Dans le sillage de la Suédoise Greta Thunberg, des milliers de jeunes s’organisent pour contraindre les gouvernements à agir contre le dérèglement climatique. A la veille de la grève scolaire mondiale du 15 mars, retour sur une mobilisation inédite.
“J’ai deux minutes.” Il est un peu plus de 20 heures ce vendredi 22 février quand Anuna De Wever, tout juste arrivée dans son hôtel parisien, décroche le téléphone – il n’a pas été aisé de la joindre, ni même de l’approcher, nous y reviendrons. La jeune femme, à la fois directe et affable, semble épuisée. Ce qui se comprend : la cofondatrice avec son amie Kyra Gantois du mouvement belge Youth for Climate, qui a coordonné les récentes grèves lycéennes et étudiantes, est sursollicitée depuis plusieurs semaines. “Là, je dois étudier pendant cinq heures, car, entre les différentes manifestations, j’ai raté plein de cours, et je veux quand même avoir mes examens. Je dois donc constamment m’organiser, c’est vraiment beaucoup de travail.”
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Visages poupons et charismatiques
Si à 17 ans Anuna est devenue l’un des visages poupon et charismatique de la lutte contre le changement climatique, elle n’en reste donc pas moins terre à terre, ce qui est finalement plutôt logique : la lycéenne flamande ne se résout pas à regarder passivement notre planète mourir à petit feu. “Les politiques ne nous prennent pas au sérieux, ce qui est vraiment décevant à l’heure où nous faisons face à une crise écologique sans précédent”, explique avec une pointe d’exaspération celle qui enjoint les gouvernements à “enfin montrer le même courage que les jeunes aujourd’hui : nous sommes la dernière génération qui peut agir avant qu’il ne soit trop tard”.
Dont acte : après Bruxelles la veille, elle a arpenté Paris à l’occasion de la deuxième grève de la jeunesse pour le climat organisée dans la capitale française. Anuna a passé une journée “amazing” – elle s’exprime en Anglais –, se félicitant que le mouvement se répande en Europe. Celle qui a notamment servi de déclic à son engagement, Greta “superstar” Thunberg était là, elle aussi. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que, ce jour-là, à côté de la jeune Suédoise nattée, un Johnny Hallyday revenu d’entre les morts serait passé inaperçu tant elle suscite l’hystérie.
Face aux leaders du monde lors de la COP24
Greta Thunberg, c’est le feu sous la glace. En décembre 2018, face aux leaders du monde entier lors de la COP24 en Pologne, sa voix chétive et assurée, son regard d’une froide détermination, ses mots taillés à la serpe pour fendre le mur de l’indifférence en ont fait le symbole de l’éveil à la conscience environnementale de la “génération climat”.
Suivant son exemple, des dizaines de milliers de collégien.ne.s, lycéen.ne.s et étudiant.e.s se sont mis.es en grève tous les vendredis pour protester contre l’inaction des pouvoirs publics. En Belgique, en Hollande, en Suisse, en Allemagne, des adolescent.e.s remplissent désormais les rues et se rassemblent devant les ministères de l’écologie ou les parlements chaque semaine, mettant les adultes face à leurs responsabilités dans une étonnante inversion des hiérarchies.
« J’aimerais que les adultes prennent le relais » – Greta Thunberg
Ce 22 février, place de la République à Paris, l’image relève presque de la science-fiction. Au pied de la statue, une rangée de jeunes filles effrontées font face à une nuée de journalistes qui tendent leurs micros comme pour recueillir une prophétie – ou un avertissement qu’il vaut mieux que l’humanité écoute attentivement. Anuna De Wever, Kyra Gantois et l’Allemande Luisa Neubauer, moyenne d’âge 19 ans, épaulent la jeune Suédoise de 16 ans. Elles sont protégées par un service d’ordre de la même génération, qui les maintient à une distance respectable de ces adultes déboussolés.
A côté d’elles, même Juliette Binoche, venue témoigner de son soutien, passe inaperçue. L’iconique militante écologiste indienne Vandana Shiva, également présente, s’efface elle aussi pour leur laisser la parole, après un éphémère conciliabule avec Greta. “Quand j’ai commencé, je ne m’attendais à rien, je n’aurais jamais imaginé que ça devienne aussi grand. C’est une surprise chaque jour. C’est beaucoup de pression, plus que n’en devraient recevoir des jeunes de notre âge. J’aimerais que les adultes prennent le relais”, plaide la jeune fille, dont la voix fluette n’enlève rien à la force des mots.
“Si elle ne lutte pas, elle s’effondre”
Les militant.e.s qui préparent sa venue depuis des mois ont bien tenté de fondre sa personnalité dans un collectif qui la dépasse, et d’éviter la personnalisation à outrance. Mais la Suédoise inséparable de sa pancarte “Skolstrejk för klimatet” (“grève de l’école pour le climat”), qui souffre du syndrome d’Asperger, est devenue malgré elle la métonymie du mouvement.
Rappelant qu’en 2014 elle est tombée en dépression après avoir vu un documentaire pessimiste sur l’avenir de la planète, un militant d’Attac membre du SO confie, avec un brin de mysticisme : “L’état de la planète l’a heurtée, et maintenant, si elle ne lutte pas, elle s’effondre. C’est son engagement qui lui a permis de se relever.” Face à l’imminence d’une catastrophe incommensurablement plus grande qu’elle, et alors que les conséquences du réchauffement climatique sont de plus en plus perceptibles et prévisibles, son soulèvement a eu un effet d’entraînement inescompté sur sa génération. La marche organisée ce jour-là au départ d’Opéra en témoigne, même si elle en est encore au stade embryonnaire.
Une heure plus tard, non loin du Palais Garnier, Anuna De Wever, en tête de cortège, se saisit de l’un de ses deux téléphones portables. Poing levé, tout comme Greta Thumberg, Kyra Gantois ou Adelaïde Charlier – porte-parole francophone des Jeunes pour le climat –, elle fait un selfie d’une street cred très élevée. Nul doute que nombre de manifestant.e.s rêveraient de faire une photo avec elles. Paula, 25 ans, venue avec un panneau “143 millions de migrants climatiques d’ici 50 ans” trouve par exemple “génial que des jeunes de 16 ans fassent le tour des pays d’Europe pour essayer de mobiliser”. Elle-même appelle à “changer tout le système” : “Le système écologique que nous défendons n’est pas compatible avec le système libéral actuel.”
« C’est le rôle des gouvernements d’agir au niveau des lobbies et des multinationales » – Aubin, un lycéen de 16 ans
Même discours chez Aubin, un lycéen de 16 ans très perspicace, qui vante “leur impressionnant courage et leur ténacité”. L’adolescent, qui aimerait “que l’on arrête de culpabiliser les citoyens à propos de leurs comportements individuels, alors que c’est le rôle des gouvernements d’agir au niveau des lobbies et des multinationales”, est à la fois prolixe et pessimiste : “On veut une révolution écologique. Ce sont nous, les jeunes, qui allons subir les conséquences de tout cela. Je refuse qu’on sacrifie mon avenir pour leurs profits personnels. Je me rends de plus en plus compte que l’avenir écologique semble sombre… Mais ça vaut le coup d’essayer !”
A l’image d’Emma, 19 ans, étudiante à la Sorbonne, certain.e.s n’envisagent même plus, vu la situation climatique et la conjoncture économique, de devenir parents : “Autour de nous, on est de plus en plus à ne pas vouloir faire d’enfants, car notre futur est vraiment sombre. Avant, on vivait dans un monde d’espoir, où les utopies étaient possibles. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Si on en est à faire la grève, c’est que l’on est arrivés à un point où c’est le seul moyen d’action qu’il nous reste.” La jeune fille au regard clair, qui porte une pancarte avec une Terre qui s’indigne – “MeToo !” –, est cependant consciente des embûches qui les attendent.
« Il faut beaucoup de courage pour dire non à la croissance.” – Emma, étudiante de 19 ans
Car c’est une lutte à long terme qui s’engage – pour faire respecter les accords de Paris notamment –, et qui ne vise rien de moins qu’à changer les mentalités en prêchant l’ascétisme dans une société toujours consumériste : “Le problème est que l’on ne se bat pas contre une loi, mais contre des degrés, contre un danger qui est encore relativement insensible. La victoire ne passera pas par des déclarations. Il faut beaucoup de courage pour dire non à la croissance.”
Autoritarisme ou conciliation ?
De plus, le mouvement – qui rechigne à se laisser embrigader par les partis, mais dont certains écolos sont évidemment proches – est déjà tiraillé en interne entre une tendance antiautoritaire inscrite dans le sillon des ZAD (on croise ici quelques “Camille”, ce prénom unisexe utilisé dans les zones à défendre), et une tendance plus conciliante avec les élites politiques. Emmanuel Macron l’a bien compris, en recevant Greta Thunberg à huis clos à l’Elysée, au grand dam des désobéissants qui y ont vu une “mise en scène du ‘dialogue’ qui sert avant tout la communication du gouvernement”.
Parmi ceux-là, certains revêtent volontiers le gilet jaune, devenu un symbole d’urgence très populaire. Priscillia Ludosky, une des figures des “GJ”, appelle d’ailleurs à rejoindre les mobilisations du 16 mars. Il ne faudrait pas prendre ces ados pour des chèvres, en dépit de la candeur désarçonnante des plus jeunes, comme Louis, collégien de 15 ans, qui prononce cette phrase bouleversante : “Imaginez, si, à l’avenir, nos enfants ne connaissent pas la beauté des animaux, des forêts et des océans ?” Dans le cortège trône d’ailleurs une pancarte tout en finesse, “Nique ta mer”, non loin d’une autre enjoignant à “sauver les ours polaires, pas les actionnaires” ou rappelant avec bon sens que “l’iceberg, ce n’est pas que de la salade”. Une autre affiche, elle, pose cette question : “Les adultes, c’est qui ?”
L’importance de l’engagement
Si les jeunes sont très largement majoritaires dans cette manif, on croise tout de même quelques parents, comme par exemple Katrien Van Der Heyden, sociologue spécialiste des questions de genre et de diversité… et accessoirement mère d’Anuna De Wever. Elle est très fière de sa fille : “C’est extraordinaire ce qu’elle fait. Je pense qu’à son âge, je n’aurais pas eu un tel courage. Je soutiens tout ce qu’elle fait, et j’essaie de la protéger, car on a subi du harcèlement.” Il faudra d’ailleurs passer par elle pour obtenir une petite interview téléphonique d’Anuna.
Cette activiste des droits civils et des droits des femmes a toujours souhaité apprendre à ses enfants qu’il était important de s’engager et que, surtout, “une démocratie ne se fait pas qu’avec les politiciens, mais aussi avec la population, les citoyens, les ONG, les assos”. Et d’ajouter : “C’est le combat qu’Anuna a choisi. C’est le grand défi de sa génération : soit elle trouve une solution, soit l’humanité est perdue.” Come on girlz !
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