Le renvoi en correctionnelle de l’ancien président va écrire le chapitre manquant de ses mémoires : le système Chirac.
Coïncidence ou pas, le premier tome des mémoires de Jacques Chirac – secret éditorial le mieux gardé de cet automne – sort en librairie une semaine après son renvoi historique en correctionnelle. Intitulé Chaque pas doit être un but (Nil Editions), il couvre sa carrière politique jusqu’en 1995. A aucun moment, paraît-il, l’ancien chef de l’Etat n’y évoque les affaires.
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Ainsi, c’est sur les non-dits de ses écrits que l’attention médiatique va se porter. A la lumière de l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris va se dessiner ce que “le Chi” a toujours réussi à dissimuler en échappant à la justice : la mise au jour du système Chirac, celui de l’accaparement des moyens d’une ville au service d’une ambition. Du coup, le pitch de ses mémoires a changé : “le premier retraité de France” est devenu “le premier ex-président traduit en justice”.
Aujourd’hui, avec 74 % d’opinions positives (palmarès Ifop-Paris-Match), Chirac est l’homme politique préféré des Français. La promotion de ses mémoires va lui permettre de préparer sa défense médiatique en pariant sur sa popularité, avec comme point d’orgue la diffusion d’un Vivement dimanche le 29 novembre, jour de ses 77 ans. Pas sûr que ce soit suffisant pour faire oublier ses ennuis judiciaires. Car une brèche s’est ouverte dans l’image idéalisée qu’il va servir dans ses mémoires. Pour sa défense, Jacques Chirac va probablement réactiver les images positives de sa carrière, telle son opposition à la guerre en Irak, en insistant sur les services rendus à la nation.
C’est toujours le même refrain, que l’on entend aujourd’hui à droite comme à gauche. On ne tape pas sur le retraité préféré des Français. Jacques Chirac utilisa lui-même ce discours lors de la condamnation d’Alain Juppé. En 2004, l’ancien Premier ministre écopa de quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité dans l’affaire des emplois fictif du RPR. Chirac était considéré comme le principal bénéficiaire mais restait intouchable du fait de son immunité présidentielle. Tout en fustigeant une condamnation “terrible pour la France”, il n’hésita pas à sacrifier la carrière politique de son “fils préféré” pour se protéger.
Tout “sympathique” qu’il soit, le génie de Jacques Chirac fut surtout de réussir à dissimuler aux Français sa nature d’animal politique le plus dangereux de son époque. De cacher aussi, loin de son image d’homme pudique, le coureur de jupons qu’il était, surnommé dans le milieu politique “Cinq minutes douche comprise”. L’homme “proche du peuple” a passé sa vie dans les palais de la République – de la Mairie de Paris à Matignon, de Matignon à l’Elysée – pour finir dans un hôtel particulier prêté par la famille Hariri. Son ascension politique fut fulgurante. Après avoir réussi l’ENA, il entre en 1962 comme chargé de mission au secrétariat général du président Pompidou, devient député de Corrèze en 1967, conquiert la Mairie de Paris en 1977 et se fait élire président en 1995.
L’affaire qui rattrape aujourd’hui Chirac a commencé il y a dix ans. Contre l’avis du parquet qui avait requis un non-lieu total, la juge d’instruction Xavière Simeoni a renvoyé l’ancien président et neuf autres personnes devant le tribunal correctionnel pour “abus de confiance et détournement de fonds publics” à propos de vingt-et-un emplois présumés fictifs sur la période 1983 à 1995. Dans son accablante ordonnance de renvoi, la juge Simeoni le désigne comme “le concepteur, l’auteur et le bénéficiaire du dispositif (…) destiné à asseoir son influence politique” et à “servir à plus ou moins long terme ses propres intérêts et ambitions, ou ceux de son propre parti (…) sans bénéfice pour la communauté des Parisiens”.
Si les faits reprochés portent seulement sur vingt-et-un emplois fictifs, pendant ses mandats de maire, Chirac s’entoura d’une centaine de collaborateurs, fournissant des rémunérations de complaisance à des amis politiques. A droite, ses soutiens lancent la contre-attaque. En cause ? L’ancienneté des faits reprochés, qui remontent à plus de vingt ans. Or cette ancienneté est la conséquence directe de douze ans d’immunité présidentielle. Il était clairement sous-entendu qu’une fois achevée, Chirac redeviendrait un justiciable comme un autre.
Derrière ces réactions se camoufle une forme de relativisme judiciaire, comme l’explique l’ancien magistrat Dominique Barella, membre du syndicat de la magistrature : “C’est l’idée que les lois ne devraient pas s’appliquer de la même façon aux puissants, aux gens “utiles” à la société, comme des grands politiques ou cinéastes, et ce alors que la tendance pour les “citoyens ordinaires” est au durcissement.” André Vallini, député PS et membre de la Cour de justice de la République, se félicite que la justice soit “égale pour tous”.
En théorie, Chirac risque dix ans de prison et 150 000 euros d’amende, mais, de par son âge et son statut, son risque d’être condamné à de la prison ferme est quasi nul. De Villepin, Pasqua et maintenant le chef, c’est toute la Chiraquie qui tombe. Ces procès donnent l’impression que se tourne enfin la page des méthodes quasi mafieuses de toute une époque. Dominique Barella est sceptique : “La Mairie de Paris était [à Chirac] ce que sont les Hauts-de-Seine aujourd’hui à Sarkozy.”
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