Des ancêtres “Baldur’s Gate” et “Planescape : Torment” aux premiers “Dragon Quest” en passant par les rééditions d’œuvres plus récentes comme “Ni no Kuni” ou “The Witcher 3”, le jeu vidéo de rôle est omniprésent dans l’actualité des sorties. Si, d’un titre à l’autre, les propositions ludiques diffèrent largement, certaines idées traversent l’espace et le temps.
On a l’impression d’être un elfe, un gnome, un gobelin, un lézard. On a l’impression d’être le héros de longues et folles aventures au cœur de mondes étranges et merveilleux – et aussi, parfois, un peu affreux. On a l’impression de vivre une deuxième vie à l’intérieur de la première. Et puis une troisième, une quatrième, une cinquième… pour devenir (encore) un autre ou, au contraire, se projeter soi-même bien au-delà de notre quotidien. Entre le jeu vidéo et le jeu de rôle, qui ont pris leur envol à peu près en même temps dans les années 1970 – Pong date de 1972, Donjons & Dragons de 1974 –, l’histoire d’amour ne date pas d’hier, et elle a donné nombre de bien beaux enfants. Dont certains reviennent aujourd’hui au premier plan.
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“Baldur’s Gate” et ses héritiers
“A l’époque, aucun membre de l’équipe n’avait la moindre expérience en matière d’art ou de programmation. Mais ils savaient comment créer un récit évocateur, ils savaient tout sur le jeu de rôle, et ils savaient exactement à quelle sorte de jeu ils avaient envie de jouer”, expliquait l’an dernier le journaliste Graeme Mason dans le magazine britannique Retro Gamer. “Ils”, ce sont les auteurs de Baldur’s Gate, monument du jeu de rôle sur ordinateur paru à l’origine en 1998 qui vient de ressortir. Et ce, accompagné de ses extensions et de sa suite, dans une version à l’ergonomie revue et corrigée pour les consoles actuelles sur PS4, Xbox One et Switch.
En même temps que Baldur’s Gate arrivent chez le même éditeur deux autres RPG (« role playing games ») de la même époque et ayant suivi le même traitement : Planescape : Torment, sorte de cousin excentrique de Baldur’s Gate qui misait presque tout sur la narration interactive, et Icewind Dale, où l’essentiel est le combat qui, dans ces jeux, trouve un compromis entre l’école du tour par tour (comme aux échecs) et celle du « temps réel » (comme dans les jeux de stratégie Warcraft ou Command and Conquer). Ils seront suivis par une autre légende en décembre : Neverwinter Nights.
Le premier point commun entre ces titres d’un autre temps, dont le retour est accueilli avec ferveur par bon nombre de (vieux) joueurs ? Ils s’intègrent tous, par leurs univers comme par leurs systèmes de règles, dans la vaste galaxie Donjons & Dragons. Ou, pour dire les choses autrement, ils viennent tous plus ou moins directement du jeu de rôle dit « sur table », du papier, et cela se ressent encore fortement.
Le texte (malheureusement pas toujours très lisible sur la Switch, en particulier si elle est Lite) occupe ici une place centrale. Il nourrit l’imaginaire, fait tenir l’univers de la fiction, et nous met en position de faire des choix (d’actions, de dialogues…). Avec ces romans à embranchements, qui sont aussi de fascinantes bases de données (techniques, statistiques…) élégamment déguisées, ce qui se passe dans la tête du joueur est toujours plus grand, toujours plus vaste et complexe, que ce qu’il voit à l’écran. Et c’est précisément pour cette raison que Baldur’s Gate, Icewind Dale et Planescape : Torment, malgré quelques lourdeurs d’époque, se révèlent encore aujourd’hui fascinants.
Ce retour au premier plan des grands anciens du RPG à l’occidentale n’est sans doute pas sans rapport avec ce qui se prépare en coulisses : le vrai réveil de la saga Baldur’s Gate, dont l’épisode III est (enfin) en chantier. Aux manettes cette fois, on ne trouve pas les Canadiens de BioWare, qui avaient signé les deux premiers épisodes (avant de créer Mass Effect, Dragon Age ou encore Star Wars : Knights of the Old Republic), mais le studio belge Larian, qui est sans doute son plus brillant héritier. Adapté sur la Switch en septembre et disponible depuis plus longtemps sur la plupart des autres machines à jouer actuelles, son Divinity : Original Sin II le prouve admirablement. Parcourant son monde d’une incroyable richesse, nous voilà à la fois stratège et rêveur, comédien (qui tient un rôle, donc) et voyageur. Là aussi, rien ne compte plus que les mots et ce qu’ils produisent en nous.
https://youtu.be/5qxloZ646Qs
“Dragon Quest” à travers les âges
C’est aussi sur la Switch qu’a eu lieu il y a peu une étonnante collision temporelle, mais cette fois au sein de la branche japonaise du jeu vidéo de rôle. Le même jour y ont ainsi été lancés quatre épisodes de la mirifique saga Dragon Quest : la très attendue adaptation du XI, disponible depuis l’an dernier sur PS4, mais aussi les volets I, II et III, dont les versions originales remontent respectivement à 1986, 1987 et 1988. Entre elles, trente années se sont écoulées (ou presque, car les plus anciens épisodes ont quand même eu droit à un petit lifting dans le sillage de leurs récentes versions mobiles), et pourtant, en les pratiquant, on n’a pas du tout le sentiment qu’elles sont séparées par un gouffre de trois décennies.
Il faut dire que la question du temps et de ce qu’il fait aux histoires comme aux gens a toujours tenu une place importante dans la saga Dragon Quest. Cela vaut d’ailleurs aussi pour ses systèmes de jeu (et notamment de combat), qui évoluent très peu d’un épisode à l’autre – à l’inverse, par exemple, de ce qui se passe chez le grand rival Final Fantasy. Dans l’édition Switch annoncée « ultime » de Dragon Quest XI, il est même possible, sous certaines conditions, de basculer d’une représentation 3D moderne de son monde à une autre, plus primitive, en 2D (mais en retrouvant aussi, au passage, certaines conventions pas forcément agréables des RPG japonais d’antan, comme les affrontements « aléatoires » contre des monstres qui se déclenchent sans prévenir, et sans qu’on n’ait la possibilité de les éviter).
Dragon Quest, c’est à la fois une épopée lyrique et une suite de petites musiques, une grande expédition et une collection de micro-fictions. C’est un jeu rieur et bienveillant qui tient à maintenir (et même à célébrer) la continuité, presque la coexistence entre hier et aujourd’hui. Le joueur y est certes moins autonome que dans les RPG occidentaux « canal historique » type Baldur’s Gate / Divinity : Original Sin, mais pas forcément moins libre à proprement parler. C’est une question de philosophie et de tempo, de manière de voir ce que cela signifie d’être au monde. Les premiers Dragon Quest, que l’on retrouve donc désormais sur la Switch, s’inspiraient notamment du jeu (vidéo) de rôle américain Wizardry (1981) qui, lui-même, devait beaucoup à Donjons & Dragons. Il est pourtant difficile de ne pas penser que ce qui fait son prix, c’est son esprit profondément japonais.
Rêveurs et voyageurs
Deux jeux de rôle marquants des années 2010 font aussi à nouveau l’actualité en cette fin d’année riche en retours vers le passé. Deux jeux qui pourraient difficilement paraître plus éloignés l’un de l’autre. A première vue, que peut-il bien y avoir de commun entre la féerie coproduite par le studio Ghibli d’Isao Takahata et Hayao Miyazaki de l’adorable Ni no Kuni (remastérisé pour la PS4, la Switch et le PC) et de la luxueuse âpreté de The Witcher 3 qui, lui, vient d’arriver sur la Switch (dont beaucoup pensaient qu’elle n’avait pas la puissance suffisante pour le faire tourner correctement, mais en fait si) ?
Sans doute moins abouti ludiquement que sa suite parue l’an dernier, Ni no Kuni : La Vengeance de la sorcière céleste a pourtant quelque chose de plus que cette dernière, et l’on ne parle pas seulement de ce que lui apporte plastiquement la contribution de Ghibli (qui n’a pas pris part, du moins sous son nom propre car certains artistes qui lui sont liés étaient toujours là, à l’épisode 2).
La première force du Ni no Kuni original, c’est sa manière de mettre en relation l’univers fantastique dans lequel prend place son aventure avec notre réalité à nous (ou, en tout cas, la charmante relecture manga qu’il en propose). Son héros est un petit garçon baptisé Oliver qui, à la mort de sa mère, voit sa peluche préférée se transformer en fée et l’entraîner dans un pays magique, lequel est comme une autre version du monde dans lequel il vivait jusqu’alors. Et si cela disait aussi quelque chose de la position même de l’amateur de jeux vidéo, et notamment de rôle, qui s’extrait de son quotidien, sans rompre totalement avec lui, pour se raconter des histoires et jouer les héros en se confrontant éventuellement, mine de rien, à des enjeux qui le touchent au plus profond de lui ? Car tout jeu de rôle digne de ce nom est aussi une simulation de situations.
Des parties longues aux petites visites impromptues
The Witcher 3 le démontre aussi de manière éclatante, lui qui est à la fois un héritier des RPG occidentaux classiques (dont il reprend la logique de choix à faire, notamment dans les dialogues) et un élève doué de l’école japonaise du jeu de rôle mâtiné d’action – Zelda n’est pas bien loin, parfois. La grande aventure, ici, se vit au plus près de l’action, des corps et des décors, des matières et des surfaces, de la peau autant que du cerveau.
C’est l’une de ses grandes réussites et, même si les inconditionnels des affrontements stratégiques seront inévitablement frustrés par son système de combat direct et nerveux, l’une des raisons qui amènent à voir en l’œuvre du studio polonais CD Projekt une forme d’aboutissement pour cette longue et fructueuse histoire qu’est celle du jeu de rôle sur consoles et ordinateurs. Comme tous les titres évoqués ici, le fait qu’il soit désormais disponible sur la Switch et, donc, jouable aussi en mode portable, est une raison supplémentaire de se réjouir, car les jeux de rôle ont ceci de particulier qu’ils se prêtent aussi bien aux parties longues, en immersion des heures durant, qu’aux petites visites impromptues pour retrouver leurs paysages, humer leur atmosphère, prendre des nouvelles de leurs habitants. Et réveiller notre elfe ou notre gobelin intérieur, même pour un instant.
Baldur’s Gate I & II – Enhanced Edition (Beamdog / Skybound Games / Just For Games), sur PS4, Xbox One et Switch, environ 50€
Planescape : Torment + Icewind Dale – Enhanced Edition (Beamdog / Skybound Games / Just For Games), sur PS4, Xbox One et Switch, environ 50€
Divinity : Original Sin II – Definitive Edition (Larian Studios), sur Switch, environ 50€
Dragon Quest I, II et III (Square Enix), sur Switch, environ 5€ chacun
Dragon Quest XI S : Les Combattants de la destinée – Edition ultime (Square Enix / Nintendo), sur Switch, environ 45€
Ni no Kuni : La Vengeance de la Sorcière Céleste – Remastered (Level 5 / Bandai Namco), sur PS4, Switch et PC (Windows), environ 45€
The Witcher 3 : Wild Hunt – Complete Edition (CD Projekt / Bandai Namco), sur Switch, environ 50€
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