Pour donner une meilleure visibilité aux images de l’actualité, le collectif Dysturb les affiche en grand format sur les murs. Reportage avec un commando de colleurs-photographes.
Il est 22 h 30 quand l’équipe de #Dysturb, déboule en scooter sur l’avenue de Flandre. La petite dizaine de colleurs nocturnes, casque vissé sur la tête, sceaux en bandoulière, balais et escabeaux dans les mains, prend la direction du premier spot : le mur d’un immeuble de l’avenue.
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En deux temps trois mouvements, la façade est recouverte de colle à l’eau et le tirage géant – environ 2 m sur 5 – du photojournaliste, Paolo Cirega se déploie. Une photo regroupant plusieurs portraits de protestataires anti-gouvernementaux, à Kiev, prise en janvier 2014.
La technique est rodée, pour ce cinquième collage depuis le début d’année. L’idée a germé dans l’esprit de Pierre Terdjman, photoreporter pour l’agence Cosmos. En rentrant de Centrafrique et après avoir publié quelques clichés, il décide d’afficher les autres dans la rue. Très vite, quelques confrères le rejoignent et le projet est lancé.
“Les gens ne veulent plus voir l’actualité, ce qui se passe sous leur fenêtre, lâche Terdjman. Nous on leur fout sous la gueule.”
C’est de cette volonté d’interpeller le public que vient le nom Dysturb, (“déranger” en anglais). “On se rend compte que la rue, c’est le meilleur vecteur de nos photos”, poursuit le reporter. Le collage puis la diffusion sur les réseaux sociaux sous le hastag #Dysturb, notamment sur Instagram, donne encore plus d’écho à leur travail.
Lors du premier collage, un des propriétaires de l’immeuble, interpelle les colleurs. Il n’apprécie pas de voir le mur de sa copropriété être recouvert d’une photo géante. Une piqure de rappel pour #Dysturb, l’affichage sauvage même artistique reste puni par la municipalité, de 450 euros d’amende.
Le ballet de scooters reprend sa déambulation dans Paris, direction les rues Marx-Dormoy, puis des Poissonniers. Cette fois, ce sera le mur d’entrée d’un supermarché qui aura l’honneur d’être illustré. Capucine Granier-Defferre, qui affiche un de ses clichés ce soir, revient tout juste de deux mois dans l’est de l’Ukraine. “C’est le délire d’un groupe de potes, un peu frustrés de voir que sur les dizaines de clichés qu’on va ramener, seulement quelques-uns vont être publiés, explique la photojournaliste. C’est une exposition éphémère, en prise directe avec l’actu. Hier, on a reçu une photo de Bryan Denton, envoyée depuis l’Irak et ce soir elles sont affichées à Beaumarchais”
Bandeau par bandeau, la célèbre photo de Van Der Stockt, prise à Jobar en Syrie, se dévoile. Publiée dans les colonnes du Monde, lors des révélations sur l’utilisation des armes chimiques par le régime de Bachar, elle a fait le tour du monde.
Il y a une semaine, le collectif rendait hommage à Camille Lepage, la photojournaliste de 26 ans, tuée en Centrafrique en avril dernier, en affichant une série de ses clichés dans les rues de Lyon.
“Via ces collages, on rend aussi hommage à tous ceux qui font ce métier souvent sur leurs propres fonds et qui n’arrivent pas à vivre correctement”, poursuit Zacharie Scheurer, 28 ans, photoreporter freelance.
Pour l’instant, les journalistes payent eux-même leur collage : 300 euros pour une dizaine d’affiches. La tournée se poursuit : Lamarck, le Théâtre de lAtelier, la mairie du XVIIe et la Maison de l’architecture. Parfois, une discussion s’improvise avec les passants intrigués, auxquels les journalistes tentent d’expliquer leur démarche.
Pour Benjamin Girette, également photojournaliste, Dysturb est un « nouveau format » pour le photojournalisme : « Finalement, c’est une minorité de personnes qui s’intéresse à notre travail dans la presse ou sur internet. En s’affichant dans la rue, on est vraiment dans une démarche d’information de l’opinion publique.”
Paris, Lyon, Bruxelles, Sarajevo dans quelques jours et bientôt New York, le collectif voit loin. Ce soir, en quatre heures de collage, #Dysturb a transformé la rue en plus grand réseau social. Un pied de nez à la crise lancinante de la presse et du photojournalisme.
Photo Thibault Prévost et Pierre Terdjman pour Dysturb
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