Claude Régy a fait découvrir le théâtre d’Harold Pinter en France. Des premières mises en scène dans les années 60 aux prises de positions sur l’Irak, il se souvient.
Oublié pendant des années
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“Je me souviens très bien de la création du Gardien (The Caretaker) en 1961, première pièce de Pinter montée en France par Roger Blin au Théâtre de Lutèce : un échec total, notamment dans la presse. Je voudrais préciser qu’à cette époque, l’évêque de la critique, Jean-Jacques Gautier du Figaro, s’est trompé sur tous les auteurs contemporains, que ce soient Ionesco, Beckett ou Pinter… Très intéressant, avec le recul, de savoir que les principaux critiques, et spécialement ceux de droite, se trompent aveuglément et passent à côté de toutes les jeunes écritures importantes. Donc, ce Gardien a été un flop absolu et d’après ce que j’ai entendu dire, Pinter aurait déclaré : “Les Français ne comprennent rien à mon écriture, ce n’est pas la peine que j’insiste dans ce pays.” On l’a oublié, occulté en tout cas, pendant des années. Voilà pourquoi la critique porte une grave responsabilité : en cas d’échec, plus personne n’y touche : interdit de vie, mort pour des écrivains.”
Du placard au plateau
“Quelques années plus tard, j’étais l’assistant de Michel Fagadau à la Gaîté-Montparnasse, ce qui n’est pas glorieux mais je n’avais rien trouvé d’autre après avoir quitté André Barsacq au Théâtre de l’Atelier. Fagadau m’avait promis de me laisser faire une mise en scène tous les trois ans. Au bout de la troisième année, il m’a expliqué que ce n’était pas possible, alors je suis parti. Mais entre-temps il m’avait dit : “Regarde dans le placard, il y a des trucs d’un certain Pinter, je n’y comprends rien.” J’y ai trouvé L’Amant et La Collection, des pièces très influencées par Beckett, qu’il admirait infiniment, et qui proposaient une vraie réflexion sur le langage. Tout ça m’intéressait et me convenait très bien. Curieusement, il y a eu un engouement pour ce spectacle créé au Théâtre Hébertot en 1965, où l’on jouait les deux pièces. Dans L’Amant, il n’y a que deux personnages, une dame et son mari qui s’amuse à jouer l’amant. Il lui dit “Au revoir”, part travailler et revient sous forme d’amant ! (rires) C’est assez pervers… Il faut dire que pour ces deux pièces j’avais eu la chance de pouvoir réunir Delphine Seyrig, Jean Rochefort, Bernard Fresson, Michel Bouquet. Pour moi, ça a été un début : jusque-là, on n’avait pas du tout parlé de mon travail de metteur en scène. Quant à Jacques Hébertot, c’était un homme extraordinaire qui a permis à beaucoup de choses de se faire. Il m’a dit : “Je n’y comprends rien, ça n’a aucun intérêt. Qu’est-ce que c’est ?” Je lui ai dit : “C’est du théâtre de l’ambigu.” Il me répond : “On va le démolir.” Il appelait ça “le cirque Pinter” !” (rires)
Angry Young Men
“Plus tard, on m’a appelé au Théâtre Antoine et j’ai monté de nombreux textes de cette jeune vague anglaise qu’on appelait “les jeunes hommes en colère” ; parmi eux, L’Anniversaire de Pinter en 1967. A la même époque, l’Anglais Peter Hall devait mettre en scène Le Retour à Paris, dans le même décor qu’à sa création à Londres en 1965. Il a déclaré forfait. On me voyait comme le spécialiste de Pinter et on m’a demandé de reprendre la production en cours de route (dans l’adaptation d’Eric Kahane, avec le décor de Londres et une distribution déjà en partie engagée, dont Pierre Brasseur). J’ai amené Emmanuelle Riva, Claude Rich et quelques acteurs avec lesquels je travaillais à l’époque. La création a eu lieu en 1966 et c’est là que Jean-Jacques Gautier a fait une critique définitive (rires). Là-dessus, Jacques Dufilho a joué dans Le Gardien, mis en scène par Jean-Laurent Cochet en 1969. Ce fut un grand succès. Dix ans après le four au Théâtre de Lutèce, le théâtre de Pinter était transformé en succès éblouissant !”
Langage et silence
“Son théâtre est une réflexion sur le langage. Pour lui, le langage ne dit pas ce qu’il a l’air de dire, on peut lui faire dire autre chose. Le silence est un langage à part entière, un complément indispensable de l’écrit qui fait du bruit. A cette époque, le théâtre de Pinter se compose de sous-conversations : il faut prendre l’habitude de chercher du sens au-delà du sens apparent. Plus tard, l’essayiste Henri Meschonnic a défini une équivalence entre langage et silence. Ainsi, le silence ne serait pas un arrêt du langage mais l’une de ses catégories. C’est tout à fait important, et pour Pinter absolument vrai. Les silences sont précisés par les didascalies et ils sont très nombreux. Maurice Maeterlinck, au début du XXe siècle, le disait très bien : tant qu’on ne s’est pas tus ensemble, on ne peut pas se connaître. Le silence, chez Pinter, est un langage très bavard.”
Angry Old Man
“J’ai rencontré Pinter, qui est venu à chaque première de mes mises en scène, en général avec son agent ! Il ne se montrait pas pointilleux comme Beckett, avait son opinion mais ne se mêlait pas de censurer le travail du metteur en scène. Il voulait d’abord voir ce que donnerait son théâtre à cette deuxième arrivée en France. Il restait prudent ! Je crois qu’il en a pensé du bien. Au moment de ses prises de positions politiques, je travaillais sur d’autres écritures. On se croise et puis chacun suit son chemin. Curieusement, j’ai été très heureux de savoir qu’il prenait parti violemment contre Tony Blair et la guerre en Irak et contre la politique de Bush. Je pensais la même chose et je n’ai pas varié. D’une certaine façon, je l’ai rejoint.”
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