Drôle, inventif et pertinent, ce nouveau mook s’attaque au sexe comme on entre en religion, fébrile et possédé. L’ambition de “La Chose” ? Traiter chaque sujet sexe d’égal à égal. Une réussite.
Vingt et un centimètres de bonheur dans ta face, c’est un peu ce que promet La Chose, revue toute chaude qui parle de sexe et uniquement de sexe, mais à 360 degrés et sous toutes les coutures. Et autant le dire d’emblée, le premier numéro est suffisamment alléchant pour qu’on ait justement envie d’échanger nos numéros. LTR en vue. A la base du projet de ce bordel érotique sur papier un trio : Josselin Bordat, Anaïs Carayon et Camille Emmanuelle, trois agitateurs culturels qui sévissent sur Brain, le site web qui a fait du mélange des genres, de son second degré et de sa manière de fouiller l’intimité de la pop culture, ses marques de fabrique. Josselin Bordat raconte sa genèse :
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« Le projet est né, comme tous les grands projets, d’un apéro où on était tous les trois. Camille est notre spécialiste cul chez Brain, et on lui posait la question, quasi théorique, de savoir s’il existait une revue cool qui s’adressait aux gens de 25 à 45 ans et qui parlait de cul de manière drôle et intelligente sans avoir à choisir entre les pratiques ou les sexualités. Tu as bien Hot Vidéo pour ceux qui aiment l’ambiance porno-Canal Plus à papa, le magazine Lui qui ne parle pas vraiment de sexe au final, et quelques publications pour initiés, confidentielles et arty, comme L’Imparfaite. Et puis sur le web, de manière éparse, tu peux tomber sur des articles vraiment intéressants qui parlent de cul, mais ils ne sont rassemblés nulle part. On est vite tombé d’accord sur le fait qu’il n’y avait pas de mook qui réunisse des gens rigolos, des intellos pas chiants, des spécialistes et des non-spécialistes, des gays, des pas gays, des hétéros, des lesbiennes, et qui parlerait de cul de manière décontractée. »
A l’heure où le sexe et le porno se sont infiltrés dans les moindres recoins de la culotte de la culture pop, de Miley Cyrus qui en use et abuse à Calvin Klein qui nous rejoue le coup du porno-chic, de l’art contemporain qui se plugge en place publique au succès du mummy-porn avec 50 Shades of Grey, La Chose tombe à point nommé dans cette immense partouze, histoire de remettre le sexe dans son contexte, et d’affirmer qu’avant d’être pop, le cul est aussi et depuis toujours un marqueur politique et social, parfait indicateur de l’évolution de notre société.
“Tu peux arrêter de me sucer comme dans un porno”
Au fil des quelque 200 pages de La Chose, séparée en trois sections (Boudoir, Bordel et Backroom), on pourra ainsi alterner entre préliminaires soft et pénétrations plus poussées. Passer des mémoires d’une mamie de 63 ans qui a shooté les backstages des films porno dans les années 80 à une analyse pointue du phénomène Tumblr – nouvelle “bibliothèque du porno” et ultime repaire du sexe sur internet. Confronter à la moulinette du réel les conseils sexo à la noix des magazines féminins pendant qu’on apprendra par cœur les 13 phrases à ne surtout pas prononcer pendant le sexe (“Tu peux arrêter de me sucer comme dans un porno”, “Je vais te pilonner”, “Suce mon orteil comme si c’était ma grosse queue”, ou envisager le fist comme “la sodomie du XXIe siècle”.
Plonger dans les archives du Nazi Porn, sous-catégorie la plus scandaleuse du porno 70, déconstruire la problématique des 25 % de puceaux japonais à 30 ans comme savoir ce que votre fromage préféré dit de votre sexualité. Apprendre par cœur les 10 commandements de l’auteur érotique débutant, découvrir la longue histoire du gode à travers l’histoire ou être complètement fasciné par tout ce qu’on peut se faire implanter sous la peau du pénis (morceaux de brosse à dents, dominos…), sorte de tuning du zizi très répandu en milieu carcéral…
Exploser les formes
« On a beaucoup réfléchi pendant les deux années que nous a pris le projet », ajoute Anaïs de Carayon, « à la forme, au ton et aux angles. On tenait à conserver la baseline de Brain, ce côté intellol poussé à l’extrême. Quand on a construit le chemin de fer, on a fait attention à l’alternance entre sujets sérieux et plus légers. Mais il s’agissait aussi de trouver de nouvelles formes de narration, des angles pertinents, sans cacher que certains articles n’ont pas d’autre but que de faire rire. »
Evidemment la fougue de La Chose est de n’avoir surtout rien hiérarchisé, de mélanger débats ardus (comme cette mise à jour sur le féminisme présentée sous forme d’un échange de mails avec la très engagée Peggy Sastre) et pure déconnade (l’hilarant gaydar de Nadine Morano), mais surtout d’exploser les formes – listes, reportages, dessins, portfolio, bédé de Luz, schémas, DIY, nouvelles – en un joyeux bordel, complexe et ludique, intrigant et excitant, comme le cul, quoi ! Et surtout de refuser de se positionner entre hétéros, gay, bi ou lesbiennes, professionnels de la chose ou amateurs. « La Chose n’est pas une revue militante à la base », confirme Josselin Bordat, « en revanche notre position militante est très simple, c’est de faire comme si le monde qu’on désire existait déjà. Quand tu vas sur Brain, tu es confronté à toutes les sexualités comme si c’était une évidence, pour La Chose c’est pareil ! »
La Chose, revue pop porn, éditions Privé, 19,95 euros, en librairie le 26 mai.
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