Peu avant sa mort en février, Claude Parent dessina des croquis de mode inspirés des modèles du styliste Azzedine Alaïa. Prolongeant son geste d’architecte obsédé par les formes sensuelles et décalées.
A l’âge de 93 ans, le génial architecte Claude Parent disparaissait en février dans un curieux mélange de reconnaissance et d’indifférence de la part du monde de l’architecture, troublé par son œuvre étrange, concentrée dans les années 1960-1970.
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Parent cultiva lui-même longtemps cette marginalité avec ses bâtiments renversants et ses conceptions iconoclastes, indexées à sa fameuse “fonction oblique” : l’invention d’un nouveau rapport au sol fondé sur l’instabilité et le déséquilibre (plans décalés…).
Dessinateur jusqu’aux derniers jours de sa vie
Même s’il reste toujours à part dans l’histoire de l’architecture, Parent a suscité des vocations chez de nombreux “enfants” qui adulent aujourd’hui sa maison Drusch à Versailles, son église Sainte-Bernadette-du-Banlay à Nevers ou sa Maison de l’Iran à Paris.
Jusqu’aux derniers jours de sa vie, Claude Parent continua à pratiquer, secrètement, l’un de ses gestes favoris : le dessin. L’exposition que la galerie Azzedine Alaïa consacre à ses dessins de mode constitue un double événement en ce qu’elle dévoile ses ultimes esquisses créatives et rappelle au passage l’existence des affinités entre mode et architecture, rendues possibles par le filtre de l’art graphique.
Durant les six derniers mois de sa vie, Claude Parent, qui avait commencé sa carrière comme illustrateur de mode, a ainsi réalisé une série de dessins à l’encre, inspirés des créations d’Alaïa, retravaillés avec son petit-fils, le designer Laszlo Parent : des silhouettes noires imposantes, parfois sans tête, sans visage, qui trouvent leur incarnation dans une simple enveloppe. De purs monochromes, comme si le corps humain ne se limitait plus qu’à une ligne, verticale, délicate, infinie. A l’esquisse d’un rêve.
La courbe féminine d’Alaïa et l’oblique de Parent
Le travail du couturier avait toujours suscité une curiosité particulière chez l’architecte, attiré par la recherche, à la fois expérimentale et accomplie, sur les silhouettes féminines. Ce qui inspire Parent dans les modèles d’Alaïa, ce sont des formes en mouvement, fluides, des robes hyperstructurées – architecturées –, des éléments graphiques et géométriques qui dialoguent d’une certaine manière avec son propre geste d’architecte.
Parent est un vrai enfant de la mode. La beauté de ses dessins se déploie dans cette intrication de deux univers esthétiques distincts – la courbe féminine d’Alaïa et l’oblique de Parent, la sensualité de l’un et le brutalisme de l’autre – réunis par une même obsession : le goût de la géométrie qui, souligne le critique de mode Olivier Zahm dans le catalogue de l’exposition dirigé par Donatien Grau, “relie le corps au monde, l’ouvre au monde et à l’autre”.
Par un puissant effet de révélation contenu dans la finesse du trait, ouvrant sur d’autres horizons que le drapé lui-même, ces dessins dévoilent ainsi des correspondances secrètes entre robes et bâtiments. Sous nos yeux se manifeste, dans sa nudité même, la recherche commune d’une forme. “Une forme de vie (…) une forme pour habiter le monde”, estime la romancière Maylis de Kerangal, qui associe l’imaginaire d’une maison habitée à la vision de ces robes, jupes et manteaux.
Association de deux bienfaiteurs de la volupté
Il est frappant de constater que, dans la plupart de ses esquisses, épurées jusqu’au sublime, Claude Parent superpose des lignes argentées, comme s’il voulait “apporter un élément graphique et artistique renforçant la construction de son dessin, mettant en évidence l’articulation du corps de la femme, en exposant l’axe de la silhouette, des mouvements, de la robe”, explique Laszlo Parent.
Le lien de la mode avec l’architecture s’incarne dans ce trait, dans cet axe magnétique, comme une poutre traverse et consolide une construction. Les dessins des robes dévoilent en creux ce que l’adepte des plans obliques recherchait dans son propre travail, suggère l’architecte Jean Nouvel, admirateur de la première heure de Claude Parent. “Le monochrome, le monolithe, le contraste avec par exemple l’évocation en contrepoint de la masse sombre du vêtement, de la cambrure de la chaussure…” Ces dessins sont “à la recherche d’un angle d’attaque”.
Cette association de deux bienfaiteurs de la volupté est aussi celle de deux créateurs attachés à leur écart, à leur volonté de ne pas jouer le jeu des conventions esthétiques que leurs disciplines imposent. Expérimenter les voies d’un nouveau rapport à l’espace chez Parent ; modeler un corps dégagé des codes stylistiques dominants chez Alaïa : on retrouve chez l’un et l’autre un art iconoclaste de s’inscrire dans le présent pour mieux en dynamiter les règles et refaire un monde – habitable, portable – dont l’enveloppe magnétique apaise le regard et excite les sens.
Claude Parent – Dessiner la mode jusqu’au 25 septembre à la galerie Azzedine Alaïa, Paris IVe
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