Clique + Inrocks = CliqueInRocks. Chaque semaine, Alexandre Comte scrute une personnalité sous toutes ses facettes – avec un entretien à lire sur Les Inrocks et un portrait à mater dans l’émission Clique sur Canal +. Aujourd’hui, rencontre avec le producteur de télévision Stéphane Simon, l’homme derrière l’homme en noir.
Votre père était anarcho-communiste ?
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Stéphane Simon : Je suis un fils de communiste, oui. J’ai grandi avec les Editions sociales, les posters de Mao, Lenine… J’ai lu le Capital assez jeune. Et je sais ce que c’est que l’anarchisme puisque mon père, après l’Afghanistan, a glissé du Parti communiste à l’anarchie. Donc voilà, oui, je suis un fils de coco, mais plus proche du côté partageux que du côté organisationnel du PC.
C’est chouette d’être un fils de coco ?
Stéphane Simon : Vous savez, quand on avait un idéal à cette période, ça voulait dire quelque chose. Vouloir transmettre une certaine forme de culture et de générosité… Et ça je pense que les enfants en sont forcément reconnaissants à leurs parents. Je sais que toute la culture à la gauche de la gauche qui m’a été transmis m’a beaucoup servi.
Et vos deux parents étaient profs ?
Stéphane Simon : J’ai la lourde charge en fait d’être fils de prof, mais aussi petit-fils de prof, arrière-petit-fils de prof ! Mon père était prof à l’Ecole normale et ma mère à la Faculté des Sciences de Nantes. J’ai grandi dans une certaine forme de culture de la transmission, et c’est ce que j’aime aussi faire en télévision d’ailleurs. J’aime bien faire des émissions où on en ressort avec un petit plus, grâce auxquelles on peut retenir un petit quelque chose. De ce point de vue-là je retrouve beaucoup Thierry Ardisson, on considère que la télévision est une forme d’école du peuple.
Vous regardiez la télé quand vous étiez gosse ?
Stéphane Simon : Non seulement je regardais la télé quand j’étais petit, mais j’avais deux maîtres à penser à la télévision, enfin deux animateurs que j’adorais. Enfin j’étais pas si petit que ça, j’étais déjà ado. Mais j’adorais Thierry Ardisson – à l’époque c’était l’émission « Lunettes noires pour nuit blanche » – et j’adorais Michel Polac, et j’ai eu la chance de travailler avec les deux. Donc je peux dire que j’ai eu vraiment une vie professionnelle riche puisque j’ai déjà réalisé deux rêves de gamin.
Et pourtant vous n’avez pas toujours voulu être journaliste ou producteur…
Stéphane Simon : Après le bac scientifique j’ai voulu prolonger mon cursus scolaire parce que, c’est vrai, je voulais être musicien à l’époque. Je voulais en fait être rock star. Je n’y suis pas parvenu… J’ai fait de la batterie, puis après de la basse, puis après du synthétiseur… J’avais un groupe à l’époque. Et mon idée c’était simplement de traîner un peu dans mes études pour avoir du temps libre et jouer de la musique. Mais comme ça n’a pas marché, après ma licence d’histoire, je me suis rabattu sur le journalisme.
Vous avez fait une école de journalisme à Paris. Avec un stage de fin d’études… au Pèlerin magazine ?
Stéphane Simon : Oui, ils ont été les premiers à me répondre et c’était formidable ! Ça m’a permis de m’ouvrir à des écoles de pensée un peu différentes, comme le catholicisme social. Des choses que je n’avais pas apprises à la maison. Chez moi, c’était plutôt « Au secours, voilà les curés. » Quand mon grand-père en voyait un dans la rue, il faisait « Crôaaa, Crôaaa »… Forcément, l’ambiance du Pèlerin magazine, c’était autre chose.
Puis vous commencez votre carrière à France Soir ?
Stéphane Simon : Oui. J’y ai vraiment été très heureux pendant trois ans. J’ai vraiment fait de tout : du fait divers, de l’enquête, des papiers de société… On était taillables et corvéables à merci – il y avait encore à l’époque trois éditions par jour – donc il fallait pisser de la copie et j’en ai pissé beaucoup, beaucoup, beaucoup.
Quand avez-vous rencontré Ardisson pour la première fois ?
Stéphane Simon : C’était avant France Soir. Je pigeais pour le magazine Paris Nuit, Je m’occupais d’une rubrique sur les bars. Je l’ai interviewé au bar du Bristol, et à la fin il m’a donné sa carte de visite. Et je suis resté en contact avec lui, j’ai fait des piges pour lui…
Et en 1993, il vous propose de devenir rédacteur en chef du magazine Entrevue ?
Stéphane Simon : Ce que j’ai accepté avec joie ! Je passais de France Soir, avec des gens âgés de plus soixante ans, à un support avec des gens très jeunes. Ce qui m’a intéressé, c’est que le canard ne marchait plus très bien. Avec Thierry on a réfléchi et on a inventé une formule critique de la télévision. On s’est mis à faire de l’enquête et à cogner très fort sur la télé, et ça a cartonné, on a doublé les ventes. Ce qui est marrant c’est que j’ai quitté Entrevue avec un numéro qui titrait « TF1 la télé bavure » pour devenir… rédacteur en chef à TF1. Ça ne manquait quand même pas d’ironie.
Et le passage de la presse écrite à la télé s’est fait naturellement ?
Stéphane Simon : Oui, très. J’ai d’abord travaillé pour Tina Kieffer. Puis Etienne Mougeotte a mis fin à notre unité de création, on a tous touché un chèque, et j’en ai profité pour monter ma première boîte avec le groupe Expand. On faisait des jeux, du divertissement. Mais ce n’était pas vraiment mon truc finalement : c’est une belle mécanique d’essayer d’inventer des jeux, mais une fois que le jeu est là, ce n’est pas très épanouissant. Je commençais à tourner un peu en rond.
Et là Thierry Ardisson vous contacte à nouveau ?
Stéphane Simon : Oui, il travaillait à l’époque sur « Rive droite, rive gauche » pour Paris Première. Il m’a dit : « J’ai des problèmes avec les producteurs, la chaîne n’est pas très contente de ce qui se passe, est-ce-que tu veux venir faire le producteur « casque bleu » ? J’ai dit oui et j’ai produit l’émission pendant quatre ans. J’ai alors créé une autre boîte – Téléparis – et Thierry est rentré dans le capital à hauteur de 49%.
Vous aviez l’ambition de créer des programmes originaux plutôt que de racheter des formats étrangers ?
Stéphane Simon : On a inventé plus de 300 formats originaux ! Bon après, il y a beaucoup de déchets, faut pas rêver. Au final, on a créé et produit une soixantaine d’émissions depuis la création de la boîte il y a quinze ans, avec une douzaine d’émissions en permanence à l’antenne.
Vous avez notamment créé l’excellente émission « Paris Dernière ». Comment fait-on de la bonne télé, est-ce qu’il y a un secret, une recette ?
Stéphane Simon : En fait de la bonne télé, ça dépend de quel côté on se situe. Si on pose la question à un diffuseur, c’est d’abord de la télé qui fait de l’audience. Pour moi la bonne télé, c’est de la télé de création, c’est de la télé qui ne ressemble pas à ce que font vos concurrents, qui ne ressemble pas à ce qui existe sur le marché. Ce qui vous propose d’être un temps en avance, un tout petit plus singulier, un tout petit peu plus original que les autres, c’est ça que j’appelle de la bonne télé. Maintenant on peut aussi faire un bon talk-show avec quatre invités bien choisis sans que ça soit extrêmement original. La bonne télé, ça ne veut pas dire grand-chose en fait !
Au départ les audiences de « Salut les terriens » étaient plutôt décevantes. Et aujourd’hui l’émission d’Ardisson marche très bien…
Stéphane Simon : C’est ce moment où on rencontre la satisfaction du public. « Salut les terriens », au démarrage, ça n’a pas été de la bonne télé. C’était de la télé qui se cherchait. Thierry sortait d’un énorme succès qui était « Tout le monde en parle », il arrivait sur un créneau nouveau qui était le 19 heures. Il a fallu qu’il s’adapte à cette nouvelle manière de vendre ses interviews, de vendre un autre contenu à un public très différent, donc ça a mis du temps à se chercher et à se trouver. « Salut les terriens », c’est devenu de la bonne télé. Moi ce que j’aime bien dans l’idée de la bonne télé, c’est simplement se dire que l’on sert vaguement à quelque chose. Faire une émission qui a une valeur dans son originalité, qui a une valeur dans son contenu, qui propose de penser un peu différemment.
Et vos parents, qui vous ont transmis ces valeurs de pédagogie et de culture, que pensent-ils de votre parcours à la télévision ?
Stéphane Simon : Mes parents sont assez fiers de ce que je peux faire à la télévision. L’un comme l’autre ont découvert Ardisson, c’est assez amusant parce que c’était un animateur qu’ils n’aimaient pas beaucoup au départ. C’était « tu travailles un peu avec l’autre, là…». Ils se pinçaient un peu le nez de savoir que leur fils travaillait avec le diable Thierry Ardisson. Et en fait ils ont appris à le découvrir. Et maintenant je peux dire que les deux regardent « Salut les terrien » avec beaucoup de plaisir !
C’est facile de travailler avec Ardisson ?
Stéphane Simon : Très franchement, oui. Il a un mode de fonctionnement qui est assez simple. C’est quelqu’un qui est angoissé par l’idée de réussir ce qu’il fait, donc il met tous les moyens possibles et imaginables au service de son travail. Il réussit parce qu’il y consacre beaucoup de son temps, beaucoup de son énergie. Il a évidemment, comme tous les animateurs, des problèmes d’égo ! Mais on va dire qu’ils sont secondaires par rapport à son problème principal qui est celui de livrer, de travailler et de livrer. Par ailleurs, avec Thierry, je trouve qu’on a un certain nombre de complémentarités. Il aime bien lui le management par l’angoisse et la terreur, moi au contraire j’ai fait un management qui est beaucoup plus humain, en empathie avec les gens qui travaillent avec moi. Donc lui on peut dire que ce qu’il produit, il le produit dans l’angoisse, dans l’incertitude et dans le flip, et moi au contraire je produis avec des équipes et mon principal talent, c’est d’en trouver aux autres.
Vous avez 46 ans, vous être un producteur respecté. Vous considérez avoir réussi votre vie ?
Stéphane Simon : Réussir sa vie, c’est exactement comme faire de la bonne télévision, ça dépend de quel point de vue on se situe ! Si on se situe sur le plan personnel, on ne peut pas dire que j’ai tout réussi – loin de là ! Si on se situe du point de vue professionnel, on peut dire que j’ai réussi certaines choses mais que j’ai encore beaucoup de choses à faire. Et je suis en train d’essayer de réussir la diversification de Téléparis vers de nouveaux supports, fictions et documentaires, donc ce sont des choses assez passionnantes qui restent à mener.
La télé de demain, c’est quoi ?
Stéphane Simon : Je ne suis pas du tout pessimiste pour l’avenir de la télé. Jusqu’à présent la situation de la télévision était confortable, c’était une situation de monopole, avec peu de chaînes et une adhésion quasi-logique du public. Aujourd’hui on est en train de se rendre compte, avec la multiplication des chaînes, qu’il va vraiment falloir se sortir les doigts – comme on dit un peu trivialement – pour trouver des concepts très originaux, très différenciants, pour arriver à faire venir des nouveaux publics. Ce qu’il faut, c’est accompagner ce mouvement de nécessaire créativité par des prises de risque de la part des diffuseurs.
Retrouvez le portrait de Stéphane dans l’émission Clique sur Canal +, samedi à midi. Mouloud Achour recevra par ailleurs Thierry Ardisson et Didier Super.
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