De Ce soir (ou jamais!) à France Musique, Christophe Bourseiller agite les médias de sa curiosité insatiable. Au service d’une cause : le savoir, surtout celui des marges et des contre-cultures.
Entre ses enregistrements d’émissions sur France Musique – Electromania et L’Autre Dimanche, deux laboratoires des musiques expérimentales – et la préparation, comme conseiller éditorial, de Ce soir (ou jamais!) sur France 3, ses conférences à Sciences-Po sur les extrémismes politiques et l’écriture de nombreux livres, ses activités d’archivage de tracts et ses explorations des petits labels parallèles… Christophe Bourseiller porte les stigmates de l’honnête homme – le curieux invétéré – mais aussi de l’homme occupé au-delà du raisonnable.
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« Je ne sais pas flâner, ne rien faire, je suis en guerre, je bosse tout le temps », confie-t-il, ce matin-là dans le bureau de Frédéric Taddeï. Christophe Bourseiller conseille le présentateur depuis la création de l’émission, il y a cinq ans. « C’est lui qui décide au final, mais je défends auprès de lui les auteurs que je crois importants et ne suis qu’un avocat de mes propres lectures. »
« Pour faire venir Noam Chomsky, il a fallu plus d’un an de tractations en amont », souligne-t-il. « Quant à Peter Sloterdijk, cela a été cinq ans de travail. Manque de chance : le jour où il devait enfin venir, Taddeï était malade. Je crains que l’on ne voie plus jamais Sloterdijk à la télé française », regrette-t-il.
Il y a chez Bourseiller cette part de croyance sincère dans l’idée que les penseurs et les artistes éclairent le monde et que, sans eux, nous souffririons de cécité. Sa guerre consiste à faire résonner l’écho de leurs voix dans les postes de télé et de radio.
Enfant de la rébellion des années 60
La pensée révoltée, la contestation politique, l’avant-garde artistique : Christophe Bourseiller est né au contact de ces trois mamelles de l’esprit rebelle. Fils d’acteurs de théâtre (beau-fils du comédien Antoine Bourseiller), il a traversé, enfant, le coeur des années 60 dans ses marges les plus éloquentes.
« J’ai été le plus jeune mao de France : quand j’avais 7 ans, mon parrain Jean-Luc Godard m’a remis en main propre Le Petit Livre rouge, en me disant ‘Tu l’expliqueras à tes parents’ ! »
Proche de Genet, Ionesco ou Aragon… il s’est naturellement ouvert aux territoires parallèles ; empiriquement, il en connaissait les modes d’emploi. Enfant de la balle, il est devenu un adolescent du papier : à 15 ans, il rédige des fanzines d’avant-garde avec des textes codés et du copy art. Casablanca, fanzine sur la new-wave, paraît en 1981. Après avoir vu les Ramones au Bataclan en 1977, il devient un spécialiste hexagonal de la scène punk et post-punk, qu’il racontera dans son livre Génération chaos.
La musique, depuis ses premiers disques du Velvet lorsqu’il était encore gamin, est restée le coeur vibrant de sa vie agitée. Toutes les émissions qu’il a animées sur les ondes – de Radio Mégal’O à La Voix du Lézard, de Radio 7 à France Culture, de Radio Nova à France Musique -, se nourrissent de son encyclopédisme des marges sonores.
« La radio, c’est du théâtre, cela m’a permis de triompher de ma timidité. »
La comédie a aussi marqué ses jeunes années : acteur chez Godard entre 1964 et 1967, il a marqué le public avec des comédies populaires, d’Un éléphant, ça trompe énormément à Profs. Il confesse, enjoué, qu’une suite de Profs se prépare aujourd’hui.
L’éclectisme de ses positions lui sied : de Guy Debord à Patrick Schulmann, la cohérence de son parcours tient d’abord au plaisir du jeu qui l’anime. Les marges politiques n’ont pas moins de secret pour lui : des maos aux néo-fachos, des trotskistes aux situationnistes…
« La normalité m’ennuie »
Bourseiller a exploré des espaces politiques que rien ne relie, sinon un motif commun : ennemi du système. « Il est vrai que la normalité m’ennuie », reconnaît-il, tout en confessant qu’une enquête sur des militants centristes pourrait être aussi palpitante, comme si la tiédeur recelait une part de subversion ultime. La « noirceur » du monde l’attire irrésistiblement. « Je suis très pessimiste, mais curieux. » Autrefois libertaire, il ne revendique plus aucune étiquette : « Je n’épouse aucune cause ; je préfère la nuance. »
Sans nostalgie pour les années 80, « atroces », ou pour les années 2000, « très violentes », il déplore ce qui manque à notre époque : « Une voie, un souffle, une dimension spirituelle. »
Ce qui le définit au fond le mieux est son désir de tout conserver, d’habiter sa mémoire des traces du monde qui avance comme un train dans la nuit.
« Je suis un archiviste fou ; j’ai besoin des objets, des livres, des disques pour me rappeler des choses. »
Plutôt collecter que collectionner. Bourseiller est un glaneur qui rôde sur les marchés des objets et des idées dispersés. A chaque manif, il ramasse les tracts, une manie chez lui. « Sur la Libye, par exemple, j’ai tout : je suis allé en 1972 chercher à l’ambassade Le Petit Livre vert de la révolution ; j’ai toute la propagande de Khadafi des années 70. De même pour la Corée du Nord ! »
Très sensible au travail de Carlo Ginzburg sur la « micro-histoire », il s’est constitué un fonds d’archives gigantesque dont une grande part a été transmise à l’Institut international d’Histoire sociale d’Amsterdam.
« J’ai donné mes caisses Mao, j’en pouvais plus. »
« Les archives nourrissent mon imaginaire », dit-il, comme si son obsession des traces insufflait à son regard sur le monde une dimension poétique. Son érudition sur des sujets invraisemblables l’a fait comparer à Bouvard et Pécuchet. Il dit « se voir écrire jusqu’à son dernier souffle ». Comme si une vie ne suffisait pas à tout saisir, à tout dévoiler, y compris le sens de sa propre fantaisie et de ses périples obscurs.
Jean-Marie Durand
Electromania le mardi à 0 h, et L’Autre Dimanche le dimanche à 21 h Sur France 3 Ce soir (ou jamais!), du lundi au jeudi à 23 h Mai 1981 raconté par les tracts (Presses de la Cité), 157 p, 21€.
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