La semaine dernière, des canards souillés, des grands principes fondateurs, le jeu du Front national, un mécanisme permanent et un enfant mort sur la plage.
Mon cher Inrocks, bienvenue à Dismaland, le “parc de répulsion” imaginé par Banksy auquel tu consacres plusieurs pages et “que l’on pourrait traduire par Lugubreland”. A Dismaland, tout est mignon, rigolo, divertissant, “sauf que”… Dans les manèges, “les chevaux de bois tournent en toute innocence, jusqu’à ce qu’on découvre un boucher en train de découper un animal, entouré de boîtes de lasagnes. Dans un coin, on retrouve une de ces pêches au canard qui font la joie des bambins : sauf que les canards sont souillés par une marée noire qui a vomi son pétrole sur les animaux”.
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Barbie au pays des paparazzis
Le carrosse est joli comme celui de Barbie ou d’un livre de princesses, sauf qu’il est renversé, que la princesse est morte, et que les paparazzis photographient. Ici, on peut jouer aux petits bateaux sur l’eau… “Sauf que là, des migrants s’entassent, visages fermés et tordus de malheur, sur des bateaux qu’un dispositif technique empêche d’atteindre la rive.” Dismaland est un parc d’attractions éphémère qui fermera le 27 septembre. Mais devant le succès de l’initiative, le monde s’organise pour une exposition permanente hors les murs.
Des foules sentimentales dressées
A Lugubreland, on a pleuré à l’unisson devant la photo d’un enfant mort. L’attraction a connu un franc succès. Pas de carrosse de Barbie mais une jolie plage, et les photographes étaient là quand même. On a vibré, on s’est sentis vivants.
Soudain, les foules sentimentales se dressaient, notre humanité se réveillait, nous aussi on avait un petit cœur palpitant, irrigué de compassion, prêt à pleurer devant l’injustice du monde, à agir, qui sait ? Quel spectacle ! On en voulait plus. Il fallait nous raconter l’histoire, les circonstances du voyage, le corps de l’enfant qui glisse des mains du père. Ça nous a fait la semaine.
Soudain, on voyait des Allemands accueillir des migrants, pardon, des réfugiés avec des grands panneaux plein de smileys. Une femme d’Etat rappelait les grands principes fondateurs et universels de l’Europe. On avait tellement honte de nous que soudain, on n’osait plus lui rappeler que ces principes pouvaient aussi être applicables en Grèce, tant qu’à faire.
Main sur le cœur et larmes à l’œil
Le Pépère du peuple, qui deux mois avant, ne voulait pas entendre parler de “quotas”, inventait un “mécanisme permanent et obligatoire” d’accueil des réfugiés. La main sur le cœur et la larme à l’œil, il annonçait l’accueil de 24 000 réfugiés sur deux ans. 12 000 par an, pour 66 millions d’habitants. Quel sens de l’équilibre. Ni trop ni trop peu.
Il fallait prendre les vents porteurs du souffle d’émotion créé par la photo, sans causer cet appel d’air qui aurait “fait le jeu du Front national” et provoqué une tempête politique. A Lugubreland, la météo des émotions est une science complexe et périlleuse. Dismaland est “aussi flippant que comique”. Mais au bout de deux jours, “la morosité (…) se révèle contagieuse” et il est temps de partir. C’est par où la sortie ?
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