Alors que « Gólgota picnic » de Rodrigo García est attendu cette semaine sur la scène du Rond-Point à Paris, des directeurs de théâtre préparent la contre-offensive envers les ultra-cathos.
On ne se doutait pas que du corps du Christ au corps du délit, il n’y avait qu’un pas. Rappel des faits au moment où l’équipe du Théâtre du Rond-Point se prépare à une nouvelle tentative d’offensive liberticide pour censurer les artistes. Comment contrer les coups de force contre la liberté d’expression et le recours à l’intimidation pour censurer la culture ? Ces types d’attaques se multiplient pourtant depuis la destruction au marteau du Piss Christ, (œuvre réalisé par Andres Serrano en 1987) lors de son exposition à la Collection Lambert d’Avignon au printemps dernier. Puis c’est au tour des théâtres d’être désignés pour cibles.
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Depuis cet automne, Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci, et Golgota Picnic de Rodrigo García ont été perturbés à l’appel d’associations de catholiques intégristes liées à l’extrême droite coordonnées par l’institut Civitas qui entend lutter contre une prétendue « christianophobie ».
En France, il faut remonter en 1966, pour trouver la trace de pareils agissements sur une scène de théâtre : quand le Théâtre de l’Odéon fut envahi par des commandos se réclamant d’Algérie Française, lors de la douzième représentation des Paravents de Jean Genet, mis en scène par Roger Blin. Pour Romeo Castellucci, les troubles ont commencé lors de la création française du spectacle au festival d’Avignon.
« Comme chaque année, précise son directeur Vincent Baudriller, nous organisons un cycle de rencontres Foi et Culture avec le clergé. C’est le frère Samuel, de la Congrégation des Frères de Saint Jean, qui a co-animé, avec deux frères dominicains et le père Chave, la rencontre consacrée à Romeo Castellucci. Il a par ailleurs publié une tribune dans Le Figaro pour défendre l’importance du spectacle. Et ce sont les frères dominicains qui, pour la dernière du spectacle, après des appels à manifestation et des menaces de perturbation, sont venus dialoguer et convaincre les protestataires de ne pas s’opposer au bon déroulement de la représentation.
« Nous n’avions pas imaginé le déploiement d’une telle violence »
C’est dire le choc, pour le monde de la culture, quand le 20 octobre dernier, lors de la première du spectacle de Roméo Castellucci, le Théâtre de la Ville à Paris est assiégé par des commandos se réclamant, entre autres, de l’Action française. Pour Emmanuel Demarcy Mota, son directeur : « Il ne s’agit pas d’un mouvement spontané. Depuis l’été, nous avons fait l’objet de nombreuses menaces et de tentatives d’intimidation, mais nous n’avions pas imaginé le déploiement d’une telle violence. Dès le soir de la première, nous avons dû faire face à des groupuscules déterminés à faire usage de la force. De tels faits sont inacceptables, ils doivent être reconnus, dénoncés et jugés. A l’extérieur, malgré la présence de la police, un commando a essayé de mettre des chaînes aux portes pour empêcher l’entrée au théâtre, puis ils ont arrosé le public avec des bombes de gaz lacrymogène rendant le hall irrespirable. S’agissant de ce qui s’est passé sur le plateau, nous avons des vidéos qui ne laissent aucun doute sur la volonté des perturbateurs et leur détermination. Il s’agit bien d’actes de violence caractérisés. »
Suite à ces exactions, Emmanuel Demarcy Mota, également directeur du festival d’Automne à Paris, a décidé de traduire en justice les fauteurs de troubles.
« Nous avons porté plainte de manière systématique contre tous ceux qui ont perturbé le spectacle de Romeo Castellucci. Sur ce sujet, il est hors de question de transiger. Les procès vont bientôt commencer, il faut savoir qu’il y a 30 affaires en cours correspondant aux quatre soirs où des perturbateurs ont été arrêtés par la police dans la salle pour atteinte à la liberté d’expression au titre de l’article 431-1 du code pénal. »
Cinq audiences étaient prévues entre le 30 novembre et le 3 décembre. Mais, le Président du Tribunal de Grande Instance a décidé le 30 novembre de regrouper toutes les affaires en une audience repoussée au 22 mars 2012 devant la 24e Chambre du Tribunal. D’ici là, toutes les personnes mises en cause font l’objet d’un contrôle judiciaire avec interdiction d’entrer aux Théâtres de la Ville et du Rond-Point.
« La religion n’est qu’un prétexte »
Pour François Le Pillouër, président du Syndéac et directeur du Théâtre national de Bretagne, qui a dû faire face aux mêmes groupes de perturbateurs à Rennes, pas question non plus de banaliser ces actions : « Contrairement à ce que disent certaines personnes, l’affaire est très grave. Car je pense que la religion n’est qu’un prétexte. Il s’agit vraiment d’une tentative de résurgence des pratiques de l’extrême droite en France avec ses méthodes violentes. Or, on sait que l’extrême droite en Europe n’est pas un fantasme, c’est malheureusement une réalité, et plus elle monte en puissance, plus elle devient agressive… Il faut faire respecter la loi dans les faits et là, on voit bien que ces gens qui sont à chaque fois déboutés et ne respectent donc pas les décisions de la justice, sont prêts à franchir la ligne jaune qui les amènerait à avoir une attitude encore plus liberticide. »
Ce qui a conduit François Le Pillouër à porter également plainte contre deux agitateurs : « J’attends la réponse du Parquet. Si je découvre que le Parquet ne nous suit pas, je me porterai alors partie civile pour obtenir la nomination d’un juge d’instruction. Nous serons d’une grande fermeté, car on sait que tout a été fait pour que les protestataires aillent jusqu’à monter sur scène pour empêcher les représentations. Le président de Civitas m’a dit : ‘Nous n’encourageons pas les gens à le faire, mais j’admire ceux qui osent.’ Je pense que tout démocrate appréciera la nuance. Et je veux aussi dénoncer ces manipulations qui tentent de s’approprier le point de vue de catholiques plus ou moins modérés. »
C’est maintenant au tour de Rodrigo García de subir les foudres des militants de l’AGRIF (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne) qui demande l’interdiction de son spectacle Golgota Picnic, par voie de justice tandis que l’institut Civitas appelle à manifester, sans compter les ouailles intégristes de St Nicolas du Chardonnet décidées à venir en procession jusqu’au théâtre et les chrétiens diocésains modérés qui, sous la houlette de Monseigneur Vingt-Trois, veulent déposer une fleur blanche devant le Rond-Point avant une veillée de prière à Notre-Dame de Paris.
« La nouveauté, constate avec humour Jean-Michel Ribes, le directeur du Théâtre du Rond-Point, c’est qu’avec Golgota Picnic de Rodrigo García, Christine Boutin s’engage elle aussi en disant : ‘Là, c’est trop.' » Sur le sujet, il a lui aussi sa théorie : « L’église ne se gêne pas pour prendre part au débat politique, elle condamne l’avortement, le port du préservatif, elle est contre l’homosexualité… Alors à partir du moment où elle se positionne ainsi, de quel droit serait-t-elle protégée du combat des artistes contre toutes les oppressions ? Romeo Castellucci se revendique d’une mystique, Rodrigo García d’une satire et d’une subversion drolatique permanente. Quel est donc ce sacré qui s’inquiète de sa propre mystique et tremble devant le rire ? »
Quoi qu’il en soit, Jean-Michel Ribes sait qu’il devra faire face à des troubles. « Pour la sécurité, on a eu une réunion à vingt-cinq ! La préfecture de police, le sous-préfet, les renseignements généraux, la brigade anti-terroriste. C’est dingue, on avait l’impression d’être au centre d’une attaque terroriste… La police est consciente du problème et a prévu un dispositif conséquent. Elle nous a demandé de faire appel à une société privée pour la sécurité avec deux maîtres chiens présents toute la nuit et de mettre des portiques à l’entrée de la salle, comme au 104 pour les dernières représentations de Romeo Castellucci. C’est un coût énorme. On est en train de faire les devis et de parler avec la Ville et le ministère pour qu’ils prennent en charge un certain nombre de choses. Mais j’ai surtout peur du discours récupérateur de l’extrême droite qui profite de cette mobilisation pour faire avancer ses idées. »
Pour Jean-Michel Ribes, la seule réponse est de réaffirmer la défense d’un théâtre de la liberté d’expression : « Depuis que je suis à la direction du Théâtre du Rond-Point, je revendique ce lieu comme un endroit de libre parole, et je prône ici le rire de résistance, celui qui fait bouger les choses dans une audace joyeuse. Tant mieux si la fantaisie dérange, si elle déniaise les nuages et fragilise les temples. Mais qu’on ne s’y trompe pas : leur but est encore et toujours de vider les salles, et je fais un appel au public pour qu’il vienne voir le spectacle de Rodrigo Garcia et constater par lui-même le ridicule de tout ce remue ménage. »
Fabienne Arvers et Patrick Sourd
Golgota Picnic, texte et mise en scène Rodrigo Garcia, du 8 au 17 décembre au festival d’automne à Paris, Théâtre du Rond-Point.
www.theatredurondpoint.fr 01 44 95 98 21
Article mis à jour le 13/12/11 à 10h40 : ajout de précisions dans la citation de Vincent Baudriller.
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