Chaque semaine, l’émission “Touche pas à mon poke”, diffusée sur Le Mouv’, interroge une personnalité sur son rapport au web. Christophe Barbier nous a ouvert l’historique de son navigateur. Voici la retranscription écrite de cet entretien dans lequel le patron de l’Express revient sur ses éditos vidéos, son rapport contrarié à Twitter et sa perception des médias en ligne.
Quel est le premier site que vous consultez au réveil ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Lorsque je me réveille à 5h15 chaque matin, je regarde immédiatement mes mails. Et assez vite avant d’aller sous la douche, je consulte Twitter. Je regarde si des alertes intéressantes sont arrivées ou s’il faut contrer des invectives qui auraient pu être lancées. C’est le réseau qui m’inquiète le plus. J’en ai parlé récemment à Cécile Duflot et elle m’a dit : « j’en ai marre d’avoir 50 messages disant ‘espèce de grosse truie’ pour trouver un tweet intéressant ». Je considère que sur Twitter, les poubelles ont envahi l’espace. Quand vous avez enlevé tous les messages de ceux qui vous insultent, vous avez perdu beaucoup de temps et les trois tweets que vous avez sauvé n’en valent souvent pas la peine. C’est un média qui est en train de perdre de sa valeur pour le débat.
Vous pensez arrêter de tweeter ?
Je m’en sers encore pour envoyer des nouvelles du journal mais je n’ai plus envie d’animer un débat ou de recruter de nouveaux followers. Le réseau est trop caviardé et pollué…
Comment expliquez-vous ce genre de réactions ?
A cause de l’anonymat et du fait que Twitter ne fasse pas la police et n’élimine pas de son réseau, ceux qui ne pensent qu’à vomir leur haine.
Depuis 2006, vous êtes un pionnier de l’édito-vidéo sur le web. Comment est née cette idée ?
J’ai toujours considéré qu’Internet et les réseaux sociaux étaient, pour les médias, des émetteurs. J’ai tout de suite pensé que L’Express en tant que marque d’information, devait se servir de tous les outils technologiques pour pouvoir émettre. J’ai commencé par le blog et ensuite je suis passé à la vidéo. C’était un pari, car l’image animée semblait interdite à un hebdomadaire. L’hebdo a le droit au texte et aux photos. L’Express avait même lancé une radio en 1981 au moment des radios libres mais faire de la vidéo ou de la télévision, cela paraissait impossible. Avec l’édito vidéo, on a prouvé le contraire.
Dans vos premières vidéos, pourquoi insistiez-vous autant sur les symboles ? Je me rappelle que vous vous cachiez derrière une plante verte pour parler de la Taxe Carbone, par exemple.
J’ai agi ainsi parce qu’Internet fonctionne sur le buzz et la viralité. Au départ, je me suis mis en scène sous la neige ou sur un capot de voiture pour attirer l’attention des internautes. J’avais l’espoir que les internautes dépassent la forme pour s’intéresser au fond.
Vous reconnaissez qu’il y avait un côté un peu burlesque tout de même ?
Le ludique est une fonction inhérente au Web. Il faut que ça soit jeune, audacieux et innovant dans la forme pour que ça marche. Si vous n’êtes pas décomplexé, vous êtes institutionnel. Si c’est pour faire le blog du journal officiel, ce n’est pas la peine. Je n’ai jamais travesti ma pensée sur ces éditos-vidéos. J’ai ajouté à une pensée éditoriale sûre d’elle même, un décorum et du show, comme on peut le faire lorsqu’on va à la télévision.
Vous assumez votre côté troll parfois ?
Oui, enfin, il y a des trolls qui sont beaucoup plus trolls que moi. J’essaye plutôt d’être dans le ludique. Après, il y a la ligne rouge que l’on franchit ou le tabou que l’on fait sauter sur le fond. Mais ça, je le fais tout également dans mes éditos écrits.
Récemment, vous vous êtes mis à poster des questions vidéos sur Instagram.
C’est Laurent Solly (directeur général de Facebook France – ndlr) qui m’a conseillé de tenter un édito Instagram pour voir comment les politiques réagiraient. Je l’ai tenté sur une première semaine. Je pense que la « mini-vidéo interpellative » qui est un sous-produit de l’édito-vidéo a une vraie potentialité. Il y a quelque chose à creuser.
On vous répond ?
Le premier a très bien marché puisque j’ai interpellé Marisol Touraine et elle m’a répondu immédiatement. Je l’ai tenté avec d’autres, je n’ai pas eu de réponse. Est-ce qu’une bouteille lancée à la mer à de la valeur ? Je ne sais pas. Maintenant, le problème d’Instagram, c’est qu’on ne peut le faire qu’avec un iPhone et je suis très attaché au Blackberry, à cause du clavier physique qui me permet de taper très très vite.
Vous vous tenez au courant de toutes les innovations technologiques ?
Je ne suis pas un geek mais j’observe ceux qui pratiquent autour de moi. Un jour, des journalistes à la pointe des nouvelles technologies sont venus me voir pour me dire : « On a quelque chose de révolutionnaire. Le monde va changer ! Il faut investir de l’argent dedans, ça s’appelle Second Life ». Mais plus ils m’expliquaient le concept, plus je me rendais compte que c’était du vent et que l’on ne récupérerait jamais nos billes. Et six mois après, Second Life, c’était fini. Donc je pense qu’il faut rester assez ignorant des nouvelles technologies pour être du côté du bon sens.
Quel regard portez-vous sur les sites d’informations ?
Le Lab d’Europe 1 est devenu un outil de travail assez important pour les journalistes. Il y a un coté gossip dedans, on y retrouve toutes les petites phrases prononcées par les hommes politiques. J’ai l’impression que ce site est un l’équivalent du mouvement des selfies sur l’égotisme des individus. Le Lab permet de comprendre pourquoi un homme politique a dit une phrase pour qu’elle tourne et qu’elle buzze. Et ça c’est quand même pas mal !
Quel regard portez-vous sur les pure-players ?
L’affaire Cahuzac a fait changer Mediapart de statut. C’est un thermomètre mais dont il faut se méfier car il veut faire la pluie et le beau temps alors qu’un thermomètre doit simplement nous dire s’il pleut ou s’il fait beau. Sinon, j’utilise Slate pour aller chercher du fond sur des thèmes sur lesquels je voudrais faire un édito ou un dossier de couv’. C’est un regard plus distancié et plus approfondi sur l’actualité. Mais ce qui m’intéresse surtout c’est l’impact que peut avoir Mediapart sur les pros de l’investigation ou celui de Slate sur les pros de la politique ou de la géopolitique.
Et Rue89 ?
Pour moi, c’est fini. C’est un phénomène qui est maintenant « Obsisé ». C’est un concurrent de L’Express parce qu’ils sont rentrés dans la coupole du Nouvel Obs et pour moi, ce n’est plus une source.
Vous considérez qu’ils ont perdu leur nature depuis le rachat par Le Nouvel Obs ?
Oui, bien sûr. Le rachat de Rue89 par Claude Perdriel a été une mauvaise affaire économique et j’estime qu’un pure-player n’a d’intérêt que s’il est « pur », c’est-à-dire seul. S’il ne trouve pas son équilibre seul, il doit disparaître. Le seul qui a réussi à dépasser cette barrière, grâce à la course au scoop et à la personnalité d’Edwy Plenel, c’est Mediapart.
Pensez-vous que la presse finira par trouver son modèle économique sur le Web ?
Je pense que les sites d’informations grand public comme les nôtres vont finir par trouver les clés de l’offre comme le New York Times a pu le faire pour qu’un modèle économique payant trouve sa place. Lorsqu’on atteindra ce stade, ce sera un défi pour les pure-players, similaire à celui de Canal + lorsqu’il a dû affronter l’arrivée des chaînes de la TNT…
Propos recueillis par David Doucet
Retrouvez la chronique audio de cette séquence de Touche pas à mon poke sur le site du Mouv’.
{"type":"Banniere-Basse"}