On n’a plus rien. Avant, tu te levais le matin ici, tu n’avais même pas le temps de faire une bêtise ! Le dialogue entre la police et les jeunes n’est plus le même. Et il y a des conneries de faites des deux côtés.” Lui aussi, avec le mouvement, souhaite initier une meilleure harmonie entres les habitants et les institutions.
Il est 19h55 quand Hadama Traoré arrive finalement dans l’isoloir, s’y rendant d’un pas goguenard. Il n’y reste même pas deux secondes, un petit tour et puis s’en va : c’est une enveloppe vide qu’il dépose dans l’urne. Il nous raccompagne gentiment en voiture jusqu’au RER, apprend en même temps que nous la victoire du candidat d’En marche! Cela ne lui fait ni chaud ni froid. “Je suis dégoûté de tout cela. Ce n’est pas à l’image de notre beau pays. Ce président est le pire produit du système : on ne peut pas en être content.” Mais il n’est pas inquiet : “Tôt ou tard, je serai confronté à lui.”
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