Le 28 décembre Arte consacre une nuit à Roger Vadim, cinéaste qui a épousé et révélé Bardot, Deneuve et Fonda. Olivier Nicklaus lui a consacré un documentaire. Interview.
Au programme de cette nuit Arte consacrée à Roger Vadim : la diffusion de son film le plus célébre (et réussi ?) Et Dieu créa la femme, une rediffusion d’un Personne ne Bouge qui lui érait consacré et enfin Vadim, Mister Cool, le très beau documentaire d‘Olivier Nicklaus qui permet d’aller au delà de l’image de séducteur et de pygmalion de Vadim. Narré par Gaspard Ulliel, qui assure la voix off, le documentaire nous replonge dans la France moralisatrice des années 60 et croque un Vadim plein de subtilité, d’élégance et de mélancolie. Interview.
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Pourquoi vous être intéressé à la figure de Vadim ? Aviez-vous la sensation qu’il était sous-estimé ?
Olivier Nicklaus – Sous-estimé, je ne sais pas mais oublié, en particulier par les plus jeunes générations, certainement. Alors qu’il a été une vraie star de sa génération. Au moment du succès inouï et mondial d’Et Dieu créa la femme en 1956, il est une star non seulement en France mais aussi dans le monde entier, au même titre que Françoise Sagan en littérature, Bernard Buffet en peinture ou Brigitte Bardot évidemment.
Il a d’ailleurs travaillé avec les trois, Bardot étant alors à la fois sa compagne et sa muse puisque c’est lui qui en fait une star avec Et Dieu créa la femme. Vadim n’arrêtait pas de tourner à l’époque, un peu comme un Xavier Dolan aujourd’hui. Et au delà-de son succès comme réalisateur, Vadim était une sorte de pop star : les journaux racontaient abondamment la chronique de ses amours (Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Jane Fonda, etc) mais aussi de son mode de vie très cool pour l’époque (d’où le titre du documentaire) : les copains, les voitures, les boites de nuit, les vacances à Megève et à Saint-Tropez. Il y a du Frédéric Beigbeder ou du Edouard Baer chez lui : le sens de la fête, de la bande, du plaisir avant tout.
Personnellement, ce qui m’intéressait, c’était de comprendre d’abord pourquoi il revendiquait aussi fermement cet hédonisme, et selon moi, c’est à chercher du côté de la dureté de la vie pendant la deuxième guerre mondiale. Il était adolescent, ça l’a beaucoup blessé de comprendre à quel point la vie pouvait être chienne, et il n’a plus dès lors jamais cédé sur son plaisir. Et ce qui m’intéressait aussi beaucoup, c’était de comprendre comment on survit à un succès tel qu’Et Dieu créa la femme alors que la suite de la carrière s’est assez vite montrée décevante. D’où la dimension mélancolique qu’on peut percevoir dans le dernier tiers du documentaire.
Votre film permet de voir Vadim sous un jour un peu nouveau : pygmalion certes mais pas seulement : ses femmes révélées par lui (Bardot, Deneuve, Fonda) ont toutes eu plus de succès après lui. Comment le définiriez-vous ?
Il a dans une certaine mesure été un pygmalion puisqu’il a offert des rôles décisifs à ces trois femmes (et à d’autres, d’ailleurs) : Et Dieu créa la femme pour Bardot donc, mais aussi son premier grand rôle à Catherine Deneuve dans Le Vice et la Vertu, un an avant Les Parapluies de Cherbourg. Et pour Jane Fonda, qui avait eu déjà plusieurs fois la tête d’affiche, le succès de Barbarella a certainement été un déclic pour la suite de sa carrière. Quand on monte des extraits de ces films côte à côte, on voit bien son goût pour une femme blonde au petit nez retroussé qui revient d’époque en époque sous les différentes incarnations de ces actrices. Mais Vadim ne revendiquait pas ce terme de pygmalion. Selon moi, il leur a surtout donné à voir leur potentiel, un potentiel qu’elles ont fait fructifier sans lui par la suite. Et quand on sait que la plupart du temps, ce sont ses femmes qui l’ont quitté, on voit bien que ce serait réducteur de voir en lui un simple pygmalion. Je dirais plutôt qu’il leur a donné, assez généreusement, les outils de leur propre empowerment.
Quel type d’homme était Vadim ? Lui voyez-vous une dimension quasi-féministe ? Sa façon de parler de ses femmes, de parler de la répartition des rôles au foyer…
Sa mère, Marie-Antoinette Ardilouze, une femme très indépendante, et encore plus après le décès du père, dès 1937, était féministe avant l’heure et a beaucoup influencé Vadim. Si on regarde bien Et Dieu créa la femme, on voit que contrairement à la légende, Bardot n’y est pas seulement un sex-symbol passif, un pur objet sexuel : au contraire, elle choisit les hommes avec lesquels elle couche au cours du film, davantage sujet sexuel donc qu’objet sexuel. Tout ça en 1956, soit douze ans avant Mai 1968, seulement onze ans après que les femmes aient obtenu le droit de voter. Après, qualifier Vadim de féministe me paraitrait quand même exagéré. Disons plutôt que sa réputation d’homme à femmes, de dragueur enchainant les conquêtes, a partiellement masqué le vrai Vadim, souvent quitté par les femmes, très sensible, attentif et généreux, et qui s’est notamment beaucoup occupé de ses quatre enfants, de quatre mères différentes…
Y a -t-il un style Vadim ? Comment le définiriez-vous ?
C’est sans doute sur ce point que l’oubli a été le plus cruel pour lui. Car en 1956, dans ce cinéma “qualité française” des Delannoy et autres Autant-Lara qui sentait la naphtaline, le noir et blanc, le studio et les acteurs déclamant, les choix de Vadim – tourner Et Dieu créa la femme en décors naturels, en Cinémascope couleur, en distribuant ses proches dans les rôles principaux – était non seulement incroyablement moderne, mais aussi annonciateur des parti-pris esthétiques de la Nouvelle Vague. D’ailleurs, Godard et Truffaut ont écrit des textes très reconnaissants sur l’apport de Vadim dans l’histoire du cinéma français. Il a un style très formel, très pictural même : c’est pourquoi j’ai choisi de monter de nombreux extraits de ses films en ne gardant que l’image. En coupant les dialogues et la musique de l’époque, on voit d’autant mieux leur modernité et leur grâce formelle
Quel est selon vous son meilleur film ?
Même si certains passages ont mal vieilli, il y a des fulgurances dans Et Dieu créa la femme. Sa version des Liaisons dangereuses avec Jeanne Moreau et Gérard Philippe tient bien la route aussi, avec une transposition réussie dans le Paris et le Megève des sixties, avec une musique jazzy bien choisie. Après, il y a pas mal de déchet, même si j’avoue un plaisir coupable pour son seul film hollywoodien, Si tu crois fillette, avec Rock Hudson et Angie Dickinson, que Quentin Tarantino range parmi ses douze films préférés au monde.
Gaspard Ulliel fait la voix off du documentaire. Pourquoi l’avez-vous choisi ?
Gaspard est un ami, mais surtout, je trouve qu’il gagne de film en film une dimension d’acteur de plus en plus bluffante. J’avoue qu’il m’a cloué dans le dernier Dolan, Juste la fin du monde, avec cette voix très basse, presque d’outre-tombe. Ça m’a totalement bouleversé. Du coup, je l’ai choisi pour ce projet, sachant pertinemment que la gravité de sa voix serait un peu à contretemps sur la partie hédoniste de la première partie du film, mais qu’elle rendrait justice à la dimension mélancolique à laquelle je tenais beaucoup pour la fin.
Nuit Vadim, le 28 décembre sur Arte
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