Pour le chapitre hexagonal de la collection L’Europe des écrivains, David Teboul s’attache aux textes de Christine Angot, Jean-Christophe Bailly et Marie Darrieussecq. Dépaysement garanti.
Si la lumière d’un pays se réfracte dans certains des romans qui y poussent, l’idée d’en réduire l’éclat à trois auteurs bute sur l’évidence d’un choix arbitraire. En choisissant les œuvres de Christine Angot, Jean-Christophe Bailly et Marie Darrieussecq comme trois lieux de sédimentation privilégiés d’un geste d’écriture hexagonal, David Teboul assume pourtant un choix cohérent.
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En prélevant dans la masse prolifique des auteurs hexagonaux ces trois figures des lettres contemporaines que rien, a priori, ne réunit (ni le style, ni les motifs du récit), le documentariste assemble des parties dispersées cachant une vraie cause commune : raconter la France à partir des traces, des oublis, des pertes, des trous, des fragments, des fantômes, des paysages qui en forment le cadre flou. Si cartographier, c’est faire œuvre, si sélectionner, c’est proposer, le film de Teboul, clôturant la collection “L’Europe des écrivains”, constitue une proposition stimulante sur le présent d’une certaine littérature française et ce qui la traverse en creux.
Figures mythiques de la littérature française
Le dispositif du film s’ajuste à sa construction ternaire : trois temps distincts, trois mouvements, trois visages, trois univers se succèdent à part égale. Aucun lien de transition visible ne réunit les parties, comme séparées par un écran noir. Pourtant, habilement, David Teboul ne cesse d’insérer dans les interstices de chaque entretien des propos de trois figures mythiques de la littérature française, Pierre Guyotat, Patrick Modiano et Pascal Quignard, mais aussi des extraits de films (Selon Matthieu de Xavier Beauvois, La Graine et le Mulet, d’Abdellatif Kechiche) qui tendent à tout relier, à dessiner les frontières imaginaires de la langue et des identités.
Comme venus d’outre-tombe (en l’occurrence d’enregistrements d’anciennes émissions de télé et de radio), les voix de ces écrivains font écho à celles d’aujourd’hui ; elles les intensifient autant qu’elles les réintègrent dans le cadre d’une histoire nationale.
Entrelacer des styles et des voix
Quelque chose se tisse entre tous, autant le désir du récit ample et intime que le souci d’y briser le modèle d’une identité figée. La beauté du film de Teboul tient dans cet art d’entrelacer des styles et des voix, les temps anciens et le présent inquiet, mais surtout d’arriver à leur conférer une unité majestueuse.
La perte, fil rouge du film, c’est par exemple celle de l’enfance de Christine Angot, filmée dans le jardin de sa maison familiale à Châteauroux, comme Patrick Modiano revenait dans son cinéma parisien transformé en supermarché (pour l’émission Cinéma cinémas). Ici, “c’est mon jardin d’Eden, mon paradis perdu”, explique Angot pour qui, comme pour Quignard (“quelque chose a été perdu”), l’objet de la littérature n’est rien d’autre que de donner corps à un territoire enfoui.
Identités imbriquées
Un territoire dans lequel Jean-Christophe Bailly recherche le dépaysement, pour mieux s’y retrouver : “Plus un pays est dépaysant, plus il est lui-même”, dit l’auteur en quête de lieux parfois désolés où quelque chose a été chanté autrefois. “Le passé, ce n’est pas seulement ce qui a eu lieu, mais aussi ce qui a été rêvé”, rappelle Bailly citant Walter Benjamin.
Les traces de ce passé chanté, les échelles de composition des identités imbriquées à la manière d’une poupée russe traversent son grand livre, Le Dépaysement (Seuil, 2011), qui s’élève contre “l’empaysement”, contre un pays qui se vautre et s’englue en lui-même. Aux identités crispées et mortifères, il oppose les déplacements dans le temps et l’histoire.
Fantômes qui rôdent
Les secrets des lieux et les pertes familiales trouvent aussi une place de choix dans l’œuvre romanesque de Marie Darrieussecq, filmée sur ses terres du Pays basque. Pour elle, “écrire, c’est avoir les doigts branchés dans la prise de la mélancolie”. Des fantômes qui rôdent aux souvenirs du passé qui affleurent, du quotidien impénétrable à l’impénétrable quotidien, les œuvres ici évoquées composent des paysages saisissants qui, réunis par le regard attentif de David Teboul, ressemblent à la France des écrivains.
L’Europe des écrivains – La France de Christine Angot, Jean-Christophe Bailly et Marie Darrieussecq documentaire de David Teboul. Mercredi 11, 22 h 30, Arte
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