Retour sur les victoires, rétropédalages et déceptions de la Garde des Sceaux, qui était devenue peu à peu « l’icône de gauche » du gouvernement.
Après quatre années passées dans les gouvernements Ayrault, puis Valls, Christiane Taubira a annoncé le 27 janvier 2016 qu’elle démissionnait du poste de ministre de la Justice. Elle sera remplacée par le député PS Jean-Jacques Urvoas, notamment rapporteur de la loi Renseignement et président de la commission des lois au Parlement depuis 2012. Malgré les revers qu’elle a essuyés, elle a marqué les esprits et s’est imposée comme une « icône » à gauche.
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L’Elysée annonce la démission de #Taubira. pic.twitter.com/8uO1DGVLof
— Pierre-Alain Furbury (@paFurbury) 27 Janvier 2016
Les succès
• Le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe
“Quand je suis dans l’arène, je sabre.” Le 13 mars 2013, Christiane Taubira résumait son était d’esprit lors d’une invitation dans les locaux de Libération, un mois avant l’adoption définitive de la loi qui a ouvert le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Le discours qu’elle a prononcé lors de l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale est resté dans les mémoires:
https://www.youtube.com/watch?v=33oUZDyvD6Y
« Vous pouvez garder le regard obstinément tourné vers le passé […]. Nous sommes fiers de ce que nous faisons », lancera-t-elle aux députés de droite. Pendant des mois de débats, elle a cristallisé la haine des anti de la « Manif pour tous », et dû contrer les arguments parfois fallacieux des députés de l’opposition (« Il faut l’homme et la femme, le père et la mère, pour engendrer et guider l’enfant sur le chemin de la vie » disait ainsi Henri Guaino, député des Yvelines).
En tout, elle s’est battue six mois entre la présentation du projet de loi en conseil des ministres (7 novembre 2012) et son vote victorieux le 23 avril 2013. Deux ans après le vote du Parlement, on sait que 17 500 mariages entre couples de même sexe ont été célébrés entre mai 2013 et décembre 2016. En 2014, ils ont représenté 4 % de l’ensemble des mariages civils en 2014 (10 000 pour 241 000).
• La réforme pénale
Rats, violence, surpopulation… En 2013, le contrôleur des prisons tirait la sonnette d’alarme sur les conditions de vies des détenus de la prison des Baumettes à Marseille, suscitant une vaste polémique. Lors d’une visite dans l’établissement pénitentiaire la même année, Christiane Taubira avait affirmé sa volonté d’agir contre la surpopulation carcérale. C’était un des objectifs de la réforme pénale, adoptée en août 2014.
Outre l’augmentation du nombre de places de prisons (6 500 d’ici à 2017), la ministre avait également affirmé vouloir redéfinir le « sens » de la peine de prison. Trois mesures phares ont été prises dans le cadre de cette réforme, à commencer par la contrainte pénale, proposant des solutions alternatives à l’incarcération pour les auteurs de délits. Introduites dans la loi française en 2007, les peines plancher, obligeant les juges à prononcer une peine minimale incompressible en cas de récidive, ont été supprimées. Enfin, l’instauration d’une libération sous contrainte a rendu obligatoire une rencontre du juge d’application des peines avec le détenu au deux tiers de sa peine, pour envisager une progressive sortie de prison et les modalité de réinsertion. Cette réforme, taxée de laxiste, avait été largement critiquée par la droite.
• Une nouvelle loi sur le harcèlement
En 2012, le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article du code pénal réprimant le harcèlement sexuel. Saisis par une Question prioritaire de constitutionnalité, les Sages avaient estimé que la définition du concept de harcèlement dans la loi était trop floue. Cette décision avait provoqué un tollé et rendu caduques les procédures en cours. Christiane Taubira avait alors affirmé la nécessité de combler ce vide juridique “insupportable”. Quelques mois plus tard, en août 2012, une nouvelle loi a été votée, définissant plus précisément la notion de harcèlement, et l’élargissant aux cas de harcèlement moral à caractère sexiste.
Les propositions tombées dans l’oubli
• La réforme de la justice des mineurs
La Garde des sceaux ne compte cependant pas que des victoires à son actif. Plusieurs des projets qu’elle a portés ont avorté. C’est le cas d’une de ses mesures phares : la réforme de la justice des mineurs, censée réaffirmer la primauté de l’éducatif sur le répressif et supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs, et qui n’a toujours pas abouti (elle devrait être discutée au Parlement au « semestre 2016 »). Le projet de loi sur la justice du XXIe siècle, adopté par le Sénat, n’est, lui, plus mis à l’ordre du jour à l’Assemblée nationale.
• La PMA
Enfin, Christiane Taubira avait toujours affirmé sa position favorable et sa volonté de débattre au sujet de l’accès à la Procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes. Censée faire l’objet d’un amendement à la loi sur le Mariage pour tous, puis d’un amendement à la loi sur la famille, le gouvernement a fini par faire marche arrière sur la PMA.
>> A lire aussi: PMA, chronologie du rétropédalage du gouvernement
Malgré les revers, elle devient une « icône » de gauche
« Elle restera la ministre du mariage pour tous. Le combat pour cette loi a été emblématique et l’a révélée au pays. Les critiques, parfois hargneuses, qu’elle a suscitées à l’extrême droite et à droite auront fait de Mme Taubira une icône de la gauche », résume ce 27 janvier le journaliste Jean-Baptiste Jacquin sur le Monde.fr.
En février 2013, on parlait même de « Taubira Pride ». Dans un article de Libération, un élu confiait qu’elle était « une rock star chez les députés PS ». Pendant les débats autour du mariage pour tous, les élus de droite l’ont prise pour cible, pensant qu’elle pouvait être un maillon faible qui peinerait à défendre son projet de loi. Mais elle a contrecarré leurs plans en montrant qu’elle maîtrisait le dossier sur le bout des doigts, siégeant tous les jours dans l’hémicycle, semaine et week-end confondus.
Depuis les débats sur la très contestée loi Renseignement à l’été et la déchéance de la nationalité plus récemment, les médias ont été nombreux à souhaiter recueillir son avis en tant que « femme politique de gauche » – elle était candidate radicale de gauche face à Jospin en 2002 – mais la ministre avait choisi, ces douze derniers mois, de limiter ses prises de parole publiques. En janvier 2015, Le Monde publiait un portrait d’elle dans lequel Florian Borg, le président du Syndicat des avocats de France, la comparait à une « bulle de savon, une illusion de gauche dans un gouvernement qui s’en éloigne« . Déjà à l’époque, elle disait « avec humour » que ce qu’on pouvait lui souhaiter de mieux en 2015 était de « changer de travail ». C’est chose faite.
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