Deux ouvrages très étayés montrent que la future première puissance mondiale va devoir changer de modèle économique et assouplir son système politique si elle veut durer.
La Chine sera bientôt la première puissance économique mondiale. Qu’on le veuille ou pas, elle deviendra l’axe majeur de la marche du monde, si elle ne l’est déjà. L’ex-empire du Milieu demeure un pays de paradoxes : central dans le jeu économique et géopolitique mondial, mais peu connu, mystérieux, opaque ; politiquement léniniste (l’État-parti) mais économiquement converti à un capitalisme ultra ; extrêmement puissant et extrêmement fragile ; ultramoderne (dans certaines villes) et ultra-archaïque (dans les campagnes) ; inquiétant le reste du monde par son gigantesque appétit mais lui-même inquiet et autocentré ; antidémocratique et répressif mais autorisant des poches de liberté et d’ouverture dont profitent surtout les nouvelles classes moyennes et supérieures ; commerçant avec le reste du monde, gagnant des parts de marchés tout en bénéficiant des règles protectionnistes d’un pays sous-développé…
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On pourrait multiplier les violents contrastes qui définissent la Chine contemporaine et sont profondément analysés par François Godement, historien spécialiste de l’Asie, dans Que veut la Chine ? Selon l’universitaire, après la décennie Hu Jintao, caractérisée par une croissance économique prodigieuse et un immobilisme politique confinant au raidissement, la Chine va se trouver à la croisée des chemins.
Trop d’inégalités et de mécontentement
Fondée sur une frénésie d’investissements, l’accumulation de réserves monétaires immenses et le maintien artificiel d’une monnaie basse, l’économie chinoise est profondément inégalitaire, produisant quelques milliardaires (dont beaucoup se confondent avec les grands dirigeants du parti), l’émergence d’une classe moyenne urbaine et une masse de laissés-pour-compte ouvriers ou paysans. La situation n’est pas tenable sur le long terme, pour des raisons internes de mécontentement politique et social.
On pourra compléter sa connaissance avec La Voie chinoise, où les économistes Michel Aglietta et Guo Bai proposent une vue en coupe de l’histoire économique chinoise depuis les dynasties Ming et Qing jusqu’à aujourd’hui et même demain. Plus centré sur la question économique, plus aride et pointu, cet ouvrage aboutit à des conclusions finalement assez voisines du précédent.
En gros, le système économique actuel n’est pas soutenable durablement : trop d’inégalités, de stagnation des salaires et de la consommation intérieure, de mécontentement, avec un danger de surproduction et de bulles. Les auteurs prônent une transition vers une croissance durable prenant en compte le souci environnemental. Ils dressent une feuille de route qui serait de nature à améliorer l’économie et le bien-être du peuple. Elle se résume en trois points : améliorer le secteur des services en le libérant de trop nombreux obstacles administratifs, faire une réforme fiscale pour mieux redistribuer et créer un État-providence à la chinoise.
Cette feuille de route (qui ressemble un peu à celle que l’on pourrait dresser pour les États-Unis et l’Europe) est-elle un voeu pieux ou un projet réaliste ? Le nouvel homme fort de la Chine, Xi Jinping, lira-t-il ce livre ? Avec ces spécificités, la Chine est confrontée aux mêmes problèmes majeurs que l’Occident : comment passer de l’ère charbon-pétrole à celle du développement écologique et durable ? Et comment s’intégrer à la mondialisation tout en préservant sa souveraineté ? Les réponses qu’elle apportera nous concerneront tous.
Serge Kaganski
Que veut la Chine ? – De Mao au capitalisme de François Godement (Odile Jacob), 288 p., 23 €
La Voie chinoise – Capitalisme et empire de Michel Aglietta et Guo Bai (Odile Jacob), 432 p., 40 €
Article paru dans le numéro 888 des Inrockuptibles disponible en ligne ici
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