Pendant cinq mois, une journaliste s’est immiscée dans la vie de femmes SDF. Dans “Sur la route des invisibles”, elle raconte leur quotidien, leurs angoisses, leurs espoirs. Publié le 24 septembre, ce livre est un hommage à des femmes trop souvent ignorées.
« Après trois semaines, on constate déjà les dégâts physiques et psychologiques de la rue », écrit Claire Lajeunie. Certains y passent des mois, d’autres des années. Avec Sur la Route de Invisibles, c’est sur les femmes que la journaliste et réalisatrice a voulu se concentrer. Selon le rapport de 2012 de l’Insee, elles seraient 40 % de la population des SDF. Sauf que ces femmes, on ne les voit que rarement car on ne prend simplement pas la peine de les regarder, ou bien parce qu’elles se cachent – pour éviter le regard des autres, mais aussi par peur de la violence des hommes SDF.
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Pour son projet, cette journaliste-réalisatrice a passé cinq mois en immersion, en plein hiver, auprès des femmes de la rue. Certaines sont résignées à y rester, d’autres caressent encore le rêve d’une vie meilleure. D’abord difficiles à approcher, Claire Lajeunie a suivi cinq femmes, jeunes et moins jeunes. Au fil des rencontres, elle a réussi à gagner leur confiance et à les faire témoigner.
« Un enfer, fait de violences et d’agressions »
Qu’elles errent à la gare de Lyon, dorment dans le Noctilien, aillent de squat en squat derrière le périphérique, se cachent dans des parkings, cherchent un moyen de se laver… Les femmes dans la rue sont bien plus vulnérables que les hommes dans la même situation : « Progressivement, elles perdent tout repère. Leur vie est un enfer, fait de violences et d’agressions. Elles sont des proies faciles et doivent être sans cesse sur le qui-vive ».
C’est pour cette raison qu’elles ne traînent que rarement en bande: afin d’éviter de se faire repérer et d’être en proie à des violences, notamment des viols. La question que soulève Claire Lajeunie est celle que l’on se pose forcément tous : quand on menait une vie « normale », avec un travail et des enfants, comment peut-on en arriver là? A quel moment ces femmes ont-elles « basculé » ? Au cours de la lecture, on comprend que les choses peuvent aller plus vite qu’on ne le croit. Pour la plupart, ces femmes ont fait face à une grande précarité matérielle après des accidents de la vie; leurs histoires divergent mais toutes endurent une « grande souffrance ».
Des profils très différents
Parmi les femmes suivies par Claire Lajeunie, certaines sombrent vite dans la drogue, comme Julie, fine et jolie blonde de 26 ans qui se pique quotidiennement dans les sous-sols des parkings des Galeries Lafayette. Originaire de Nice, cette jeune femme a suivi le mode de vie d’un petit ami drogué à Paris après des tensions avec sa famille. « On s’enlise dans ce style de vie marginal et on perd l’envie d’en sortir » commente-t-elle. D’autres ne touchent même pas à l’alcool, comme Catherine, mère de 56 ans qui a perdu la garde de ses deux enfants et a fini SDF après un enchaînement de problèmes. Elle raconte que c’est la rupture avec sa famille qui l’a fait chavirer… Désormais, Catherine paraît: « dix ans de plus que son âge: la rue abîme vite ».
Rendre ces femmes belles
A devoir se pourvoir de grands manteaux informes, à attendre des heures voire des jours pour pouvoir prendre une douche, les femmes de la rue sont évidemment contraintes à un laisser-aller total. Dans ce livre écrit à la première personne, la journaliste raconte avec justesse – sans pour autant tomber dans la pitié – les états d’âme que traversent ses personnages.
A propos de Julie, la journaliste se demande: « A-t-elle gardé l’envie de plaire ? Que voit-elle dans le miroir ? Quelle estime garde-t-elle d’elle-même? ». Car finalement, l’un des plus gros défis pour ces femmes, constamment ignorées ou humiliées, c’est de conserver leur dignité. « Suite à de telles trajectoires, elles vivent dans un rapport à elle-même assez complexe et certaines ont pu développer des fragilités narcissiques et psychologiques », est-il expliqué. Avec beaucoup de courage et de volonté, certaines parviennent à s’en sortir. En partant à leur rencontre et en racontant leurs histoires, Claire Lajeunie rend leur beauté à ces femmes, qui nous paraissent si loin et proches à la fois.
Si la journaliste-réalisatrice n’entend pas faire changer le cours des choses – bien que la situation des sans-abris la révolte – Sur la route des invisibles a le mérite de donner un visage et une âme à ces femmes dont on n’ose que rarement croiser le regard.
Sur la Route des Invisibles, Claire Lajeunie, éditions Michalon, sortie le 24 septembre 2015
Le documentaire Femmes Invisibles sera diffusé sur France 5 le 29 septembre
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