Pour son dixième anniversaire et après une absence d’un an, la saga historique d’Ubisoft envoie le joueur batifoler entre désert et pyramides dans l’épisode « Origins » qui se déroule dans l’Egypte antique. Sur le plan ludique, bien des choses ont changé. Il y a de bonnes raisons de s’en féliciter.
Dans la vibrante Toscane d’Assassin’s Creed II, le joueur avait la surprise de rencontrer un certain Mario Auditore, oncle à moustache du héros Ezio qui le saluait d’un vibrant “It’s-a me, Mario !”
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Par cette phrase déjà entendue, l’accent appuyé inclus, dans la bouche d’un autre fameux Mario du jeu vidéo, la saga d’Ubisoft semblait revendiquer, au-delà du clin-d’œil, une forme d’hérédité. Peut-être pas une filiation directe – le vrai parent d’Assassin’s Creed serait plutôt Prince of Persia – mais effectivement un rapport oncle-neveu ou nièce : par l’importance qu’il accordait aux sauts et à l’escalade, AC II avait, comme Crackdown avant lui et Infamous après, quelque chose d’une réinterprétation en monde ouvert des principes du jeu de plateforme en 3D dont le “vrai” Mario demeure l’incontestable porte-drapeau.
Huit ans plus tard et après une absence d’une année destinée à repenser en partie un système de jeu ayant quelque peu tendance à s’essouffler, Assassin’s Creed prend la direction de l’Egypte antique dans le tout nouvel épisode Origins où l’on serait beaucoup plus surpris de croiser un Mario.
En revanche, la présence d’un Geralt, que l’on n’a pour l’instant pas croisé contrairement, par exemple, à Cléopâtre, n’étonnerait presque pas dans son contexte ludique largement transformé. Qu’on se le dise : avec Origins, Assassin’s Creed s’oriente franchement vers le jeu de rôle, ou plus précisément l’action-RPG, et l’ombre de The Witcher 3 et de son héros Geralt de Riv plane sur les riches aventures du musculeux Bayek, notre nouvel alter ego.
Au début, ça surprend un peu. Loin des arabesques aériennes qui ont fait la réputation de la série, Origins est un jeu dans lequel les corps imposent leur présence physique, leur lourdeur même, au milieu des décors enchanteurs – ciels bleus, dunes de sable, oasis et pyramides : on pourrait lâcher la manette et les admirer pendant des heures.
Après une petite période d’acclimatation, on est d’ailleurs presque déstabilisé au moment de tenter notre première escalade (et d’effectuer notre première “synchronisation”). Ah oui, c’est vrai, c’est à Assassin’s Creed qu’on joue.
Le plaisir n’en est cependant que plus grand : ce qui était devenu banal (grimper, bondir, se laisser tomber pour un “saut de la foi”), si mécanique qu’on le faisait presque sans y penser, ne l’est plus. La verticalité n’est plus un acquis, plus une obligation mais une option, plus la règle mais l’exception, et c’est sans doute ce qui pouvait arriver de mieux à Assassin’s Creed : sortir de la routine.
Jeu de rôle oblige, l’une de nos obsessions est désormais de gagner des points d’expérience pour monter en niveau et voir les caractéristiques de notre héros progresser. D’autant que, pour chacune des innombrables quêtes qui s’offrent constamment à nous, une indication du niveau conseillé pour l’aborder est indiquée et, si l’on veut éviter de terribles désillusions, mieux vaut ne pas surestimer ses moyens.
Des points d’expérience nous sont donc attribués à chaque fois qu’en l’on mène à bien une mission mais, aussi, dès que l’on découvre une nouvelle zone ou un nouveau point d’intérêt, camp militaire, tombeau d’Alexandre le Grand ou tanière d’hippopotames – souvent hargneux, les hippopotames, comme les crocodiles qui, en cette année 49 avant Jésus Christ, sont encore bien présents sur les bords du Nil.
En somme, le joueur est “payé” pour voir et le cérémonial qui accompagne chaque arrivée dans un lieu inconnu a comme une valeur d’aveu : si l’intrigue d’Assassin’s Creed Origins se révèle foisonnante (mais impressionne au fond moins dans ses détails, contrairement par exemple à The Witcher 3, que comme immense tapisserie de micro-récits), l’incitation à la découverte est le premier moteur du jeu – au moins tant qu’il reste suffisamment d’endroits à explorer.
Au point qu’on n’est pas loin d’accorder plus d’intérêt à ces points d’interrogation en haut de l’écran accompagnés d’un nombre indiquant la distance en mètres qui nous sépare d’eux qu’à ce que nous racontent les personnages qui nous envoient dans une direction ou une autre dans l’espoir qu’on leur rende service – en ramassant des bottes de foin, en libérant des prisonniers ou, souvent, en tuant des gens.
Au-delà de ses vrais points forts “purement” ludiques qui, pour certains, montrent que les développeurs d’Ubisoft ne sont pas restés indifférents aux réussites de la concurrence (aux combats de Dark Souls, aux exécutions de Dishonored, voire aux enquêtes de la branche Arkham des jeux vidéo Batman), la grande réussite d’Assassin’s Creed Origins est là : dans sa manière de faire exister un monde qui, du point de vue du joueur, semble en constante expansion.
C’est une affaire de perspective et de petits riens qui stimulent l’imagination, de lumière changeante et de sons, de faune et de civilisations (au pluriel : il y a l’égyptienne, mais aussi la grecque et la romaine), de points sur une carte et de formes changeantes à l’horizon. C’est se sentir quelque part, ailleurs, vraiment, et constamment poussé vers l’avant, sachant que cet “avant” peut se trouver dans n’importe quelle direction.
Alors que se multiplient les jeux à monde ouvert, c’est un sentiment que l’on ne connaît pas si souvent et qui, à quelques illuminations ponctuelles, nous manquait cruellement dans la saga depuis les virées pirates d’Assassin’s Creed : Black Flag.
Ce monde est beau, riche, varié, excitant (et instructif, pour les plus studieux des assassins virtuels) mais, surtout, il est – tout court. Il se tient, se développe, nous absorbe, nous enveloppe et nous éblouit. Nous comble, nous remplit.
Assassin’s Creed Origins (Ubisoft), sur PS4, Xbox One et PC, environ 60 €
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