La rencontre d’un peuple et d’un bus. C’est là le pitch du programme court « Canal Bus », on ne peut plus d’actualité alors que commence le règne de Macron Ier.
« C’est formidable les amis, on a une super émission. On avait pas vu ça depuis Intervilles ! » balance un leader jovial à quelques abonnés Canal. Lui, c’est Sébastien Thoen, débonnaire électron libre aux traits familiers – sa semi-barbe, sa voix qui tressaille dans les aiguës, son enthousiasme de chef de bande bondissant. Depuis la rentrée 2016, son crew d’Action Discrète est reparti sur les chemins de l’irrévérence avec une toute nouvelle pastille humoristique, Canal Bus. En apparence, la recette Action Discrète n’a quasiment pas changé depuis dix ans : caméra cachée, expériences sociales, malaise et politiquement incorrect dans le shaker. Mais leur survie miraculeuse fait office de tacle irrévérencieux. Aujourd’hui, les rois de l’entourloupe le clament à qui veut l’entendre : Bolloré, tu m’auras pas.
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« Un institut de sondage à échelle comique »
Que reste-t-il de nos amours Canal ? Exit Yann Barthès et Le grand journal, bye bye Le Zapping, seules subsistent dans cette fourmilière inondée les ombres des Guignols et les piliers de Groland. Et cette bande de potes, aussi : Sébastien Thoen, Julien Cazarre, Pierre Samuel, Patrice Mercier et Thomas Séraphine. Les cinq mercenaires d’Action Discrète, figures burlesques aux caractères complémentaires – Samuel le gendre idéal, Mercier le dégarni goguenard, Cazarre le rigolard, Séraphine le binoclard. A bord du Canal Bus, ils vont partout, font tout et n’importe quoi, taquinent les électeurs frontistes d’Hénin-Beaumont et les punks à chiens de Montpellier.
Du temps de Sarkozy, dit « Naboléon », les comédiens d’Action Discrète s’affublaient de cagoules et craquelaient l’hexagone à coups de marteau. Français moyens, flics, écolos, agriculteurs, militants, végés-gauchos et politiciens partout, pitié nulle part. Aujourd’hui, les terroristes de l’investigation adaptent leurs cibles à l’air du temps : radicalisation islamiste, YouTubeurs, voire même…empire Canal Plus. Mis en scène sous la forme d’une braderie où se côtoient le déambulateur de Michel Denisot et la fiche S d’Ali Badou, le bébé d’Alain de Greef apparaît en banquet funéraire. Pas mélancoliques pour un sou cependant, les déconneurs font la part belle à l’absurde bon enfant, à mi-chemin entre la satire, le jeu de masques et le happening. Du gag-vérité « de pirates« , » sans filet » où « tout peut arriver« , tendance « braquage avec un pistolet à eau et un nez rouge » nous explique Sébastien Thoen.
Désormais, les trublions voyagent plus volontiers au fil des routes dépaysantes de France, histoire de faire souffler un vent frais de province(s) sur la chaîne cryptée des « bobos parisiens« . Sans jamais oublier ce cocktail entre acting peaufiné et provocations qui a fait leur notoriété.
« On a pas inventé la caméra cachée mais cette forme hybride qui mélange comédie, action et actualité n’appartient qu’à nous. Action Discrète était un institut de sondage à échelle comique : en exagérant la réalité et en l’exhibant sur le trottoir, on testait les gens, leur capacité de résignation, de révolte, leur crédulité. On captait une vérité sociale…ou plutôt asociale. »
« Allez vous faire foutre ! » (Nadine Morano)
On aurait pu croire que ces zouaves nous lasseraient. Que leur génie était derrière eux : le videoclip de gangsta rap dédié à Patrick Balkany, les infiltrations (in)discrètes dans les rédacs de Libé et Marianne, leur prestation en manifestants anti-IVG, leur infiltration touchy du côté des Roms. Puissants et bien-pensants entartés à l’unisson, le style Action Discrète a fait mouche. Fins dissimulateurs, ils étaient même parvenus à faire la une de La Croix, déguisés en syndicalistes CGT sans que les journalistes du quotidien n’envisagent la supercherie. Des fake news avant l’heure. Rassurons-nous, Canal Bus réitère l’exploit, celui de proposer le plaisir du foutoir sans s’alourdir du moindre sous-texte partisan, en ridiculisant aussi bien les adeptes du quinoa que…Nadine Morano. « Allez vous faire foutre ! » leur crachera d’ailleurs celle-ci au détour d’une marche pressée, agacée par ce comité de faux fans. Preuve en est que loin d’être usés, les agitateurs grattent encore là où il faut.
« Aujourd’hui, on est moins dans le piège que dans le participatif, on veut rire avec le peuple. On pille des stations services, on fume des joints, on écoute Led Zeppelin et Chassol…la récré continue, c’est trop bien ! » s’amuse Thoen. Survolté chef de file, il ne fait pas de cadeaux aux héritiers d’Action Discrète, du roi du buzz Rémi Gaillard, qui « s’adresse aux demeurés« , à la Connasse de Camille Cottin – qui « se la raconte beaucoup concernant ses péripéties à Londres alors qu’elle a piégé un yorksheer et trois personnes…dont deux qu étaient au courant !« . Surveillant avec émotion « le ch’ti Barthès », il devine les hommages rendus à son équipe dans Quotidien, « des doublages de foot hérités de Julien Cazarre aux sketchs de Panayotis Pascot« . Mais si à l’instar de ce name dropping Canal Bus semble partir dans tous les sens, entre pastiche de télé-poubelle, escape en cité phocéenne et visite chez Dodo la Saumure, la vedette reste la même, comme dit plus haut : le peuple.
C’est à ce dernier que s’adressent ces élèves de Karl Zéro depuis Cabine 1005. Dans ce long métrage culte – et interdit de diffusion par la justice – Action Discrète s’invitait à bord de la croisière Frédéric François. L’objectif ? Pousser la chansonnette en compagnie du chanteur kitsch. Mais derrière le concept-gag se brossait un récit plus relationnel. Au fil des flots, l’interaction entre « retraités de droite » en vacances et comédiens possédés par leurs personnages l’emportait sur la supercherie, l’empathie prenant le pas sur la moquerie, la sincérité sur la gouaille du bonimenteur. Idem dans Canal Bus, où les dindons de la farce, loin d’être anecdotiques, ne sont parfois autres…que les abonnés. Ceux sans qui le show n’existerait pas.
En 2014, le Canal-bus sillonnait les routes de France dans Action Discrète : Mission Abonnés. Ce Canal Bus-là est tout entier dédié aux abonnés, colonne vertébrale d’un collectif qui compte bien expirer au moment venu : en même temps que la chaîne qui l’a materné. « Meilleur groupe français, aux côtés de Phoenix et Danone« , Action Discrète s’envisage désormais entre causticité et nostalgie. Comme le sursaut pulsionnel d’un esprit à l’agonie. Canal Plus n’est pas mort, il respire encore. Mais pour combien de temps ?
« Action Discrète et les autres vieux ne peuvent pas et ne doivent pas durer. En humour comme en rock n roll et en politique, il faut toujours rester éphémère. Regarde Nuit Debout et les L5 ! Mais c’est vrai qu’on est la depuis quinze ans, qu’on a été en prison pour cette chaîne, qu’on vit pour les abonnés. Canal c’est nous. »
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