En tournant un documentaire clandestin pour Canal+ en Birmanie, Paul Moreira a découvert que le groupe français collaborait avec les généraux.
AUNG, 27 ANS DONT SEPT DE PRISON
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Dans un lieu sécurisé, je rencontre un étudiant, un leader important de la résistance. Un clandestin. Appelons-le Aung. Il a 27 ans et déjà sept années de prison derrière lui. Le voici avec un étranger, journaliste, dans une pièce à issue unique, sans possibilité de fuite. Si nous avons été suivis à notre insu, si brusquement des hommes en civil envahissent l’appartement, alors il repartira, menottes aux mains et chaînes aux chevilles, pour une peine plus longue encore.
Alors qu’il s’avance vers moi, je remarque sa démarche, faussement calme, entre la détermination, la frayeur et un étrange fatalisme. Aung le dissimule mais je le sens lutter intensément contre sa propre peur. S’il est là, c’est après un accord formel de la direction politique de son organisation, Generation Wave.
Aung parle un anglais fluide dans un chuchotement intense et répète deux fois les phrases importantes. Il m’explique que le système génère plus de peur que de surveillance réelle. L’Intelligence Service birman aurait intégré des moyens technologiques.
“Les gens vivent dans un état de peur irraisonnée. Une peur irraisonnée… La police politique est moins présente qu’il y a quinze ans, à l’époque de NeWin, le dictateur précédent. Mais il y a un élément nouveau : l’électronique. Les Birmans sont convaincus que le pouvoir les contrôle à l’aide d’appareils, de caméras. Par exemple, il y a eu un référendum pour le changement de Constitution. Les gens ont accepté la proposition des militaires parce qu’ils étaient convaincus qu’on les filmait pendant qu’ils votaient. Des jeunes pourtant très fort en technologie se font arrêter par dizaines.
– Ils ont arrêté des blogueurs ?
– Oui, la dernière grande vague d’arrestations a eu lieu à l’automne 2009, principalement des gens de médias, des journalistes sur internet. Personne ne sait où ils sont. Internet est très important mais la junte le sait, ils bloquent les mails, les sites, les articles. Il y a une rumeur : le gouvernement possède la technologie qui lui permet d’espionner les mails et d’avoir accès aux données personnelles.
– Vous pensez qu’ils le font ?
– Oui, je le crois. Si vous envoyez un mail, il faut écrire le sujet. Si c’est sensible ou s’il y a le mot démocratie dedans, un software va vous identifier et rentrer dans vos données personnelles.
– D’où viennent ces moyens technologiques ? Qui les leur fournit ?
– On ne sait pas très bien, on parle de Chinois et de Russes.”
DES CYBERCAFÉS SURVEILLÉS PAR LES SERVICES SECRETS
Le pouvoir birman a ouvert le pays au tourisme depuis 1993. Hôtels, tourisme, dollars… Dans le mouvement, il a autorisé depuis peu l’ouverture de quelques dizaines de cybercafés. La résistance s’est ruée sur internet. Pour s’organiser. Pour passer des messages à l’extérieur. Très vite, nombre d’entre eux se sont fait identifier. Ils remplissent les prisons.
Phone Latt, un jeune blogueur célèbre, a pris vingt ans. Ce n’est pas le seul. Sont tombés aussi des cameramen clandestins qui alimentaient le quartier général de la résistance en Norvège : Democratic Voice of Burma. Ce sont eux qui avaient envoyé ces images indélébiles de la “révolution de safran”, en septembre 2007. Des heures et des heures de téléchargement de fichiers Quicktime avec la peur de se faire attraper par les services secrets qui tournaient autour des cafés internet. Tout autiste qu’elle soit, la dictature connaît le pouvoir des images.
Pendant ces quelques jours de 2007, n’importe qui avec une caméra devenait une cible militaire légitime. Un journaliste japonais, sans doute confondu avec un Birman, est tué le 27 septembre. Sous quatre angles différents, les cameramen de la résistance filment l’événement. Quand les militaires s’aperçoivent de leur bavure, ils vont tout mettre en oeuvre pour que les images ne sortent pas du pays. Pendant trois jours, ils ferment totalement les communications. Plus de téléphone ni d’internet.
Mais la résistance a trouvé un autre moyen de faire passer les images. Ainsi, dans les journaux télévisés du monde entier, on a pu voir un soldat fusillant un journaliste à bout portant, en pleine rue. Le vrai visage du pouvoir birman. Nombre des cameramen birmans qui prirent tous les risques pendant ces jours de feu sont aujourd’hui juste de l’autre côté de la frontière, à Mae Sot, en Thaïlande.
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